Octobre 2013 • Note de Benchmarking 16 •
La révolution du gaz de schiste aura-t-elle lieu en Europe ? En cet automne 2013, il est bien difficile de répondre à cette question. Alors que les États-Unis, dont la production était de 55 milliards de mètres cubes en 2008 et autour de 260 milliards de mètres cubes en 2012, s’y sont engagés à plein avec des conséquences positives sur le coût de l’énergie (donc sur la compétitivité des entreprises, sur la croissance et sur l’emploi) et un impact majeur sur leur politique étrangère (donc sur l’équilibre du monde), les pays européens y vont d’un pas plus hésitant… et surtout plus confus. François Hollande le reconnaissait lui-même lors de la Conférence environnementale de septembre dernier : « En Europe, il n’y a pas la même politique énergétique qui est suivie par chacun des pays membres, je ne vous apprends rien. Certains sont sortis du nucléaire, d’autres n’y étaient jamais entrés. Certains évoquent le gaz de schiste, d’autres s’y refusent. Certains réutilisent des centrales au charbon, ferment des centrales à gaz. C’est dire la situation dans laquelle nous sommes… ». Comment y voir clair ?
Car, de fait, les échos les plus contradictoires sont envoyés. Ainsi, alors qu’il avait rejeté, en novembre 2012, un amendement proposant d’interdire la fracturation hydraulique dans l’Union européenne, le Parlement européen vient d’envoyer un signal contraire en exigeant qu’à l’avenir, tout projet d’exploration et d’extraction de gaz de schiste fasse « obligatoirement » l’objet d’une étude d’impact sur l’environnement. Cette décision constitue la base pour les négociations avec les États. On ne sait plus sur quel pied danser ! Et l’on s’étonne de cette incapacité à mener un débat serein sur un enjeu de taille compte tenu des défis énergétiques qui nous attendent. D’après l’Energy Information Administration (EIA) américaine, l’Europe disposerait de près de 25 000 milliards de mètres cubes de gaz de schiste techniquement récupérables dans ses sous-sols. Nous n’ignorons pas les réserves que l’on peut avoir sur les chiffres de cette étude américaine, qui a fait couler beaucoup d’encre – nous y revenons plus loin. Mais elle a permis, jusque dans les excès de ses estimations, d’ouvrir le débat sur ce que l’exploitation de ces réserves pourrait, ou non, changer sur le Vieux continent.
Néanmoins, du côté des États membres, les pays qui s’engagent, chacun à sa manière, sur la voie de l’exploration sont de plus en plus nombreux. Certains l’ont déjà fait, comme la Hongrie, la Pologne ou le Royaume Uni. D’autres, plus prudents jusque-là, les rejoignent : c’est le cas de l’Allemagne, dont on attend des avancées du prochain gouvernement, de l’Espagne, qui adopte une nouvelle législation en ce mois d’octobre 2013, du Danemark et de la Roumanie. Seules la France et la Bulgarie, à ce jour, ont maintenu l’interdiction pure et simple de la technique de la fracturation hydraulique.
En France, dont l’actuelle majorité a maintenu la politique de la précédente, le débat a été relancé au mois de juin dernier par le rapport Bataille et Lenoir. Ces parlementaires, l’un PS, l’autre UMP, réclament que des explorations soient entreprises et estiment que la technique de la fracturation hydraulique peut être employée sous conditions. On attend en outre pour le 11 octobre l’avis du Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité de la Loi N°2011-835 du 13 juillet 2011 « visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique », dite « loi Jacob ». Sans plus de question, le gouvernement a déjà opposé une fin de non-recevoir à la réouverture du dossier : « le gouvernement est prêt à déposer un texte qui maintiendra cette interdiction de la fracturation hydraulique », a déclaré Philippe Martin, le ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie. Circulez, il n’y a rien à voir…
Les choses bougent pourtant vite en Europe et la France est de plus en plus isolée dans sa position radicale et, au fond, assez idéologique. Faire le point sur les éléments tangibles de cette possible révolution et contribuer à un débat plus serein et objectif, telle est l’ambition de cette présente note. En s’appuyant sur les données disponibles ou recueillies par nos soins pour 14 pays européens, elle permet de se faire une idée un peu plus précise de la question si controversée de l’estimation des réserves, de l’évolution des législations, de l’état du débat public dans chacun de nos pays et des enjeux stratégiques liés.