
30 juillet 2025 • Opinion •
La France est la grande perdante de la nouvelle architecture avec les États-Unis, actée le 27 juillet. Notre pays est marginalisé dans les négociations, ses lignes rouges sont ignorées, ses secteurs clés peu défendus.
Sous pression des menaces tarifaires de Donald Trump, l’Union européenne a présenté le 27 juillet un accord commercial d’urgence avec les États-Unis. Objectif affiché : éviter une guerre économique. Mais derrière ce compromis de façade, un constat s’impose : la France, une fois encore, n’en ressort ni gagnante, ni protégée. Pire encore, elle semble de plus en plus marginalisée dans les arbitrages européens en matière de politique commerciale.
L’accord prévoit l’instauration d’un tarif douanier de 15 % sur la majorité des exportations européennes vers les États-Unis, en lieu et place des hausses de 30 à 50 % que Donald Trump menaçait d’appliquer dès le 1er août. En contrepartie, l’Union européenne s’engage à acheter pour 750 milliards de dollars de produits énergétiques américains — gaz, pétrole, combustibles — et à soutenir jusqu’à 600 milliards de dollars d’investissements européens dans l’économie américaine, essentiellement via des projets privés déjà engagés. Si l’Allemagne, dont les intérêts industriels étaient directement menacés, se félicite d’un « moindre mal », la France y voit, à juste titre, un recul stratégique.
Paris s’était pourtant montré l’un des seuls États membres à défendre une ligne de fermeté, plaidant pour l’activation d’outils de contre-coercition face aux intimidations américaines. Mais c’est la position allemande, plus conciliante, qui a prévalu à Bruxelles. Résultat : un accord bancal, qui valide l’ultimatum de Washington sans obtenir de véritable réciprocité. François Bayrou, Premier ministre, n’a pas mâché ses mots : « acte de soumission », « jour sombre pour l’Europe ». De son côté, le ministre délégué chargé de l’Europe Benjamin Haddad a dénoncé un compromis « déséquilibré », décrivant une situation non-durable malgré une stabilité temporaire.
La déception française s’inscrit dans une séquence plus large de renoncements répétés sur fond de compromis européens déséquilibrés. En décembre 2024, l’Union européenne a officiellement conclu l’accord de libre-échange avec le MERCOSUR, après des années de négociations initiées en 2019. La France y défendait la souveraineté alimentaire, la protection de son modèle agricole et le respect d’exigences environnementales minimales. Mais à Bruxelles, c’est une fois encore la logique allemande qui a prévalu, l’accord ayant été finalisé au bénéfice des constructeurs automobiles et des exportateurs d’équipements, au prix d’importations massives de produits agricoles sud-américains à bas coût. Résultat : les normes sociales et écologiques françaises ont été marginalisées, le principe de réciprocité vidé de sa substance et les intérêts agricoles sacrifiés sur l’autel du commerce. L’Allemagne y a obtenu des débouchés pour son industrie. La France, elle, a dû se contenter d’un texte qu’elle n’a ni soutenu ni inspiré. Ce précédent a durablement entamé la confiance dans une Europe commerciale supposément solidaire, mais où les rapports de force internes relèguent systématiquement les priorités françaises au second plan.
Dans la nouvelle architecture avec les États-Unis actée le 27 juillet, l’Allemagne voit avant tout un soulagement pour ses grandes entreprises industrielles, notamment l’automobile, en évitant une hausse catastrophique des tarifs. L’Italie, de son côté, adopte une posture prudente, saluant un accord qui écarte une guerre économique mais sans revendiquer de gains clairs pour ses secteurs-clés. La France, dont les intérêts sont plus diffus, reste sans véritable levier. Si le secteur aéronautique devrait bénéficier d’une exemption claire, d’autres filières à forte valeur ajoutée – cosmétiques, spiritueux, produits pharmaceutiques ou luxe – sont renvoyés à de futures discussions, sans garantie, hormis quelques exceptions limitées pour les génériques. Ce déséquilibre est d’autant plus criant que la France n’a jamais été hostile par principe au commerce transatlantique. Elle demandait simplement une approche équilibrée, respectueuse de ses filières et de ses choix stratégiques.
Ce sentiment de déclassement est d’autant plus préoccupant qu’il semble devenir structurel. La France est de plus en plus isolée au sein de l’Union sur les sujets commerciaux. Elle est marginalisée dans les négociations, ses lignes rouges sont ignorées, ses secteurs clés peu défendus. Alors qu’elle porte une vision de l’autonomie stratégique européenne fondée sur la réciprocité et l’équité entre États membres, elle se heurte à une majorité d’États plus enclins à conclure des accords à tout prix, même au détriment de leur cohérence politique.
L’accord UE-États-Unis n’est pas un traité commercial ambitieux, ni une victoire stratégique. C’est un pacte de désescalade signé dans la précipitation, qui offre à Trump un succès politique à peu de frais. L’Union européenne y sacrifie sa cohésion interne, sa crédibilité externe, et sa capacité à négocier d’égal à égal. Et la France semble destinée à en payer le prix.