Satellites · L’UE doit disposer d’une constellation autonome et résiliente

Cyprien Ronze-Spillaert, chercheur associé à l’Institut Thomas More

27 août 2025 • Opinion •


Avec leur connectivité rapide et leur couverture étendue, les constellations en orbite basse sont essentielles pour les opérations militaires. L’Europe doit rattraper son retard dans leur déploiement et en faire un objectif de souveraineté, plaide Cyprien Ronze-Spilliaert, chercheur associé à l’Institut Thomas More mais aussi au Centre de recherche de la Gendarmerie nationale et enseignant à l’université Paris-Dauphine.


Fin juillet, la Chine a lancé plusieurs lots de satellites en vue de constituer un vaste réseau internet depuis l’espace, à l’instar du géant américain Starlink. Ces satellites sont déployés sur orbite terrestre basse afin de créer une « constellation Internet » offrant une connectivité ultra-rapide et une couverture très étendue.

Il s’agit là d’un investissement stratégique : non seulement, les constellations en orbite basse constituent un progrès économique important pour les zones reculées ne bénéficiant pas de la 5G, mais surtout, elles sont devenues inévitables dans le domaine militaire. Par exemple, les frappes de drones, nouvelles « reines des batailles » comme nous l’enseigne la guerre en Ukraine, nécessitent une connectivité haut débit permanente pour atteindre leur cible. De fait, jamais les Ukrainiens n’auraient pu mener à bien leur opération « Toile d’araignée » sans les services de Starlink.

Force est de constater que dans ce domaine critique, les États-Unis et la Chine ont pris une longueur d’avance. L’emblématique constellation Starlink de SpaceX, l’entreprise spatiale d’Elon Musk, a d’ores et déjà déployé 7 000 satellites (et en vise 42 000 à terme), ce qui représente près de 60 % des satellites basse orbite déployés dans le monde. Amazon a également lancé les premiers satellites de son projet de constellation Kuiper (3 000 satellites prévus à terme). De son côté, Pékin n’est pas en reste : sa constellation Guowang, à un stade déjà bien avancée, devrait compter à terme 13 000 satellites.

L’Union européenne est donc à la traîne : le leader européen, l’opérateur français Eutelstat, ne déploie qu’un réseau de 630 satellites (formant la constellation oneWeb). Si la Commission européenne a lancé au niveau européen le projet de constellation IRIS² (Infrastructure de résilience, d’interconnectivité et de sécurité par satellite), ce dernier ne devrait être opérationnel qu’en 2030 et ne compter que 300 satellites.

L’urgence est pourtant là : en cas de crise aux frontières à l’Est de l’Europe, l’UE doit pouvoir compter sur un réseau satellitaire de qualité pour mener à bien des frappes de drones ciblées. Pour mémoire, en septembre 2022, l’Ukraine avait été incapable de mener une frappe sur Sébastopol en raison du refus d’Elon Musk d’activer le réseau Starlink. La France et l’Europe ne peuvent se résoudre à dépendre de l’aval d’un pays, les États-Unis, voire d’un seul homme, Elon Musk, pour leurs opérations militaires.

Dès lors, l’intérêt d’investir massivement dans IRIS² et, plus précisément, dans l’entreprise phare du projet Eutelstat, est clair. Cet intérêt n’est pas seulement stratégique, il sera source de retombées économiques positives pour l’Union européenne, et ce dans de nombreux secteur civils. Par exemple, la SNCF prévoit de lancer, d’ici la fin de l’année, un ambitieux appel à projet pour améliorer la connexion dans ses trains via des satellites en orbite basse. Starlink et Eutelstat ont déjà annoncé se porter candidat. Tout soutien public au champion européen des satellites en orbite basse pourrait favoriser une entreprise européenne face à ses concurrents américains.

Mais toute ambition dans le spatial nécessite l’unité des Européens. Or, celle-ci est loin d’être acquise : l’Allemagne envisage de lancer son propre projet de satellites en orbite basse, pour un montant d’environ 15 milliards d’euros. Il s’agit d’un non-sens industriel et militaire : ce n’est qu’au niveau européen que nous pourrons bâtir une constellation susceptible de concurrencer les réseaux américains et chinois. En effet, outre les coûts élevés du projet nécessitant la contribution de tous les États membres, seule des économies d’échelle, garanties par un large réseau européen d’utilisateurs privés comme publics (notamment militaires), offriront les débouchés requis pour rentabiliser une constellation de haut niveau.

Alors que la Commission européenne a proposé un projet de budget pluriannuel 2028-2034 ambitieux dans le domaine de la défense et du spatial, et que les négociations avec le Parlement européen et les États membres commenceront à la rentrée, il est urgent de faire du projet IRIS² une priorité européenne pour ces prochaines années.

Ces dernières années, les efforts pour avancer vers une défense européenne ont souvent déçu, la Commission ayant eu du mal à trouver sa place dans un domaine hautement sensible et relevant par essence de la souveraineté des États. Mais avec le projet IRIS², l’UE tient enfin ce projet spatial et militaire majeur pour lequel l’action au niveau européen est légitime et même naturelle. IRIS² n’est pas seulement une nécessité ; ce projet sera un catalyseur de la défense européenne, à l’heure où les 27 savent qu’ils ne peuvent plus compter sur les États-Unis.