Septembre 2017 • Note d’actualité 44 •
Alors que les difficultés s’accumulent pour Emmanuel Macron sur le front intérieur et que sa popularité s’est effondrée au cours de l’été, il conserve un crédit important, dans l’opinion, chez les experts et dans les chancelleries, sur les questions internationales comme sur les dossiers européens. Pourtant, à y regarder de près, sa stratégie européenne manque tout à la fois de hauteur, de nouveauté et de méthode. Il est à craindre qu’il n’aille pas beaucoup plus loin que le « volontarisme » tournant à vide, qui a tenu de politique européenne à ses prédécesseurs…
Le discours prononcé par Emmanuel Macron lors de la conférence des ambassadeurs, le 29 août 2017, n’a pas donné de vraies réponses au défi que constitue la formation d’une Europe unie et puissante, capable de tenir son rang et de partager le « fardeau » des responsabilités internationales avec les États-Unis, c’est-à-dire de codiriger le monde libre, menacé par le révisionnisme géopolitique des puissances tierces, les assauts d’États-voyous et d’acteurs anomiques ainsi que la décomposition des périphéries.
En lieu et place d’une « Grande Idée », un projet de relance incertain, limité à la zone Euro, avec de possibles effets pervers dans les relations avec les autres États membres de l’Union européenne, et un slogan régressif, « L’Europe qui protège », quand il faudrait en appeler à un patriotisme de civilisation et à la volonté de persévérer dans l’être.
On ne voit pas se dégager de tout cela beaucoup plus qu’un « volontarisme » sans dessein, ni méthode, qui rappelle assez banalement les quinquennats précédents.
L’improbable « noyau dur » européen
A juste titre, le président français a exprimé sa conviction que « le lieu de notre souveraineté aujourd’hui, c’est l’Europe ». Il a une nouvelle fois insisté sur l’importance de la relation franco-allemande et mis en exergue sa volonté de travailler à la transformation de la zone Euro en un ensemble politiquement intégré, au cœur d’une Europe à géométrie variable : une « Union refondée », « à plusieurs formats », aiguillonnée par des pays voulant aller plus loin. On retrouve en fait le projet d’une Europe organisée autour d’un « noyau dur », exposé dès 1994 par les députés chrétiens-démocrates allemands Karl Lamers et Wolfgang Schäuble, mais dédaigné alors par les responsables politiques français. Un quart de siècle plus tard, ou presque, ce projet appelle plusieurs remarques.
Tout d’abord, le décalage de puissance entre la France et l’Allemagne s’est considérablement accru sur le plan économique et financier. La reconstitution d’un axe franco-allemand exigera de profondes réformes en France, réformes dont les ordonnances sur le Code du travail ne constituent qu’un « hors-d’œuvre » sans grande consistance [1]. Il faudra un effort de longue haleine et d’une autre ampleur pour convaincre les dirigeants allemands du sérieux et de la crédibilité du nouveau pouvoir. Un simple toilettage des finances publiques, avec des coupes budgétaires sans logique d’ensemble et même en contradiction avec les ambitions affichées par ailleurs (on pense à la baisse du budget militaire), n’y suffira pas.
En outre, la mise en avant du projet d’une défense européenne ne doit pas dissimuler le fait que pour Paris, Berlin et toutes les capitales européennes, l’OTAN demeure l’instance principale pour l’organisation de la défense de l’Europe et le couplage géostratégique entre les deux rives de l’Atlantique Nord. Les Nord-Américains et les Britanniques contribuent de manière décisive à la posture de défense et de dissuasion sur l’axe Baltique-mer Noire, dans ces espaces où, insensiblement, on passe de l’Europe à l’Eurasie. Plus au nord, la Norvège est une vigie sur le front arctique, avec les États-Unis et le Canada comme alliés de premier plan dans une zone géostratégique appelée à gagner en importance. Au sud-est de l’Europe, l’OTAN présente l’avantage de compter parmi ses membres la Turquie, un allié incertain et de plus en plus difficile avec lequel il importe pourtant de conserver des canaux et des liens, alors même que la candidature de ce pays à l’Union européenne s’avère chaque jour plus compromise – la chancelière Angela Merkel, en campagne électorale, vient d’affirmer clairement, le 3 septembre dernier, l’impossibilité pour la Turquie d’entrer dans l’Union européenne.
Rappelons simplement la situation stratégique de l’Asie mineure, massive péninsule, entre mer Noire et Méditerranée orientale. La Turquie est la gardienne des détroits du Bosphore et des Dardanelles, un élément essentiel dans la balance des forces en mer Noire, un pays au contact de l’Iran chiite islamique, dont on connaît les ambitions dominatrices au Moyen-Orient, et un balcon septentrional sur le monde arabe. Pour toutes ces raisons, le projet d’une défense européenne doit être bien appréhendé. Il s’agit principalement de mutualiser en partie les efforts financiers et les équipements afin de redresser une situation déplorable [2]. Autrement dit, une Europe des capacités : c’est à la fois peu et beaucoup. Prenons garde à ce qu’un marketing politique abusif sur une future « défense européenne intégrée » ne brouille les enjeux et ne suscite en retour des déceptions. L’accroissement de l’effort militaire de chacun des alliés européens est capital et plus important que des schémas constructivistes : à la France de tenir son rang et de montrer l’exemple.
Enfin, l’idée selon laquelle les États de la zone euro, cœur battant de l’Union européenne, seraient naturellement appelés à constituer le noyau fédéral de l’Europe est agitée en vain depuis des années, ce qui s’explique par des raisons objectives. Les dix-neuf membres de ladite zone constituent un groupe étendu qui couvre la plus grande partie de l’Union européenne et leurs gouvernements ne sont pas tous sur la même ligne : ils n’ont pas les mêmes ambitions politiques. Quant aux solidarités géopolitiques, elles sont relâchées et il serait peut-être complexe de les maintenir dans un autre cadre que celui de l’OTAN, sans l’hégémon américain. Les États de la zone euro peinent déjà à mettre en œuvre les disciplines financières et le fédéralisme bancaire requis par les règles de bon fonctionnement d’une zone monétaire optimale. Bref, nous sommes loin du « moment cicéronien » de l’Europe, ce point de bascule entre deux formes politiques [3].
De fait, si l’on veut aller de l’avant, la relation franco-allemande est vitale, mais un axe Paris-Berlin aura tôt fait d’être vu et perçu comme une inacceptable entreprise dominatrice. Il n’y a pas de martingale et sans doute faut-il chercher à constituer une forme de « noyau dur ». Encore les responsables français et allemands doivent-ils veiller à ce que la « coalition de bonnes volontés » à laquelle ils travaillent n’aggrave des lignes de partage à l’intérieur de l’Europe. Ainsi faudrait-il parallèlement renforcer le pilier atlantique (le Royaume-Uni, le Canada et les États-Unis) et préserver les relations avec la Pologne et plus largement le Groupe de Visegrad. Bref, il faudrait conjuguer esprit de géométrie et esprit de finesse, parvenir à élaborer une vision d’ensemble de la situation, de ses servitudes et de ses virtualités, plutôt que de renouer avec le discours volontariste des prédécesseurs d’Emmanuel Macron.
Une méthode contre-productive
C’est là où le bât blesse, le président français traitant avec légèreté, voire inconséquence, des États aussi importants que le Royaume-Uni – un pays certes affaibli par le Brexit, mais qui demeure une puissance européenne de tout premier rang – et la Pologne.
Il ne s’agit pas de dédouaner les responsables politiques de ces deux pays et de les présenter en victimes collatérales d’une « insoutenable légèreté de l’être » macronienne. De fait, au-delà des conditions objectives qui expliquent le vote d’une courte majorité de sujets britanniques en faveur de la sortie de l’Union européenne, c’est bien l’irresponsabilité d’une poignée d’hommes politiques démagogues, doctrinaires pour les uns, opportunistes et cyniques pour les autres, qui aura fait la différence. Aujourd’hui plus qu’hier encore, l’observateur est frappé par leur impréparation et leur inconséquence. Quant à la Pologne, il est également vrai que le gouvernement du PiS (Parti Droit et Justice) fait prévaloir le nationalisme sur l’esprit européen et que certaines des réformes prévues en matière judiciaire portent atteinte à l’État de droit. On peut néanmoins trouver un compromis sur la question des travailleurs détachés ou celle des réfugiés, d’autant plus que les responsables européens ont improvisé dans le plus grand désordre en la matière. Alors que la croissance démographique africaine et l’anarchie qui menace le Moyen-Orient vont accroître la pression sur les frontières européennes, il faudra bien élaborer en commun une politique migratoire et certains des arguments des pays d’Europe centrale et orientale devront être entendus. En revanche, on ne saurait accepter la remise en cause de l’Union européenne en tant que Commonwealth de régimes constitutionnels-pluralistes et d’économies de marché [4].
Pourtant, il y a l’art et la manière. En ce qui concerne la Pologne, la tentative française de monter une coalition de pays en faveur de la révision de la directive sur les travailleurs détachés (le « plombier polonais »), en date de 1996, et d’isoler Varsovie de ses partenaires du Groupe de Visegrad, est du plus mauvais effet et assurément contre-productive.
D’une part, on se demande en quoi cette question serait si urgente et si pressante que les propos d’Emmanuel Macron le laissent à penser… On ne saurait expliquer les difficultés économiques de la France et le chômage structurel qui frappe notre pays par la « concurrence déloyale » des travailleurs d’Europe centrale et orientale (en France, la concurrence est toujours déloyale…). Les organisations syndicales des entreprises françaises du BTP mettent en avant l’irrespect de la directive européenne et l’importance du travail clandestin. En ce cas, ne vaudrait-il pas mieux se concentrer sur la juste application de cette directive et la lutte contre le travail clandestin ? En fait, le président français donne l’impression d’instrumentaliser ce dossier pour faire passer auprès de son opinion publique sa réforme du Code du travail. Si tel était le cas, ce serait agir de manière désinvolte au regard des conséquences sur nos rapports avec les pays d’Europe centrale et orientale.
D’autre part, fallait-il se rendre en Bulgarie pour sermonner la Pologne et provoquer une crise diplomatique entre Paris et Varsovie ? Sur la question des atteintes à l’État de droit, la Commission européenne est à l’œuvre et il appartiendra aux États membres de l’Union européenne de décider ou non d’une procédure contre la Pologne [5]. Au demeurant, le président polonais a opposé son veto aux lois les plus menaçantes et mène une consultation. Quant à la société civile, à la presse et à l’opposition, elles sont actives et ne s’en laisseront pas conter. Bref, Emmanuel Macron s’est montré maladroit et, tout à sa vision rétrécie de l’Europe, ne semble pas avoir pris la mesure des enjeux polonais (dynamisme économique et poids politique grandissant, diplomatie active sur l’axe Baltique-mer Noire, rôle essentiel dans la défense de l’Europe).
Quant à la position à l’égard du Royaume-Uni, le président français brille surtout par sa discrétion. Encore une fois, il ne s’agit pas de « victimiser » les Britanniques et de faire preuve de complaisance dans la négociation du « Brexit » et de ce qui suivra. Il est bon et sain de laisser à Michel Barnier et à la Commission, sous la supervision des États membres de l’Union européenne, la conduite de ces affaires. De même, il n’y a rien d’illégitime et de scandaleux à ce que Paris, l’Ile-de-France et le gouvernement français cherchent à saisir des opportunités et à attirer un certain nombre d’investissements et d’activités, en pointant du doigt les risques et les inconnues du Brexit. Au vrai, ce n’est pas du niveau d’un chef d’État de se prêter à ce jeu ou de stigmatiser les responsables outre-Manche de cette lamentable affaire. En revanche, on attendrait de sa part une initiative ou des gestes qui permettraient de réassurer les relations bilatérales, fondamentales sur le plan diplomatico-militaire (accords de Lancaster House, 2010), plus encore s’il s’agit, comme le président l’affirme lui-même, de préserver le rôle de la France en tant que grande puissance. La négociation d’ensemble sera rude et les dirigeants britanniques semblent plongés dans le désarroi. L’intelligence politique et l’art de la prudence (au sens de prévoyance avisée) demandent que l’on tende la main plutôt que d’adopter une attitude punitive ou de laisser croire que l’on est dans cette disposition d’esprit.
Où est la « Grande Idée » ?
Mais l’art et la manière, plus exactement leur défaut, ne sont pas seuls en cause. L’observateur cherche en vain le grand dessein ou la « Grande Idée » qui inspire la politique européenne de la France. En la matière, on ne saurait mener une entreprise ambitieuse et de longue haleine – celle d’une Europe unie, puissante et rayonnante – sans la claire conscience des enjeux géopolitiques et une certaine idée de l’Europe, de son rôle historique et ce qu’elle représente dans le monde. Qui sommes-nous ? Que voulons-nous ? Sans réponse à ces deux questions existentielles, on ne saurait définir un projet politique et élaborer une grande stratégie.
Sur ce plan, la communication politique de l’Elysée est particulièrement discrète. On croit comprendre qu’il s’agirait de maintenir l’Europe ouverte, mais à quoi donc ? Au tout-venant ou à l’Universel ? Il est aussi question du sort de la planète et de sauver l’accord climatique de Paris, objectifs respectables en soi, mais qui ne concernent pas le sort de l’Europe en tant qu’unité de puissance et forme de civilisation. Si la France est bien l’objet d’un story-telling, appauvri au demeurant, rien sur l’Europe et moins que rien sur l’Occident, notion probablement jugée trop « clivante »… Dès lors, il est à craindre que la « refondation » de l’Europe, à l’exception de quelques avancées technico-fonctionnelles sans écho dans les opinions publiques, n’aille pas bien loin. Faute de résultats majeurs et significatifs, plus encore en l’absence d’une véritable politique de redressement national qui restaure la crédibilité de la France, il sera toujours temps de se retourner contre ses alliés et partenaires : l’« Est européen » (bien des Français ignorent encore que la Pologne est en Europe centrale), voire l’Allemagne si l’intempérance française dissuadait cette dernière de couvrir son risque souverain au moyen d’un Trésor européen.
Le silence de la communication présidentielle sur le sens du projet unitaire européen, sa signification et la direction à emprunter, nous encourage à préciser notre pensée. Présentement, la question est la suivante : comment pourrait-on, à partir de ce Commonwealth paneuropéen à faible intensité que constitue l’Union européenne, dégager une volonté de persévérer dans l’être et de poser des actes de souveraineté ? L’erreur serait de croire que tout se joue au niveau des grandeurs matérielles (superficie, poids démographique, PIB global), la question européenne relevant de l’administration des choses plutôt que du gouvernement des hommes. Dans le « monde de la vie », selon la profonde formule d’Edmond Husserl, on défend ce avec quoi l’on fait corps : un ensemble politique ne saurait exister sans un principe transcendant qui le clôt et le fonde comme totalité. Malheureusement, le discours européiste est bien éloigné de ces réquisits. L’Europe n’est pas uniquement une portion des terres émergées partie autrefois à la conquête du globe ou un consortium d’États, mais une figure spirituelle fondée sur le triple héritage d’Athènes, de Rome et de Jérusalem. Jusqu’il y a peu encore, elle assumait la « fonction archontique de l’humanité entière », selon Husserl encore. Le patriotisme de civilisation appelé à rassembler les nations européennes et occidentales renvoie à cette vocation tutélaire et universelle. Sans conscience des racines longues-vivantes de l’Europe et de sa mission spirituelle, aucun Commonwill ne sera possible.
Quant aux buts politiques à poursuivre et aux efforts à produire, ils s’inscrivent dans une Communauté euro-atlantique (l’alliance entre l’Europe et l’Amérique du Nord) qui, sur le plan géopolitique, correspond à un « Grand Espace » (Grossraum). La théorie du « Grand Espace » a été élaborée à partir des dynamiques politiques, économiques et techniques qui ont transformé le XXe siècle. Selon Carl Schmitt, son auteur, cette révolution spatiale marque la fin de l’« ère étatique », c’est-à-dire la dislocation du vieux « nomos de la Terre », fondé sur un équilibre entre les États territoriaux jadis au centre du système westphalien [6]. L’avenir appartiendrait à quelques « Grands Espaces » porteurs d’une axiologie, d’une orientation culturelle, d’une organisation politique, économique et juridique qui leur sont propres. Le « Grand Espace » de Schmitt a parfois été réduit à une sorte de « super-État », doté d’un territoire fixe et d’un seul tenant, mais il est préférable d’y voir la pensée d’un ensemble géopolitique ample et dynamique aux limites flexibles, aux dimensions aussi bien maritime et aérospatiale que terrestre. Et si l’on ne ramène pas le « Grand Espace » à des schémas étatistes, la Communauté euro-atlantique se donne comme tel. Pourtant, la défense de cet ensemble spatial, qui correspond peu ou prou à l’Occident, ne peut plus reposer sur les seules épaules des États-Unis. Si l’on cherche un précédent historique, nous en sommes au point où la défense de l’Empire romain requit une forme de synarchie (on pense à Dioclétien et à l’instauration de la tétrarchie à la fin du troisième siècle). Il importe donc d’édifier un pilier européen qui permette la redistribution du pouvoir et des responsabilités entre Washington et Bruxelles.
En conclusion
Au total, il est à craindre que les objectifs de la politique européenne esquissée par Macron ne soient pas au niveau des défis et des exigences de l’heure. Là où il conviendrait de penser « Grande Europe » et de travailler à la cohésion et à la stabilisation géopolitique d’un continent menacé sur ses frontières orientales et méridionales, ainsi que sur le territoire même de ses États membres, le président français semble vouloir privilégier le schéma d’une petite Europe, guère plus étendue que celle épargnée par l’expansionnisme soviétique de 1945. L’épreuve suprême, telle qu’elle a été exposée devant les ambassadeurs français, est à raison celle du terrorisme islamique. Mais d’autres menaces, qui concernent directement ou indirectement l’Europe, sont ignorées ou minorées. Ainsi en va-t-il des ambitions dominatrices de l’Iran chiite islamique et de son accès militaire à la Méditerranée orientale, de la prolifération des armes de destruction massive dans l’ensemble Moyen-Orient/Méditerranée (avec d’inévitables contrecoups jusqu’en Europe). Déjà, la menace de l’Iran et des milices panchiites pèse sur les destinées d’Israël et des régimes arabes sunnites de la région. Réponse d’Emmanuel Macron : un « groupe de contact ». La France aurait-elle donc vocation à devenir l’« honnête courtier » de Téhéran ?
Plus généralement, l’auto-affirmation de puissances révisionnistes animées par le ressentiment et la volonté de mettre à bas l’ordre occidental n’est pas mentionnée comme une menace sur l’Europe, posée en instance moralisatrice de la mondialisation (l’Europe « vénusienne » de Robert Kagan) et chevau-léger de l’écologisme. Quant aux entreprises militaires chinoises dans les « méditerranées asiatiques » (mers de Chine méridionale et orientale), au projet dominateur de « nouvelles routes de la soie » (« One Belt, One Road ») et à l’activisme balistico-nucléaire de Pyongyang, il appert qu’ils concernent à peine la France, comme si celle-ci n’était pas aussi une puissance du Pacifique. Il aura fallu l’accès de la Corée du Nord à la bombe thermonucléaire (3 septembre 2017) pour que le ton soit plus ferme et explicite. Tout est là, sous nos yeux, mais ne transparaît pas véritablement dans le discours. L’Occident est possiblement victime d’un « grand renversement » dans son rapport à l’Orient, le monde entier est au bord d’une rupture d’équilibre, mais le président français parle de l’Europe comme s’il s’agissait d’un simple département de l’économie-monde.
Solitude du pouvoir, froide considération du monde ou perte de sens du tragique ? L’avenir tranchera.
Notes •
[1] Voir Gérard Dussillol et Sébastien Laye, #Legislatives2017 : les failles du programme économique de la « République en marche !, Institut Thomas More, Note d’actualité 42, juin 2017.
[2] Voir Institut Thomas More, Les Européens, combien de divisions ?, Note de Benchmarking 19, mai 2017.
[3] Nous devons l’expression de « moment cicéronien » à Pierre Manent qui désigne ainsi le point de bascule entre la République sénatoriale romaine et le Principat, institué par César-Octavien (Auguste) après la bataille d’Actium et la victoire sur Marc-Antoine (31 av. J.-C.), une nouvelle forme politique que les historiens ont par la suite nommée « Empire romain ». Voir Pierre Manent, Le regard politique. Entretiens avec Bénédicte Delorme-Montini, Flammarion, Paris, 2010, pp. 154-160.
[4] Voir Jean-Sylvestre Mongrenier, De l’élargissement à l’État de droit : vers un Commonwealth paneuropéen, Institut Thomas More, 2013.
[5] Pour déclencher l’article 7 du traité de l’Union européenne et amorcer une procédure pouvant conduire à priver la Pologne de ses droits de vote au Conseil, la Commission doit disposer d’une majorité suffisante, i.e. les quatre cinquièmes des Etats membres. Ensuite, la décision de sanctionner requiert l’unanimité.
[6] Carl Schmitt, Le nomos de la Terre, PUF, Paris, 2012 (1950 pour l’édition allemande).