Éducation à la sexualité à l’école · Quand l’État se prend les pieds dans le tapis des revendications militantes

Christian Flavigny, psychanalyste, pédopsychiatre, directeur de recherche à l’Institut Thomas More

2 juillet 2025 • Entretien •


Le programme national d’éducation à la vie affective et relationnelle, et à la sexualité (EVARS) entrera en vigueur à la rentrée scolaire 2025. Christian Flavigny explique pourquoi il est dangereux, idéologique et fallacieux. La question, pour lui, n’est pas de soupeser ce qu’il y aurait de valable dans ce programme : il doit être supprimé, purement et simplement.


Qu’entend-on par la notion de « sexe biologique » ? Pourquoi y opposer le « genre » comme le fait le ministère de l’éducation nationale ?

Tout simplement le fait que nous avons un corps sexué . L’enfant le sait très tôt : il y a des garçons et des filles. Cela anime ses questionnements : pourquoi ? La seule réponse qu’il parvient à se faire à ce qui est pour lui une énigme, est que son père fut un petit garçon dans son enfance (ses grands-parents le lui racontent), sa mère une petite fille. C’est donc cela : quand petit garçon on devient un papa, quand petite fille on devient une maman, ensemble on peut faire des enfants. Bingo ! Il y a deux sexes parce que c’est comme cela que viennent les enfants. Reste la question qui agite l’enfant : comment petit garçon devient-on un papa ; petite fille, une maman ?

La voie qu’explore l’enfant est de s’identifier au parent de même sexe que lui, de le prendre pour repère, d’en dégager ce que pourrait bien être la masculinité, qui, garçon, caractérise leur sexe commun : le masculin : ce que peut être la féminité, qui, fille, caractérise leur sexe commun : le féminin. C’est la voie pour s’approprier le masculin, le féminin. Mais on le sait, le processus est complexe car du masculin ou du féminin à l’état pur, cela n’existe pas.

L’enfant s’interroge, sur fond d’une question existentielle pour lui : est-ce que comme petit garçon/comme petite fille, que je réponds au mieux aux attentes qui étaient les leurs ? Parfois la réponse qu’il se fait est prise dans des tiraillements, parfois il teste ce que serait être de l’autre sexe, parfois il l’imagine. Il arrive que cela le hante. Si cela insiste – parfois dès l’enfance, c’est rare mais possible, le plus souvent avant ou lors de l’adolescence –, alors il y a un malaise identitaire dont il faut se préoccuper : le pédopsychiatre peut aider à démêler les questionnements, ceux des parents, ceux de l’enfant, qui s’entremêlent.

Le plus souvent les enfants grandissent à l’écart de l’autre sexe, voire aimablement le dénigrent : les filles c’est bête, les garçons c’est vantard. Cela fait partie de la vie de famille, entre frères et sœurs. C’est que la construction identitaire et l’appropriation du repère masculin/féminin sont en cours ; ils se confortent en groupes de sexe, séparés sur la cour de récréation.

Le ministère de l’Éducation nationale depuis maintenant de nombreuses années relaie la thèse nord-américaine du gender. Or, cette thèse ne connaît pas le processus d’appropriation de l’identité sexuée, ce qui l’amène à schématiser la question sexuée en deux aspects qui seraient indépendants : le corporel (le « sexe biologique ») et le psychologique (le gender, mal traduit en français par « genre »), comme s’ils étaient sans relation à établir l’un avec l’autre – sinon la domination que le second impose sur le sexe corporel, avec le pouvoir qu’il aurait de dire qu’il ne pas correspond pas, qu’il y a erreur. L’« autodétermination de genre » reflète en psychologie l’individualisme nord-américain et l’immaturité psychologique d’une culture hantée par l’attitude normative qu’elle a historiquement entretenue à l’égard des « minorités sexuelles », dont elle tente de se racheter aujourd’hui par cette thèse qui a permis auxdites minorités de s’affirmer socialement.

Elle théorise la situation comme « dysphorie de genre », une dénomination typique de la manière psychologique nord-américaine qui classifie faute de détenir l’explication à ce qu’il se passe (et avec une terminologie « à l’ancienne » teintée de résonances au grec ancien), qui donne une apparence sérieuse et scientifique – ce qu’elle n’est que sur la forme, le fond étant creux. En fait, il s’agit de ce qui mérite d’être appelé une « angoisse de sexuation pubertaire », ce qui dit le phénomène en termes français et surtout selon la compréhension psychodynamique française, permettant de l’aborder sur le fond du malaise, avec le jeune et ses parents.

Que la thèse du gender ait été activement importée en France – qui n’a jamais commis la faute sociale de « discriminer » les minorités, du fait de la compréhension psychologique aboutie de la culture française – cela traduit l’idéalisation des élites françaises persuadées d’importer le « progrès » à la raison d’importer les mœurs étatsuniennes.

Comment le sexe influence-t-il la construction de la personnalité de l’enfant, puis de l’adolescent dont les caractéristiques physiques et psychologiques liées à son appartenance au masculin ou au féminin évoluent alors ? L’Éducation nationale a-t-elle raison de prendre en compte lesdites « théories du genre » ? Est-ce bien le rôle de l’école d’accompagner l’enfant dans ce type de questionnements et le fait-elle bien ?

Répondons clairement : le programme EVARS promu par le ministère de l’Éducation nationale, « enseignement de la sexualité dès l’école primaire », est une imposture. Pour les enfants, le programme n’est pas seulement inadapté : il est perturbateur. Il fait effraction dans leur vie psychique : c’est un viol de l’imaginaire d’enfance. Ce qui les questionne, ce n’est pas le plaisir ni l’accouplement. C’’est : qu’est-ce qui anime l’union intime qui a suscité entre mon père et ma mère leur vœu de ma venue au monde auprès d’eux, depuis eux ? Les enfants sont en quête d’intentions, non d’informations ; ce n’est pas sur les bancs de l’école qu’ils les approcheront.

Le projet ministériel est pervers : il brouille la réflexion intime des enfants. Sa perspective est de noyer la relation homme-femme, de la ravaler à une modalité de sexualité parmi d’autres – ce qu’elle est si le partage des incomplétudes sexuées ne fait pas partie de l’émotion de la rencontre sexuelle : le message est pour convaincre de résumer la sexualité à la recherche du plaisir. Plus discutable encore, l’EVARS élude le thème de la procréation qui incommode notre « modernité » – alors que c’est le seul qui questionne l’enfant : il s’agit (implicitement) que les jeunes générations entérinent que la fécondation in vitro serait estimée équivalente à celle de l’union entre un homme et une femme – elle l’est au plan organique de la fécondation mais c’est omettre ce qui caractérise l’aspect psychoaffectif de la procréation : la relation d’enfantement portée par le couple des parents, berceau de la vie psychique de l’enfant.

Ce qui taquine l’enfant sur le thème sexuel est sa dimension existentielle. Le sujet des enfants est la venue au monde des enfants, soupçonnant le rôle de la sexualité de leurs parents. Celui que découvrent les adolescents n’est pas « comment le plaisir » mais « comment la rencontre » – autrement dit, l’inconnu de l’autre sexe. Notre époque dédaigne ce thème, il veut l’évincer des jeunes esprits. Il s’agit de les convaincre qu’elle promeut une sexualité « libérée », jouisseuse et hédoniste : sous l’affichage désinhibé, c’est une tromperie. Rien n’est factuellement faux dans l’enseignement prévu ; mais tout est psychologiquement fallacieux.

Quid du « genre » ? Est-ce uniquement le produit d’un choix personnel et individuel, ou, alors, la conjugaison d’éléments génétiques et épigénétiques d’un individu face à son environnement social, familial, culturel etc. ? Ces dernières années, la question des dysphories de genre a été largement médiatisée. Peut-on distinguer, parmi elles, celles qui relèvent de problèmes génétiques, hormonaux et/ou psychologiques ? N’est-ce pas aussi la science moderne qui permet de repérer aujourd’hui les cas particuliers d’« intersexes » qui passaient autrefois plus inaperçus ?

Essayons de clarifier. Les « ambiguïtés génitales anatomiques » résultent d’une anomalie (très rare) où le sexe anatomique a induit en erreur sur ce qu’est le sexe chromosomique d’un enfant, le sexe « biologique » ; l’étude de tels cas a amené la théorisation nord-américaine selon le « gender » – à noter, c’est capital, que des travaux français analogues, depuis le même constat médical, aboutirent à des conclusions fort différentes, effet de la maturité de la culture psychologique française : aucun besoin de la notion de « genre » pour comprendre ce qu’il se passe et pour définir la solution médico- psychologique, dans l’intérêt de l’enfant. Au passage, dans un récent rapport qu’il avait eu à rendre sur le thème de l’ambiguïté génitale anatomique, le Conseil d’État a cité des travaux américains sans mentionner les travaux français pourtant d’envergure analogue – c’est dire le tropisme nord-américain de l’honorable institution, qui n’en est pas à son coup d’essai pour invalider la culture française.

Que le « ressenti » dise la vérité du sexe, vérité que prétend révéler la thèse du « gender », cela suppose d’accréditer la thèse du « mauvais corps », bref l’explication simpliste selon un « bug » corporel dont on prétend chercher la cause, qui serait « biologique » : tout est fait pour ne pas aborder le désarroi que traduit chez les jeunes le fait de ne pas se sentir bien dans son corps de garçon ou de fille, problématique sérieuse et prise avec le plus grand sérieux par les pédopsychiatres français – en refusant les théories factices nord-américaines.

Est-ce que l’Éducation nationale dans le programme EVARS commet une erreur dans l’appréhension du fait sexué chez l’enfant ? Comment la personnalité enfantine se construit ?

L’un des aspects qu’il faut souligner est le dévoiement que ce programme crée pour la fonction enseignante. Son rôle est de transmettre des connaissances validées. Or, le contenu de l’EVARS est infiltré, pour ne pas dire inspiré, par la thèse nord-américaine du « gender », dont au minimum il n’est pas tranché si elle relève de la connaissance avérée ou de la croyance. La « formation » des enseignants mise en avant par les autorités ministérielles, omet que la sexualité est de l’ordre du vécu, pas des apprentissages.

Surtout, la parole enseignante, de plus déployée en milieu collectif, n’est pas cadrée par les interdits familiaux (de l’inceste et du meurtre) qui par l’effet du lien filial en filtrent l’impact psychoaffectif sur les enfants. Le risque est dans le caractère troublant d’un tel enseignement, même par des professionnels respectueux, soulignant l’ambiguïté de prétendre que cet enseignement aurait une vertu préventive des abus sexuels et incestueux.

Les parents doivent être d’autant plus vigilants que l’EVARS peut être délégué à des associations agréées par l’Éducation nationale, dont le caractère militant leur a longtemps été caché. La question n’est pas de soupeser ce qu’il y aurait de valable dans ce programme EVARS : il doit être supprimé, purement et simplement. Et au passage suggérer que le ministère de l’Éducation nationale se concentre sur la chute libre de l’instruction publique en France et la perte vertigineuse du niveau des enseignants comme des élèves. C’est là sa mission.