Les robots et les algorithmes vont-ils provoquer la prochaine crise financière ?

Sébastien Laye, chercheur associé à l’Institut Thomas More

2 novembre 2017 • Opinion •


Alors que leur rôle était encore embryonnaire lors de la dernière crise en 2007-2008, les algorithmes sont désormais les juges de paix des marchés. Ce qui pourrait avoir un effet boule de neige en cas de krach financier…


Alors que nous venons de célébrer le trentième anniversaire du Black Monday (ce jour d’Octobre 1987 qui a vu le principal indice américain chuter de 25%), nous sommes en droit de nous demander, à l’aune des récentes innovations technologiques sur les marchés financiers, si une telle déflagration serait encore impossible. Dans les années 1980, certains économistes avaient déjà incriminé une innovation financière pourtant théoriquement issue d’une volonté d’éradiquer le risque dans le domaine de l’investissement. Il s’agissait du « portfolio insurance », une technique consistant à accumuler, à côté d’un portefeuille d’actions classiques, des instruments de vente à découvert du marché, automatiquement activés en cas de déclin du portefeuille d’actions. Cette technique de gestion aurait précipité une chute artificielle des indices en 1987. Or, quels sont les traits saillants de l’évolution des marchés actions en trente ans ?

Le premier est le passage d’une gestion discrétionnaire – avec des analystes étudiant des sociétés, leurs comptes et leurs business models – à non-discrétionnaire, voire quasi-automatique. Le développement des bases de données, de la puissance de calculs des ordinateurs, a permis de définir ex ante un certain nombre de critères d’investissement, de signaux d’achats/vente, et donc de mettre nombre des pratiques de gestion sous pilote automatique. Si, initialement, les critères étaient essentiellement fondamentaux et permettaient ipso facto d’améliorer la gestion dite value, aujourd’hui 90% de cette industrie quantitative utilise des critères de volatilité, liquidité ou d’évolution des cours (dits momentum) purement spéculatifs ; nous avons vu ainsi, à deux pas physiquement de Wall Street, de l’autre côt » de l’Hudson River dans le New Jersey, fleurir de super ordinateurs et des centres de données capables d’identifier à la milliseconde près les évolutions des cours… Les hedge funds dits quantitatifs ont vu leurs encours passer de 500 milliards à 1 000 milliards de dollars entre 2007 et 2017, malgré la crise financière et ses conséquences…

Le second phénomène est le développement des ETF, des produits grands publics censés reproduire des indices afin de faciliter la gestion indicielle. Une fois n’est pas coutume, Wall Street a fait d’un produit anodin de couverture des risques (tels les CDS avant la dernière crise), une industrie en forte croissance avec 3 000 milliards sous gestion aux États Unis (dont un tiers entre les mains d’une seule société, Blackrock) : ce qui explique cette croissance exponentielle est l’indubitable ingéniosité de l’industrie financière, qui a su créer des ETF avec à peu près n’importe quel sous-jacent. L’essentiel du trading se concentrant sur ces produits plus que sur les actions individuelles, le risque est grand, par exemple en cas de difficultés concernant une ou deux banques européennes, de voir les investisseurs vendre des ETF sur le secteur bancaire, entraînant ainsi dans une spirale baissière l’ensemble du secteur sans discrimination.

Or les signes de déstabilisation des marches financiers par ces algorithmes se multiplient en réalité depuis 20 ans… quand deux prix Nobel, pères de la stochastique mathématique sur les marchés, Merton et Scholes, lancèrent le fonds LTCM, l’affaire se solda en 1998 par un sauvetage en catastrophe par la Banque centrale sans que jamais les causes de ce désastre ne fussent discutées publiquement. Lors de l’été 2007, au tout début des événements qui allaient aboutir à la crise de septembre 2008, les hedge funds quantitatifs perdirent 10% en un mois et déstabilisèrent le marché car leurs modèles leur indiquèrent tous en même temps de vendre leur portefeuille : l’épisode marqua Wall Street et reçu le nom de Quant quake. Le 6 mai 2010 eut lieu aussi l’épisode inexpliqué du Flash crash (-7% pour la Bourse américaine en 30 minutes) pour lequel on incriminera le high frequency trading et les premiers algorithmes de nouvelle génération. Depuis lors, un événement similaire s’est reproduit lors de l’été 2015 et la menace s’est étendu hors des USA et des marches actions : le 18 mai 2017, un ETF brésilien indiciel recule de 17% en quelques minutes et le marché obligataire souverain américain connaît un épisode inexpliqué de chute vertigineuse de quelques minutes en 2014.

Quand on analyse les stratégies d’investissement présentant un danger réel pour la stabilité des marchés (et donc de nos économies), ce que les économistes appellent le risque systémique, on retrouve paradoxalement des approches qui cherchent à faire disparaître la volatilité dans les résultats. Le Saint Graal de la gestion quantitative est la disparition de l’incertitude et de la volatilité. Ce faisant, un auteur comme Minsky par exemple a montré comment cette stabilité artificielle conduisait paradoxalement à un accroissement du risque systémique : c’est la fameuse hypothèse d’instabilité financière qu’il a défendu dès les années 1980.

Devons-nous pour autant redouter la survenue d’une crise financière jaillissant d’erreurs de ces algorithmes et machines en pilotage automatique sur les marchés financiers ? Si un tel cygne noir n’est jamais à exclure totalement, l’enchaînement des événements devraient être différents. Une récession ou même une panique financière aura probablement une autre cause, mais la prévalence des machines et des ETF lui conférera une magnitude insoupçonnée : ainsi, un événement dont la portée pourra nous paraître initialement limitée, pourrait induire une crise financière par le truchement du comportement de ces algorithmes ; il faut se rappeler que leur rôle était encore embryonnaire en 2007-2008, mais qu’ils sont désormais les juges de paix des marchés. Il nous appartient de mieux appréhender ce rôle et d’alerter les pouvoirs publics afin de contenir les effets de la prochaine récession ou crise financière.