Il est encore temps de contrer le dévastateur capitalisme d’État chinois

Laurent Malvezin, chercheur associé à l’Institut Thomas More

23 octobre 2025 • Analyse •


La 4e réunion plénière du Parti communiste chinois se tient cette semaine pour définir les grandes lignes de la politique économique du prochain plan quinquennal. Pour Laurent Malvezin, il risque de provoquer de réels bouleversements dans une situation géopolitique déjà tendue. Il est urgent que les Occidentaux, en particulier les Européens, prennent la mesure des effets dévastateurs du capitalisme d’État chinois sur le monde.


La 4e réunion plénière, ou Plenum, du parti communiste chinois (PCC) se déroule cette semaine à Pékin dans un contexte international dominé par une nouvelle passe d’armes médiatique et règlementaire entre Washington et Pékin pour la domination technologique et commerciale mondiale. Il s’ouvre en outre à moins de deux semaines de la tenue du sommet de l’APEC (Forum de coopération économique pour l’Asie-Pacifique), qui débute le 31 octobre en Corée du sud. La proximité de ces deux événements explique en grande partie le climat de haute tension de la relation bilatérale sino-américaine.

Xi Jinping veut apparaître en position de force au Plenum où son bureau politique présentera les grandes lignes de la politique économique du prochain plan quinquennal (2026-2030). Donald Trump estime toujours pouvoir réaliser un « coup d’éclat » diplomatique en Corée et parvenir à un accord, même provisoire, à l’occasion d’un tête-à-tête avec Xi Jinping.

Les récentes déclarations du Secrétaire au Trésor américain, Scott Bessent, et du négociateur au commerce (USTR) Jamieson Greer, laissent cependant à penser que l’administration américaine a été surprise par l’annonce chinoise d’un paquet de mesures concernant le renforcement du contrôle à l’exportation de ses terres rares, d’une portée extraterritoriale. Bruxelles, de son côté, veut parvenir à une réponse conjointe avec Washington et les partenaires du G7 face au durcissement du régime chinois de contrôle des exportations.

Cependant, les mesures chinoises ne doivent pas être comprises seulement comme des contre-mesures aux récentes décisions tarifaires américaines. L’annonce d’un nouveau paquet de mesures du ministère chinois du commerce, le 9 octobre dernier, est en réalité l’aboutissement logique et programmé de la montée en puissance d’une doctrine offensive de politique commerciale extérieur, actée lors d’un précédent Plenum (le 5e plenum du 19e Comité central du PCC en 2020). Encapsulée et marketée avec un certain succès dans la formule cryptique de « double circulation », elle vise à la création d’un marché intérieur unifié – circulation intérieure – pour accroître la force centripète de son méga-marché domestique et, pour ce qui concerne la « circulation extérieure », à la prise de contrôle des chaines de valeurs mondiales.

Le 15e plan, qui sera entériné lors du Plenum mais rendu public au printemps prochain, consacrera une nouvelle phase d’approfondissement de cette politique économique extérieure offensive, avec des implications économiques et géostratégiques fortes pour l’Europe. Car, si la rivalité sino-américaine est le ferment de cette politique, l’Europe n’est pas qu’un « dommage collatéral » mais bien une cible prioritaire pour Pékin qui ne cesse depuis trente ans de pratiquer le dumping, les aides d’État illégales et les contournements de règles pour imposer sa « circulation extérieure » aux États membre de l’Union.

L’impasse semble totale dans la gestion du fait géoéconomique chinois. Bruxelles cherche désespérément la parade. Le cas de l’acier fournit une toute récente illustration de la situation. Le 7 octobre, la Commission a proposé un nouveau mécanisme pour remplacer la clause de sauvegarde actuelle sur l’acier, renforcée le 1er avril dernier. En outre, les importations d’acier au-delà de ce quota seraient soumises à un droit de douane de 50 %, soit le double du taux actuel (25 %). La Commission propose aussi une règle dite « melt and pour » (fondu et coulé) : l’importateur devra déclarer l’origine du minerai, précisément l’endroit où l’acier a été fondu et coulé, pour limiter les contournements. Si elle vise spécifiquement la Chine et sa politique, la Commission se refuse toujours de mettre en place de quota par pays (« country-specific ceilings ») pour cette nouvelle phase. La Commission explique ce paradoxe en invoquant les règles de l’OMC. Seule une approche non ciblée évite l’apparence de « discrimination » pays par pays. Mais, en prétendant vouloir lutter contre les « surcapacités mondiales », et non spécifiquement chinoises, elle ne fait que retarder le moment fatidique d’une sortie de sa ligne agnostique ou neutre, qui devient intenable.

Notre répertoire, puisé dans la panoplie des mesures de défense commerciales autorisées par l’OMC, est prévisible. Au contraire, les artifices et dispositifs chinois de contournement sont illimités car ils se conçoivent et se mettent en œuvre – depuis 2001 – en dehors des règles multilatérales par un pouvoir centralisé et fort. Cette asymétrie d’intentions et de moyens n’est pas accidentelle et procède bien d’une volonté chinoise de refus de positionner ses entreprises sur un terrain de jeu commun, en concurrence avec les autres entreprises, qui supposerait le respect de règles communes. C’est pourquoi il est illusoire de vouloir entrer en compétition avec la Chine : il y a vice de construction de l’espace des échanges bilatéraux.

Cela vient expliquer pourquoi nos dépendances se sont accrues depuis 2023 malgré la mise en place d’une politique de diminution des dépendances et du risque chinois (« de-risking ») par la Commission européenne. Pékin a su anticiper ce qui relevait d’un durcissement réglementaire, avec le renforcement ou la création de règles et d’instrument nouveaux, mais invariablement limités au répertoire classique d’économie de marché.

Les nouvelles mesures chinoises sur les technologies terres rare set les aimants durcissent l’accès européen au savoir-faire, aux services techniques et aux licences venues de Chine. Cela rend plus difficile, plus lent et plus cher de bâtir rapidement des capacités « local content » en Europe (extraction, raffinage, etc.). Bien que n’empêchant pas l’UE d’instaurer des dispositifs pro-localisation (NZIA), elle se doit de les concevoir OMC-compatibles, si l’on peut dire. Alors que nous – Français, Européen – hésitons à franchir le pas pour cibler spécifiquement la Chine, cette-dernière fait le chemin inverse : elle cible les États-Unis et étend mécaniquement ses mesures à l’ensemble des pays aux économies avancées et tout particulièrement l’Europe.

Aussi, le principe de « neutralité », cher à la Commission, est-il un principe obsolète. Il entretient un déni de réalité. C’est bien la Chine qui est à l’origine de ce grand dérèglement des échanges mondiaux : son système d’ « économie de marché socialiste », est un capitalisme d’État qui est la source de toutes de ces « distorsions de marché ». La Chine bénéficie d’un système dérogatoire général auquel il faut mettre fin.

Entendons-nous bien, il ne s’agit pas ici de plaider sortir des règles de l’économie de marché mais de cesser de vouloir appliquer sa doctrine du libre-échange, qui ne peut s’appliquer que si tous les pays jouent une seule et même partition. Le « capitalisme d’État » est devenu le point aveugle du système OMC. Le système multilatéral a été bâti sur une fiction : les États créent le cadre mais les acteurs du commerce sont privés et répondent à la logique du marché. La Chine démontre qu’un État peut rester central dans le capital et l’allocation du crédit tout en étant profondément inséré dans le commerce mondial.

Les États membres ont laissé ce vice de construction saper les principes mêmes de l’OMC. L’affaire China-State-Owned Enterprises n’a jamais été menée à terme, faute de consensus sur ce qu’est une « subvention d’État », ni quand l’État est à la fois actionnaire et régulateur. Ce contentieux posait en creux la question centrale du capitalisme d’État chinois. Un groupe spécial fut constitué mais les procédures ont été suspendues en 2019, à la demande conjointe de l’UE et de la Chine, probablement pour laisser place à la négociation bilatérale – négociation de l’accord sur les investissements, mort-né, et pour éviter un précédent trop sensible. Ce cas montre que l’OMC n’a pas d’outils conceptuels pour encadrer un capitalisme d’État systémique, dirigé par un parti unique et omnipotent dans les affaires économiques. C’est l’un des points de blocage majeurs de la réforme de l’OMC.

Pour espérer amener la Chine à envisager une autre politique, il faudra s’attaquer tôt ou tard aux fondements de sa politique économique. A défaut, son 15ème plan quinquennal risque d’être plus dévastateur encore pour nos économies.