
Avril 2025 • Note 73 •
La péninsule coréenne sous le poids de l’histoire et la tyrannie de la géographie
Pour bien comprendre la géopolitique compliquée de la péninsule coréenne, il importe d’avoir présent à l’esprit la manière dont l’histoire et la géographie impriment leur empreinte sur elle. La présente note débute par une vue cavalière de la douloureuse histoire entre le Japon et à la Corée tout au long du dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle, puis des déchirements sanglants de la guerre de Corée (1950-1953). Après la création des deux Corée, et au fil d’une histoire tumultueuse, la géographie a quant à elle fait de la péninsule l’un des lieux de compétition les plus tendus entre les puissances mondiales que sont les États-Unis, la Chine et la Russie.
La Corée du Sud, une puissance maritime émergente
Dans ce schéma complexe, la Corée du Sud (République de Corée) a à gérer de nombreux différends maritimes. Les plus nombreux et les plus lourds sont ceux qui l’opposent à la Corée du Nord (République populaire démocratique de Corée). La note fait le récit de cinquante ans d’affrontements souvent meurtriers. Mais il convient de ne pas oublier les différends que Séoul entretient avec la Chine et le Japon. Du côté des États-Unis, il faut se souvenir qu’aux termes du traité de Défense mutuelle de 1953, les forces américaines présentes sur le territoire appartiennent à l’armée de terre pour l’essentiel (28 500 soldats environ aujourd’hui). Les forces aériennes et les ports-bases de l’US Navy sont au Japon ou sur l’île de Guam. Les incertitudes créées par Donald Trump obligeront peut-être Séoul à envisager un rapprochement avec Tokyo, avec lequel les relations bilatérales restent néanmoins tendues. Mais son point fort reste son industrie maritime performante et technologiquement évoluée. Cette compétence lui permet de se doter de toutes les composantes d’une marine de guerre moderne.
La Corée du Nord, une autocratie nucléaire héréditaire aux ambitions maritimes
La Corée du Nord, petit État totalitaire d’environ 25 millions d’habitants partageant des frontières avec ses deux parrains, la République populaire de Chine et la Russie, s’est de longue date fait une spécialité de la provocation, du chantage et du jusqu’au-boutisme. En janvier 2024, Kim Jong-un a appelé à modifier la constitution du pays pour définir la Corée du Sud comme étant son « ennemi principal invariable ». Sur le plan maritime, Pyongyang dispose d’une marine composée d’unités anciennes, mais a l’ambition de la moderniser avec l’aide de ses alliés, principalement de la Russie, avec laquelle un traité de partenariat stratégique global a été signé en juin 2024. Quant à la Chine, le traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle de 1961 qui la lie à la Corée du Nord a été renouvelé pour la troisième fois en 2021. Ces accords de défense croisés, qui lient plus ou moins fortement entre eux les trois pays se complètent et font de l’ensemble une puissance géostratégique de premier plan.
Chine, Corée du Nord et Russie : autocraties nucléaires et puissance maritime
Pour la première fois dans l’histoire, à la formidable puissance continentale que constituent les trois autocraties nucléaires s’associe leur non moins formidable puissance maritime conjointe en plein essor. Leurs flottes, commerciales et militaires, bénéficient de la très longue façade océanique qui s’étend du Vietnam à la Norvège. La route maritime qui la longe, la plus courte entre l’Asie et l’Europe, s’ouvre chaque année plus longtemps sous l’effet du réchauffement climatique, un avantage géostratégique déterminant.
L’un des points les plus chauds du globe dans un avenir proche
Tous ces éléments, analysés ici en détail, permettent de comprendre combien les enjeux maritimes sont déterminants dans les équilibres complexes et fragiles de la géopolitique coréenne. C’est en tout cas l’ambition de cette note que de tenter d’y voir plus clair malgré le « facteur Trump » et la prochaine élection présidentielle fixée au 3 juin prochain en Corée du Sud, après la destitution du président Yoon Suk Yeol, facteurs d’incertitudes dans la zone.
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L’auteur
![]() Hugues Eudeline est directeur de recherche à l’Institut Thomas More. Ancien officier de marine et ingénieur, il est docteur en histoire militaire, défense et sécurité de l’École Pratique des Hautes Études (EPHE, Paris), il est également breveté de l’enseignement militaire supérieur français (École supérieure de guerre navale et Cours supérieur interarmées, Paris) et américain (Naval Command College, Newport) et titulaire d’un Master of Science (Salve Regina University, Newport). Précédemment chargé de cours à Sciences Po Paris, l’ESCEM et l’ICES, conférencier, essayiste, il consacre ses recherches à la géopolitique et la géostratégie de l’océan mondial. Il est en particulier spécialiste de la Chine maritime. En 2022, il a reçu le prix de Stratégie maritime générale de l’Académie de Marine (France) et la médaille d’argent de l’Académie royale de marine suédoise, dont il est membre correspondant depuis 2013. Il est l’auteur de Géopolitique de la Chine. Une nouvelle thalassocratie (PUF, 2024) • |