OTAN · L’Alliance en quête d’avenir

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

26 mai 2006 • Entretien •


L’Europe de la Défense est-elle vraiment en panne face à une Otan qui semble retrouver sa légitimité, sa force et son volontarisme ?

L’expression d’« Europe de la Défense » désigne la PESD (Politique européenne de sécurité et de défense) lancée en 1999. Sous cet acronyme, les Européens mènent diverses opérations dans les « Balkans occidentaux » (Macédoine, Bosnie-Herzégovine et bientôt Kosovo), aux confins de l’Union (frontière Moldavie-Ukraine), en Méditerranée orientale et au Moyen-Orient (Territoires palestiniens, Irak), aux marges du monde musulman (Aceh/Indonésie) et en Afrique (Darfour/Soudan, République Démocratique du Congo). Adoptée en 2003, la « stratégie européenne de sécurité » donne sens et cohérence à ces opérations. L’Union acquiert ainsi une expertise globale. La PESD n’est donc pas en panne. Pour autant, l’irrésolution politique, la faiblesse des budgets de défense et le rejet de la Constitution européenne limitent les ambitions.

Quels enseignements peut-on tirer, surtout sur les plans politique et stratégique, des récentes interventions de l’Otan (Balkans, Afghanistan) ?

L’intervention de l’OTAN dans les Balkans aura été le banc d’essai du « nouvel atlantisme » : nouvelles missions de l’OTAN en sus de la défense mutuelle (maintien et imposition de la paix) et intervention au-delà de sa zone historique de responsabilités. A Kaboul, le passage de la FIAS (Force internationale d’assistance et de sécurité) sous commandement de l’OTAN et l’engagement de cette force sur la plus grande partie du territoire afghan marquent une autre étape. L’OTAN se mondialise et lutte contre l’islamo-terrorisme. La mise sur pied d’une Force de réaction rapide (la Nato Response Force) s’inscrit dans ce schéma. A l’évidence, le leadership américain joue un rôle décisif dans ce nouveau cours. Rappelons cependant que les décisions au sein de l’Alliance atlantique se prennent à l’unanimité. La « transformation » de l’OTAN s’opère donc avec l’aval des alliés européens, France comprise. Et ce vaille que vaille…

L’Europe de la Défense est-elle une alternative à l’Otan ?

Elle n’est pas pensée et conçue comme telle. La PESD a pour feuille de route les missions définies par les Européens à Petersberg, en Allemagne, le 19 juin 1992 : missions humanitaires ou d’évacuation de ressortissants, missions de maintien de la paix, missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris des opérations de rétablissement de la paix. L’Europe de la défense n’est donc pas la défense de l’Europe et l’OTAN conserve le monopole de la défense collective. A proprement parler, l’Europe de la défense est une Europe de la sécurité.

L’Otan est-elle pour vous l’avenir de l’Europe et en quoi ?

A quelques exceptions près, les Etats européens pensent, conçoivent et conduisent leur politique de défense dans le cadre de l’OTAN et c’est donc l’organisation atlantique qui « fait frontière » en mer Baltique, en mer Noire, sur l’isthme qui relie ces deux mers et dans le Bassin méditerranéen. Il en est ainsi parce que les Européens le veulent bien. A travers l’OTAN, les Etats-Unis jouent le rôle de balancier au large et assurent un équilibre entre les nations européennes. Chacune d’entre elles préfère la lointaine hégémonie des Etats-Unis à celle de son plus proche voisin ou à un quelconque directoire de grands Etats. Enfin, la représentation illusoire d’une Europe vouée au « soft power », pilier central d’un « brave new world » multipolaire et onusien, ne facilite pas une claire perception des enjeux.

Quelle est aujourd’hui l’analyse des responsables américains sur l’Otan et sur la Défense européenne ?

Outre-Atlantique, l’Europe de la défense est perçue comme un pseudopode de l’OTAN. Plutôt que de développer leurs moyens propres, les Européens sont censés emprunter la voie des accords de « Berlin plus » (conclus en 2002) et recourir aux états-majors de l’OTAN. L’élargissement de la zone OTAN à l’Adriatique, à l’Ukraine et à la Géorgie désenclaveront la Caspienne et l’hinterland eurasiatique. Le « dialogue » et la « coopération » avec les partenaires méditerranéens et les Etats du Golfe donneront corps au projet de « Grand Moyen-Orient ». La signature de « nouveaux partenariats » avec les Etats clefs de la zone Asie-Pacifique (Australie, Nouvelle-Zélande, Japon, Corée du Sud) permettra de monter des coalitions ad hoc tous azimuts. L’OTAN vue du Potomac ? Une alliance globale, expéditionnaire et anti-chaos.