20 juin 2017 • Opinion •
Ce 22 juin, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne examinent les progrès accomplis en vue du renforcement de la coopération en matière de sécurité extérieure et de défense. De fait, les innovations de la Commission européenne, avec la création d’un « fonds commun » de financement (7 juin 2017), et la décision des Vingt-Huit d’établir un état-major stratégique opérationnel ont redonné de la vigueur au thème de la défense européenne. Il importe de ne pas s’installer dans le temps de la finalité accomplie.
La solidarité occidentale n’est pas vaine
A certains égards, le contexte semble favorable à de telles initiatives. La conjugaison de menaces à l’Est et au Sud de l’Europe d’une part, de l’autre le scénario sans cesse brandi d’un retrait américain, suivi d’un repli du Royaume-Uni sur l’« archipel anglo-saxon », incitent l’Europe continentale, la France et l’Allemagne en premier lieu, à prendre des décisions de portée historique afin d’assumer ses responsabilités militaires.
Cela dit, les Américains et les Britanniques contribuent toujours fortement à la posture de défense et de dissuasion de l’OTAN sur l’axe Baltique-mer Noire, là où le révisionnisme géopolitique russe est le plus menaçant. Les mêmes, avec les Français à leurs côtés, animent la coalition mise sur pied afin de lutter contre l’« Etat islamique » au Moyen-Orient.
L’OTAN en tant que telle ainsi que ses « partenaires », à l’instar de l’Australie, alliée majeure de l’aire « Asie-Pacifique », sont également engagés dans une région qui demeure le nœud gordien du monde. Bref, la solidarité géopolitique entre Occidentaux n’est pas une vaine expression et il serait erroné de la tenir en faible part.
Donald Trump se refuserait à mentionner l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord et, en prétendant conserver sa liberté d’action, menacerait cette clause d’assistance mutuelle ? Le président américain a cessé de finasser. Lors d’une conférence de presse avec son homologue roumain, le 9 juin dernier, il a officiellement engagé les Etats-Unis sur l’article 5, ajoutant : « Evidemment, nous sommes là-bas pour protéger. C’est l’une des raisons pour lesquelles je veux qu’on s’assure d’avoir une force très, très puissante en payant le genre de sommes nécessaires pour avoir cette force ».
Quant à l’« Europe de la défense », l’effort reste mesuré et les réalisations effectives sont inférieures aux objectifs posés en 1999, année de lancement de la PESD (Politique européenne de sécurité et de défense), ce que l’on nomme désormais la PCSD (Politique commune de sécurité et de défense). Il s’agissait alors d’être capable de déployer 50.000 hommes sur un théâtre d’opérations. Dix-huit ans plus tard, nous sommes loin du compte.
D’aucuns affirment que la Commission, faisant irruption dans le domaine strictement intergouvernemental de la défense, aurait brisé un tabou pour reprendre une expression malvenue. Mais son « Fonds européen pour la défense » vise simplement à inciter les Etats membres à aller de l’avant et il ne tiendra qu’une place mineure sur le plan financier.
Un grand effort européen
A juste titre, les industriels demeurent prudents. Avec une dotation de 150 à 200 millions d’euros par an, ce fonds ne représenterait que 0,5 % des 35 milliards d’euros annuellement investis par les Vingt-Huit dans la recherche et l’achat d’équipements. L’essentiel relève des contributions nationales et de la coopération intergouvernementale, qu’elle soit bilatérale ou multilatérale.
Fondamentalement, la défense européenne est une question de vision partagée et d’argent. Vaille que vaille, les uns et les autres s’accordent sur l’existence de deux grands arcs de crise dans l’environnement géopolitique européen. Aux risques et tensions qui marquent l’espace allant de la Baltique au bassin de la mer Noire s’ajoutent les guerres et menaces du Grand Moyen-Orient, de l’Atlantique à l’Indus. Cependant, la convergence des vues s’opère dans l’OTAN, instance dans laquelle les Etats-Unis constituent l’acteur global et l’hégémon.
Rien d’équivalent à l’intérieur de l’Union européenne, ni la France, ni l’Allemagne ne disposant de la légitimité et des moyens pour diriger leurs partenaires. Malheureusement, l’« Europe de la défense » bute sur une vérité mise en évidence par la théorie des biens publics : sans acteur hégémonique ayant la volonté et la capacité de mobiliser les ressources adéquates, un objectif collectif ne débouche pas toujours sur une action collective (cf. Mancur Olson, La logique de l’action collective, PUF, 1978).
De nouvelles convergences franco-allemandes permettraient-elles de dépasser cette contradiction ? On le souhaite, mais cela impliquera un grand effort. Les insuffisances militaires allemandes sont connues et il n’est pas sûr que tous les responsables français, forts de l’avantage comparatif de leur pays en ce domaine, s’en désolent véritablement. D’aucuns souhaiteraient limiter le rôle de l’Allemagne à celui d’une puissance auxiliaire.
Quant à la France, il lui faudra conduire de profondes réformes pour regagner en crédibilité politique et en latitude d’action. Par ailleurs, si Paris et Berlin doivent œuvrer de concert pour donner plus de substance militaire à l’Europe continentale, la France ne saurait négliger ses relations bilatérales avec les Britanniques et les Américains, nécessaires à la conservation d’un profil de grande puissance, au-delà des mers et dans le vaste monde.
Enfin, le développement militaire de l’Europe continentale ne se réalisera pas sans mobilisation des moyens requis. Sur ce point, le chemin à parcourir est long et Donald Trump met le doigt là où cela fait mal. Schématiquement, l’Europe a désarmé et bien des pays ont sacrifié le Warfare State au Welfare State (cf. Institut Thomas More, Les Européens, combien de divisions ? mai 2017). Si la France a pu conserver des capacités de premier plan, c’est en réduisant le format d’ensemble de ses armées, avec le risque de devenir un « bonzaï stratégique ».
Pour conclure
Aussi faut-il rappeler la vérité autrefois énoncée par un ancien secrétaire général de l’OTAN : « On ne fait pas la guerre à coups d’organigrammes ». Le rééquilibrage de l’Alliance atlantique est une nécessité urgente, mais sans engagement financier et développement des capacités, il n’y aura pas de pilier militaire européen autonome. C’est là une œuvre de longue haleine.
Dans l’immédiat, cessons donc de dénigrer les Etats-Unis, dont le leadership et la présence demeurent essentiels à la sécurité d’une Europe unie et libre, et remplissons les obligations contractées à l’intérieur de l’Alliance atlantique. Pour réducteur qu’il soit, l’objectif d’un budget militaire à 2 % du PIB a le mérite d’indiquer la voie et de donner une idée de l’effort à consentir. C’est à l’aune des moyens que l’on jaugera les intentions.