Quand l’administration gouverne à la place des élus

Yves d’Amécourt, viticulteur, ancien élu local, membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More

30 avril 2025 • Opinion •


La démocratie exige que les fonctions soient clairement réparties entre les élus, qui décident des politiques publiques, et les fonctionnaires, qui appliquent ces décisions. La pratique institutionnelle en France amène à douter que cette répartition des rôles soit toujours respectée.


Il fut un temps — pas si lointain — où l’on savait qui gouvernait. Les ministres définissaient la ligne, les hauts fonctionnaires la mettaient en œuvre. Le suffrage universel tranchait les désaccords. Mais ce temps semble révolu. Une autre réalité s’impose, plus insidieuse, plus technocratique : celle d’un pouvoir administratif devenu prescripteur, parfois opposant. Celle d’une inversion silencieuse des rôles entre gouvernants et gouvernés de l’ombre.

La récente tribune de Frédérik Jobert, directeur par intérim du Secrétariat général à la planification écologique, en est un symptôme éclairant. Dans une note publiée par Terra Nova, ce haut fonctionnaire rattaché à Matignon critique vertement la politique forestière du gouvernement. Il accuse l’État de subventionner la perte de biodiversité, pointe des « croyances erronées » dans les arbitrages budgétaires, et dénonce un débat « radicalisé » jusque dans les réunions interministérielles.

Qu’un expert publie une analyse n’a rien de choquant. Mais que celui qui, dans ses fonctions, porte la voix de l’État, se démarque publiquement de ce dernier en des termes militants pose un problème majeur : celui de la loyauté institutionnelle. Peut-on encore prétendre servir l’État quand on en conteste la ligne depuis l’intérieur ? Et surtout : à quoi bon élire des gouvernements si la mise en œuvre de leurs politiques est sabotée par ceux-là mêmes qui sont censés les incarner ?

Ce cas n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une dérive plus large, que l’on observe aussi à Bruxelles. La Commission européenne a versé des centaines de millions d’euros à des ONG environnementales, dont certaines se sont engagées ouvertement contre des priorités stratégiques des États membres, notamment le nucléaire. Or, le nucléaire, défendu jadis par Margaret Thatcher et Ronald Reagan comme alternative aux énergies fossiles, est désormais l’objet d’un lynchage idéologique soutenu… au sein même de nos administrations, ou avec de l’argent public.

Le cas du Giec illustre également cette ambiguïté. Créé à l’origine pour éclairer les choix politiques à partir des données scientifiques, l’organisme est de plus en plus critiqué pour la tonalité parfois politique de ses résumés, rédigés sous pression diplomatique ou militante. L’expert s’efface alors derrière l’activiste. Le fait devient opinion. L’écologue cède la place à l’écologiste.

Le citoyen, avec cette confusion des rôles, ne sait plus à qui il a affaire : « Qui me parle ? Est-ce un militant, un scientifique, un élu, un fonctionnaire ? »

Il est temps de rétablir un principe fondamental : dans une démocratie, seule la légitimité politique décide. L’administration exécute. Les hauts fonctionnaires ont un rôle précieux, mais celui-ci n’est pas de guider la société selon leurs convictions personnelles. Leur autorité vient de leur rigueur, non de leur militantisme. Leur force, de leur neutralité.

Il faut oser dire ce que beaucoup murmurent : la technostructure freine parfois la mise en œuvre des politiques voulues par les élus. Par inertie. Par dogmatisme. Par conviction sincère, peut-être. Mais ce n’est pas son rôle. Ce n’est pas son mandat.

Reprenons le contrôle. Clarifions les statuts, renforçons le devoir de réserve, mettons fin à l’opacité des financements d’influence et restaurons l’indépendance réelle de l’expertise publique. Il ne s’agit pas de brimer les voix, mais de remettre chacun à sa place dans l’architecture républicaine.

Car une administration qui décide à la place du politique n’est plus une administration. Et un gouvernement tenu en laisse par ses services n’est plus un gouvernement. C’est la démocratie qui s’efface, à bas bruit. C’est d’autant plus vrai lorsque la durée de vie des gouvernements est de quelques mois et l’espérance de durée d’un ministre de quelques semaines ! Comme le disait Charles de Gaulle : « La politique ne se fait pas à la corbeille ni dans les bureaux, elle se fait dans la rue et dans les urnes »