
24 juillet 2025 • Analyse •
Le 9 juillet, le ministère chargé de la Lutte contre les discriminations a annoncé le financement d’une coalition d’associations, dont la mission est de signaler les propos « haineux » sur les réseaux sociaux. Pour Cyrille Dalmont, cette initiative soulève des interrogations quant au contrôle de la liberté d’expression par les pouvoirs publics.
Le 9 juillet dernier, Aurore Bergé, ministre chargée de la lutte contre les discriminations, annonçait le financement d’une coalition d’associations visant à signaler les propos jugés « haineux »» sur les réseaux sociaux. Cette délégation du contrôle numérique, subventionnée par l’État, est confiée à un front idéologique parfaitement homogène puisque presque exclusivement issues de la gauche et de l’extrême gauche : SOS Racisme, Osez le féminisme, le Planning familial, la Licra, le Crif, Flag!, la Fédération LGBTI+, etc.
Cette annonce, pour le moins inquiétante, est loin d’être un acte isolé quand on y regarde de près. Elle s’inscrit dans ce que nous nous hasardons à voir comme une mutation en cours de la fameuse « révolte des élites », théorisée par Christopher Lasch, en volonté de plus en plus assumée de mise sous tutelle de la population. Comment l’expliquer ?
La République a peur. Non plus peur de l’étranger comme en 1792 mais de ses propres citoyens, de leur parole libre, de leur lucidité réfractaire – fut-elle brutale, excessive, déplacée. Désormais, il est de moins en moins question de débattre, d’expliquer ou de convaincre et de plus en plus de contenir, de verrouiller, de faire taire, d’effacer. Mais à la différence d’un pays comme la Chine, la France, comme d’autres pays européens, a cette singularité qu’elle cherche à limiter la liberté d’expression… au nom de l’État de droit. Situation aussi cocasse que tragique quand on se souvient que l’État de droit s’est construit au fil du temps pour protéger les libertés que les peuples ont arrachées à l’État autoritaire.
Et puisque les mots ne suffisent plus à tenir le réel à distance, des parlementaires, de gauche comme de droite, cherchent à légiférer pour en interdire l’accès définitivement. D’un côté, des députés écologistes veulent abattre la « tyrannie du fait divers » et s’inquiètent de « l’instrumentalisation des faits divers, devenue méthode de cadrage de l’information sur certaines chaînes privées ». En réalité, il s’agit, comme ils aiment à le répéter, d’une attaque contre les médias du groupe Bolloré, accusés de briser l’unanimisme progressiste. Dans la même veine, le sénateur communiste Ian Brossat n’a rien souhaité de moins que l’interdiction du Figaro Magazine dans une diatribe publiée sur X le 4 juillet dernier. Le crime de l’hebdomadaire : la publication d’une une qui, selon Ian Brossat, incitait à la désertion fiscale.
De l’autre côté, une proposition de loi déposée par le député LR Vincent Jeanbrun souhaite sanctionner les contenus dits « anti-républicains » qui, si elle vise directement le séparatisme islamiste, reviendrait à rendre toute discussion impossible autour de ce qui n’est jamais qu’un régime politique : la République. Il est pourtant évident que tous les régimes démocratiques ne sont pas administrés sous la forme républicaine et ne sont pas pour autant moins légitimes. On attendra en outre, mais sans doute en vain, qu’on nous dise avec précision ce qui est républicain, donc admis, et ce qui ne l’est pas…
Ces propositions, issues de bancs opposés, dissimulent une réalité plus profonde : leurs auteurs, qu’ils siègent à gauche ou à droite, appartiennent à ce qu’il faut bien appeler le « bloc élitaire ». Un bloc qui, sentant sa légitimité vaciller, cherche moins à convaincre qu’à museler les récits concurrents. On peut synthétiser cette tentation par la formule présidentielle récente : « il y a un brainwashing sur les faits divers ». Affirmation que l’on pourrait résumer ainsi : je sais, moi, ce qui est important ; tout discours discordant n’est que « lavage de cerveaux » et doit donc être prohibé.
Ces divers exemples témoignent, croyons-nous, d’une angoisse partagée par ceux qui gouvernent ou y aspirent face à des Français qui n’écoutent plus et ne croient plus la parole politique ni le discours médiatique.
Car ce que nos gouvernants redoutent sans doute le plus, ce n’est pas l’outrance de certains discours, ni la violence de certaines images : c’est l’impossibilité d’empêcher leur visionnage par des millions de citoyens ainsi confrontés au réel, si brutal soit-il. La prolifération des vidéos amateurs, la viralité des témoignages, l’omniprésence des réseaux sociaux ont mis à bas le monopole de la description du réel. Non pas que celles-ci puissent prétendre à dire tout le réel, mais forcément un peu, au moins une facette. Il ne suffit plus en somme de déclarer que la situation est sous contrôle, encore faut-il que personne ne puisse prouver le contraire. Or, c’est là que le bât blesse.
Après les tentatives de censure préventive de la loi Avia, les menaces de coupure des réseaux sociaux au moment des émeutes de 2023 brandies par Emmanuel Macron ou encore la peine complémentaire — finalement retoquée — de bannissement numérique prévue dans la loi SREN (21 mai 2024), l’exécutif est passé de l’expérimentation autoritaire à l’installation durable du contrôle. Désormais, les mesures s’enchaînent : suppression de chaînes de télévision (C8, NRJ12), blocage de comptes sur les réseaux sociaux, filtrage algorithmique, désindexation silencieuse (imposée aux plateformes par le biais du règlement européen DSA) et harcèlement judiciaire méthodique. Les cibles sont connues : Valeurs Actuelles, Le Journal du Dimanche, Frontières, Le Figaro, Europe 1, Causeur, Cnews, etc.
Toutes ces atteintes aux libertés d’expression, d’information, de communication, d’association et même de conscience, sont présentées comme autant de sacrifices nécessaires au bien commun et à la sauvegarde de la démocratie. Pour lutter contre la haine, pour défendre la République, pour protéger les esprits les plus fragiles. En oubliant l’avertissement de George Orwell : « si la liberté signifie quelque chose, c’est le droit de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre »…
Ce que cette lente dérive normative révèle, c’est sans doute une fracture idéologique mais c’est d’abord une panique incontrôlée. Celle d’un personnel politique qui ne tient plus que par la maîtrise du récit et qui voit cette maîtrise lui échapper. Qui préfère criminaliser la parole plutôt que d’assumer quarante ans d’échecs politiques : laxisme pénal, impuissance migratoire, abandon scolaire, déroute médicale, paupérisation des classes moyennes, perte d’autorité de l’État, etc. Toutes les factures arrivent à échéance en même temps mais « Nicolas ne veut plus payer », même quand le système médiatique tente de le culpabiliser en le stigmatisant.
Les peuples ne sont certes pas toujours raisonnables et les réseaux sociaux ne sont pas toujours fréquentables. Mais le problème ne se situe plus à ce niveau. Le vrai basculement que nous vivons en ce moment, c’est celui d’un pouvoir qui ne veut plus convaincre, mais contraindre. Des élites qui, au lieu de représenter les Français en les éclairant sur les conséquences de leurs choix, préfèrent les museler pour mieux ignorer leur volonté et risquent, ce faisant, de consumer définitivement le lien déjà fragilisé entre gouvernés et gouvernants.