13 juillet 2017 • Opinion •
Liu Xiaobo, écrivain chinois, prix Nobel de la paix 2010, est décédé aujourd’hui. La Chine l’avait autorisé, le 26 juin dernier, à sortir de prison pour traiter un cancer ayant atteint sa phase terminale. Dès le lendemain de cette très tardive mesure de clémence, le CSA local rendait public une nouvelle réglementation visant à apprécier la qualité morale des sites littéraires chinois. Une batterie de critères servira à établir une évaluation chiffrée.
Aux artistes d’évaluer leur propre niveau de subversivité
La presse officielle a donné quelques précisions. Chaque année les principaux sites chinois publiant de la littérature en ligne seront notés (sur 100) par leur autorité de tutelle. Pour chaque cas de manquement à une « compréhension correcte » de l’histoire du parti ou de l’armée, cinq points en moins. De même pour les cas de « distorsion » ou de « profanation » de l’histoire chinoise telle que le parti la conçoit. Une « erreur politique » du site, qui aurait des conséquences sociales négatives, entraînerait « l’échec immédiat » à ce drôle d’examen.
Intéressante sophistication du système répressif chinois, les sites procéderont d’abord à une évaluation de leur propre correction politique, avant que cette première évaluation ne soit évaluée par leur autorité de tutelle. Les sites n’atteignant pas le score de 60 seront publiquement critiqués et ne pourront se porter candidats aux prix littéraires. D’autres sanctions plus classiques seront naturellement possibles.
Liu Xiaobo, le Christ et le sacré cœur de la Chine
Liu Xiaobo avait été condamné à 11 ans de prison le 25 décembre 2009. Il s’agissait de la quatrième condamnation à de la prison de ce dissident intransigeant. La date ne relevait certainement pas du hasard. Dans son œuvre, Liu Xiaobo, dans la lignée d’autres écrivains majeurs, tel Lu Xun, critique parfois avec virulence la culture chinoise. Dans des poèmes touchants, il exprime à la fois son admiration pour le Christ et son incapacité à se convertir.
Il arrive encore souvent que la Chine et les Chinois se présentent aux étrangers comme « athées ». « La religion » serait affaire de superstition, stade que la Chine aurait depuis longtemps dépassé grâce au marxisme ou à la sophistication de sa civilisation.
Rien n’est plus faux. La Chine est un Etat où le sacré est omniprésent. Le sacré et le politique ont même une vive tendance à s’y confondre. Avec l’émergence d’un pouvoir chinois de plus en plus sûr de lui et dominateur, la Chine affirme la sacralité de ses valeurs avec moins de pusillanimité que naguère. Malgré le statut de « république populaire » du régime, la critique des dirigeants chinois ressemble de plus en plus à ce qu’on appelle ailleurs un crime de lèse-majesté. Cette situation serait suffisamment inquiétante si elle concernait la seule Chine, mais le problème est qu’avec son influence grandissante sur la scène internationale, l’empire du Milieu fait des émules, en particulier dans son voisinage immédiat en Asie du Sud-Est (Thaïlande, Malaisie, sans parler du Cambodge ou du Laos, de plus en plus vassalisés par la Chine).
Au bon souvenir de la laïcité
Le système occidental hyper-démocratique, où l’exécutif s’enlise dans des conflits sans fin avec les autres pouvoirs et contre-pouvoirs, et où la critique des dirigeants est devenue un sport obligatoire, exerce pour sa part un attrait de plus en plus médiocre sur les élites de ces pays dont la préoccupation est de se maintenir au pouvoir. En Thaïlande par exemple, l’armée a perpétré au mois de mai 2014 un dix-neuvième coup d’Etat. Mais celui-ci, grâce au soutien politique, économique et idéologique de la Chine, semble, cette fois, avoir installé la junte dans la durée.
La Thaïlande a elle aussi ses dissidents, même s’il est parfois difficile de faire le départ entre règlements de compte et véritable dissidence : Nopporn Suppipat par exemple, un homme d’affaires libéral, a obtenu l’asile politique en France, tandis que Yingluck Shinawatra, une opposante politique, est sous le coup d’un procès pour corruption. On sait que dans ce pays, le crime de lèse-majesté est devenu l’un des principaux moyens de répression des voix critiques. En Thaïlande comme en Chine, la défense de la sacralité du pouvoir s’impose comme une évidence, et par contraste donne tout son sens à ce vieux concept chrétien que nous autres Français appelons la laïcité.