
3 septembre 2025 • Opinion •
Quand la fête se fait sur les cendres, c’est que nous ne savons plus distinguer la vie de la mort, le respect du mépris. Analyse d’Yves d’Amécourt, viticulteur, ancien élu local de Gironde, référent ruralité de Nouvelle Énergie et membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More.
Ils sont venus par milliers, comme des insectes attirés par la lumière, s’installer au milieu des terres calcinées de l’Aude. Des hectares de forêts et de vignes partis en fumée, des collines noires comme des plaies ouvertes, nécrosées, et sur ce théâtre de désolation, les enceintes crachent leur vacarme. On danse dans les cendres. On boit, on se drogue, et on rit sur le cadavre encore fumant d’un paysage meurtri (l’incendie d’août a ravagé près de 16 000 hectares dans l’Aude, détruisant 36 habitations et causant la mort d’une personne). Le drame n’est pas seulement dans l’image : il est dans l’impunité. Car l’État, en ces temps modernes, se dresse comme une statue de sel.
On ne peut pas dire que la loi soit absente. Bien au contraire : notre arsenal juridique est abondant et précis. Il punit la violation de domicile et l’intrusion sur une propriété privée. Il impose aux organisateurs de raves de plus de 500 personnes de se déclarer en préfecture un mois à l’avance, sous peine de sanctions pénales. Depuis 2023, il sanctionne même d’une contravention de 135 euros le simple fait de pénétrer sans autorisation dans une propriété rurale ou forestière. La question n’est donc pas l’absence de règles : c’est leur application.
Car pour faire respecter la loi, encore faut-il en avoir la volonté et les moyens. Sur ce terrain brûlé de l’Aude, nous n’avons vu ni l’Office français de la biodiversité (OFB), pourtant compétent pour verbaliser les intrusions et constater les atteintes à l’environnement, ni une action résolue des pouvoirs publics pour mettre fin au désordre. Il y avait bien des gendarmes et des CRS, casqués et équipés, mais leur rôle semblait incertain : étaient-ils là pour sanctionner les teuffeurs, ou pour dissuader les propriétaires et les agriculteurs de défendre eux-mêmes leurs terres ? La scène avait des airs de paradoxe : la force publique, censée protéger les victimes, semblait se dresser en rempart… mais pas du bon côté.
Le monde à l’envers
Pendant quatre jours, l’État a regardé la fête s’installer et prospérer. Quatre jours de désordre, de dégradation, d’atteintes à la propriété privée et à l’environnement. Ce n’est pas la loi qui manque, mais l’autorité pour la faire vivre. C’est un peu comme si la République avait confié les clés de la maison commune à ceux qui veulent la dévaster, tout en gardant ses serrures pour des citoyens respectueux des règles.
C’est le monde à l’envers : on protège les squatteurs, on suspecte les victimes. On applaudit la transgression, on méprise la propriété. L’herbe n’a pas eu le temps de repousser que déjà l’insolence se plante sur le sol nu, comme une provocation à la mémoire de ce qui fut. Nos valeurs se retournent sur elles-mêmes, comme un vêtement trop usé qui ne sait plus quel est l’endroit et quel est l’envers.
On nous répète que c’est un problème d’éducation. Non : c’est une question de civilisation. Quel peuple sommes-nous, qui tolère qu’on saccage les champs d’autrui, qu’on profane des terres blessées, qu’on tourne en dérision la peine des habitants et celle des paysans ? Quel État est-ce là, qui protège davantage ceux qui violent que ceux qui sont violés ? Quelle République, sinon une République fatiguée, résignée, bureaucratique, qui regarde les flammes puis les fêtards, sans plus trouver la force de dire « non » ?
Il n’y a pas de civilisation sans limites, pas de liberté sans règle, pas de droit sans devoir. Lorsque tout devient permis, tout finit par être détruit. Aujourd’hui les forêts, les vignes, les champs, demain les villages. Ce n’est pas seulement une rave-party dans l’Aude : c’est un avertissement lancé au pays. Quand la fête se fait sur les cendres, c’est que nous ne savons plus distinguer la vie de la mort, le respect du mépris, la liberté de l’anarchie. C’est une nouvelle barbarie.
La question est là, brûlante comme la braise sous les pas des danseurs : que reste-t-il de nous ?