
9 octobre 2025 • Opinion •
À l’heure où la France sombre économiquement et où toute réforme d’envergure est rendue impossible, le pays a besoin de dirigeants courageux et capables d’assumer l’impopularité comme les injures pour entamer de vraies transformations, estime Chantal Delsol dans un article publié aujourd’hui par Le Figaro sous le titre « Seul un grand homme au geste brutal peut accomplir les changements nécessaires ».
Notre modèle social fait de la France le pays le plus égalitaire du monde, celui où les services essentiels sont gratuits, où plus de la moitié des foyers ne paye pas d’impôts sur le revenu pendant que l’autre moitié verse les impôts les plus élevés au monde. Pourtant les Français crient majoritairement à l’inégalité, et réclament encore plus de gratuité et moins d’impôts, alors que les finances du pays s’effondrent. Il ne faut pas croire que le modèle social égalitaire ne serait pas viable : les pays scandinaves nous démontrent que c’est un choix de société durable sous condition de vigilance et d’éviter un État-guichet en forme de tonneau des Danaïdes. Ce n’est pas le modèle égalitaire qui nous entraîne par le fond, c’est l’idéologie égalitariste. La France sombre économiquement parce qu’elle est le dernier pays socialiste du monde.
Un pays socialiste, comme on l’a vu partout au XXe siècle, court naturellement à la faillite et ne peut durer quelque temps que s’il ferme ses frontières. La mentalité française, de droite et de gauche (depuis le RN jusqu’à la gauche de Mélenchon) ne se sentirait bien que dans L’État commercial fermé de Fichte, où les frontières sont bouclées et d’où l’argent ne peut pas sortir. On se souvient que l’une des premières mesures de François Mitterand en 1981 avait été de limiter drastiquement les sorties de fond – ce qui serait la seule solution à cette question brûlante qui nous assaille depuis que nous avons pris conscience de la dette : comment « faire payer les riches » en les empêchant de quitter le pays avec leur fortune ?
Il est bien difficile aujourd’hui d’éviter la mondialisation, et la France, qui a longtemps refusé les comparaisons en arguant de l’exception surnaturelle de son modèle, se voit aujourd’hui dépassée partout. Cela, parce qu’elle n’a pas accompli les réformes nécessaires à un pays du XXIe siècle, confronté à la concurrence mondiale partout, et qui ne peut plus financer son confort comme à l’époque des Trente Glorieuses. Il faudrait réformer l’hôpital littéralement moribond sous le poids d’une bureaucratie pléthorique qui dévore sa substance. Il faudrait réformer entièrement l’école, par exemple en mettant en place le chèque scolaire pour permettre le développement d’écoles autonomes contrôlées par l’État. Ces deux institutions essentielles ne vivent plus que par l’extraordinaire dévouement de leur personnel sous-payé et sous-doté. Mais elles se dégradent de jour en jour.
Il faudrait pour cela des gouvernants courageux, capables de mettre en place de vraies et grandes réformes dont nous avons un urgent besoin. Il est extraordinaire, par exemple, que depuis le tournant du siècle, aucun gouvernant n’ait suscité le développement d’une retraite par capitalisation, afin de répondre au déficit de natalité et de prévoir à moyen et long terme. Et cela, parce que ce type de retraite est déconsidéré dans un pays socialiste comme le nôtre, où, finalement, les seuls qui se sont créé une retraite par capitalisation sont… les fonctionnaires de l’Éducation nationale qui votent Mélenchon. Les idéologues s’organisent pour ne pas pâtir eux-mêmes des conséquences de leur idéologie…
Nos gouvernants de droite ou de gauche modérées savent parfaitement que le pays est entraîné dans un tourbillon d’idéologie de type socialiste, qui représente en France une maladie chronique, et où le pays risque cette fois de laisser sa peau. Il faut préciser entre parenthèses que les gouvernants en question sont sujets à d’autres dérives idéologiques, mondialistes celles-là, dont les peuples sont exempts – mais en ce moment le danger pressant c’est le socialisme populaire, aussi irresponsable chez la droite extrême que chez la gauche extrême. Nos gouvernants devraient alors faire preuve de courage et de subtilité : profiter des rares moments d’état de grâce pour engager des réformes – Emmanuel Macron, on s’en souvient, avait écrit avant son élection un livre qui s’appelait Révolution. Pourquoi n’a-t-il pas tiré parti des périodes propices ?
Mais c’est une constante : tous nos gouvernants sans exception font de grands discours pour dire qu’ils vont renverser la table, et finalement se contentent de déplacer quelques fonctionnaires ou d’ajouter une heure de maths, de supprimer à grand bruit le chauffeur d’une éminence retraitée ou de proposer (en reculant aussitôt) d’enlever un jour férié. Ce n’est pas du tout avec ces bouts de ficelle, assortis de discours interminables et pontifiants, que le pays s’en sortira.
Pourquoi aucun gouvernant courageux ne s’est-il présenté, insoucieux des injures qui pourraient pleuvoir, prêt à assumer l’impopularité et à se mettre lui-même en jeu pour des réformes d’envergure ? Parce que nous avons une classe politique engoncée dans son confort, sortant de soixante-dix ans de prospérité et incapable de la moindre audace. Facilité, frivolité, mondanité. Et en même temps, discours sentencieux à la mine grave, attestant de leur « humilité », mot à la mode chez les politiques et décrivant non pas des réformes précises à accomplir (ce serait trop voyant, trop dangereux), mais les résultats à attendre, que le discours suffirait à produire puisqu’il se croit performatif. Pendant que notre peuple a été corrompu par des décennies d’idéologie socialiste, notre classe politique a été littéralement pourrie par des décennies de dissipation, de vanité et d’inconstance.
Nos gouvernants savent très bien ce qu’il faudrait faire : exiger des élèves qu’ils apprennent vraiment au lieu de donner les diplômes à tous par esprit égalitaire, supprimer une partie substantielle de la bureaucratie dans les hôpitaux pour que l’argent aille là où est le besoin, appliquer les lois au lieu de produire sans cesse des encombrements de lois qui ne sont jamais appliquées (et cela vaut pour la sécurité, pour l’immigration), filtrer drastiquement l’État-guichet qui ne compte pas ce qu’il donne et en général engager le débat et le combat de front avec les idéologies socialistes (à droite comme à gauche) qui sont devenues, finalement, des bastions réactionnaires. On peut regretter le bon vieux temps des cheminots et des Trente Glorieuses, mais une chose est sûre : nous n’y retournerons pas.
Aucun gouvernant n’a le courage d’aller dire cela au pays et d’annoncer les réformes de structures dont nous avons besoin. Tous ont peur de la rue, de l’injure, de la grève, du qu’en-dira-t-on. Dans les chancelleries, on chuchote qu’on ne peut plus rien faire avec un tel pays, et qu’on attend un Consulat. Rêve de De Gaulle, de Bonaparte, typique d’un pays si centralisé depuis si longtemps, si peu démocratique, que seul un grand homme au geste brutal peut accomplir des changements nécessaires. Rêve dangereux, qui hante le pays décrit ainsi par Tocqueville : « Plus capable d’héroïsme que de vertu, de génie que de bon sens, propre à concevoir d’immenses desseins plutôt qu’à parachever de grandes entreprises ; la plus brillante et la plus dangereuse des nations de l’Europe ». C’est ainsi, parés de notre génie, que nous courons à la catastrophe.