Le front afghan, une guerre européenne

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

8 avril 2008 • Analyse •


Le bilan du sommet atlantique de Bucarest (2-4 avril 2008) est en demi-teinte. Le prochain élargissement de l’OTAN sera limité à la Croatie et à l’Albanie, la Grèce ayant opposé son veto à la Macédoine, troisième pays de la Charte Adriatique, ce qui ne va pas dans le sens de la stabilité en Europe du Sud-Est. Quant à la Géorgie et à l’Ukraine, elles se sont vues refuser dans l’immédiat le plan d’action pour l’adhésion à l’OTAN (Membership Action Plan). Question de rythme et de calendrier ou reconnaissance de facto à la Russie d’un droit de veto sur l’élargissement des instances atlantiques ? Les pays membres de l’OTAN ont réaffirmé leur politique de la porte ouverte, ce qui présage un réexamen des candidatures géorgienne et ukrainienne. Les Alliés ont par ailleurs apporté leur soutien à la Missile Defense et le président français a confirmé l’envoi de renforts en Afghanistan. Cette décision ne relève pas d’un simple marchandage visant à obtenir l’appui américain au projet français de défense européenne. Comme le signifiait clairement Peter Struck, ministre de la Défense de Gerhard Schröder, « la défense de l’Europe commence sur l’Hindou Kouch ». Les Alliés mènent une guerre asymétrique sur le front afghan, dans le « milieu des empires ».


L’engagement des Alliés en Afghanistan est la conséquence directe des attentats islamo-terroristes du 11 septembre 2001. Très vite, les Etats-Unis mettent sur pied une coalition et, avec l’aval des Nations unies, ils lancent l’opération « Enduring Freedom » (« Liberté immuable »), le 7 octobre 2001. En peu de temps, les Talibans et les forces d’Al Qaïda sont balayés. Dans l’intervalle, les pays membres de l’OTAN ont activé l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord (clause d’assistance mutuelle) et plusieurs d’entre eux participent à la coalition américaine. La Russie elle-même apporte sa contribution (renseignements, contacts avec l’Alliance du Nord et appui diplomatique en Asie centrale pour l’obtention de facilités logistiques). Signés parallèlement à l’opération « Enduring Freedom », les Accords de Bonn du 5 décembre 2001 visent à organiser le soutien de la Communauté internationale à la refondation de l’Etat afghan (création de nouvelles forces de sécurité, maintien de la paix et reconstruction des infrastructures) ; c’est ainsi qu’est prévue la création de la FIAS (Force internationale d’assistance à la sécurité). Cette décision est entérinée par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, le 20 décembre 2001. Aussi cet engagement militaire fait-il alors figure de juste guerre (« guerre de nécessité »), ce que certains oublient aujourd’hui.

Les six premiers mois, la FIAS est sous commandement britannique. Déployée à Kaboul, elle regroupe 5000 hommes, très majoritairement issus des pays membres de l’OTAN et de l’UE. La Turquie assume ensuite la fonction de nation-cadre et la dégradation de la situation amène la FIAS à étendre hors de Kaboul son aire de responsabilité. Les nations européennes éprouvent des difficultés à générer les forces nécessaires et l’option « OTAN » est d’ores et déjà envisagée. L’Allemagne et les Pays-Bas succèdent conjointement à la Turquie et se tournent vers le SHAPE (Quartier général du Commandement suprême allié en Europe) pour certaines tâches de planification et d’exécution. Début 2003, le Canada prend le relais et demande à ce que la FIAS soit placée sous la responsabilité de l’OTAN. Le Conseil de l’Atlantique Nord en prend la décision, à l’unanimité, le 16 avril 2003. Le recours à l’OTAN permet de faciliter la rotation des forces, d’élargir le nombre des Etats contributeurs, de mutualiser une partie du financement et d’assurer la continuité des chaînes de commandement. Progressivement, la FIAS accroît ses effectifs, élargit plus encore son aire de responsabilité  et s’engage dans la reconstruction du pays, avec le lancement de PRT (Provincial Reconstruction Team). Sur le terrain, la distinction entre la pacification et le contre-terrorisme s’estompe. Le 8 décembre 2005, le Conseil de l’Atlantique Nord décide de doubler les effectifs de la FIAS et d’étendre sa présence dans les zones de confrontation, au sud et à l’est du territoire afghan. Aujourd’hui, ce sont quarante nations, membres et partenaires de l’OTAN, qui fournissent un effectif d’environ 47 000 hommes.

Confirmé à Bucarest, le renforcement de la présence française (un peu moins d’un millier d’hommes) ne marque pas une rupture stratégique. Actuellement le contingent français est d’environ 1000 hommes, basés à Kaboul, auxquels il faut ajouter les 200 hommes et les six avions de combat (Rafale et Mirage 2000) déployés à Kandahar, dans le Sud pachtoune. Des éléments français sont aussi déployés à Manas (Kirghizstan) et à Douchanbé (Tadjikistan) d’où sont menées des opérations passant par la « porte nord » de l’Afghanistan. En mer d’Oman et dans l’océan Indien, « porte sud » de l’Afghanistan, des éléments embarqués sur la flotte française contribuent aux opérations, ce qui porte le total des forces françaises engagées à quelque 2200 hommes. Avec un millier d’hommes supplémentaires, la France porterait son effectif sur le terrain afghan même au niveau de l’Italie (2900) ou de l’Allemagne (3200), devant le Canada (2500), mais loin derrière les Etats-Unis (15000) et le Royaume-Uni (7800). Ces forces supplémentaires seraient déployées dans l’Est, à proximité de la frontière Afghanistan-Pakistan (et donc des bases arrières de l’ennemi), là où les forces spéciales françaises ont été précédemment engagées, sous commandement américain, entre 2003 et 2006. Parallèlement, les Américains pourront délester ce front pour renforcer leur présence au Sud, aux côtés des Canadiens.

La montée en puissance du corps expéditionnaire français permettra de mieux partager le fardeau de la guerre et d’éviter que l’OTAN ne devienne une alliance à deux vitesses, dans laquelle seuls certains Etats accepteraient de payer le prix du sang. Elle s’inscrit dans un continuum et, si rupture il y a, c’est dans l’ordre des représentations et des perceptions.

Rupture dans la vision française de l’OTAN : la France est partie prenante de cette communauté de sécurité, qui n’est pas la simple « chose » des Américains mais le « bien commun » des Alliés. Elle tient son rang et la cohérence politique veut qu’elle accroisse sa participation aux états-majors, en proportion de sa contribution militaire.  L’idée n’est pas d’assurer un « pré carré » français au sein de l’OTAN mais d’œuvrer à la pensée et à la conception de la « grande stratégie » atlantique.

Rupture dans la vision des engagements militaires européens : au long des années 1990, les gouvernements européens ont présenté leurs opérations extérieures comme de simples réponses fonctionnelles aux désordres internationaux, réponses géopolitiquement décontextualisées et décorrélées de leurs intérêts stratégiques (« maintien de la paix » et « humanitaro-militaire » dominent les esprits). Il est temps d’admettre que la guerre n’est pas morte. Les Alliés sont engagés dans une guerre asymétrique, face à des acteurs anomiques dont le jeu consiste à porter l’affrontement dans d’autres dimensions que celles d’une guerre classique (substitution de rapports de nuisance aux rapports de puissance).

Rupture dans la vision de l’Europe : le projet européen était prétendument voué au dépassement des politiques de puissance et du « phénomène guerre », mais la posture du vieux sage hégélien se révèle être une imposture. L’eschatologie sécularisée européiste bascule dans l’« Historic Park ».

L’engagement militaire en Afghanistan ne doit donc pas être analysé à l’aune des seuls débats internes à l’aire euro-atlantique (« Europe de la défense » versus OTAN) et un éventuel échec serait celui de l’ensemble des Etats membres de l’OTAN, vingt-et-un d’entre eux appartenant simultanément à l’UE. D’aucuns affichent leur indifférence pour ce théâtre d’opérations et en appellent au retrait pur et simple, en arguant des difficultés de l’entreprise et des dommages collatéraux subis par des non-combattants. En l’occurrence, l’hyper-moralisme vole au secours de l’hyper-terrorisme. Après le retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan, en février 1989, les Occidentaux et l’ensemble de la Communauté internationale se sont effectivement désintéressés de la situation afghane ; on en connait les conséquences. Voudrait-on voir à Kaboul un nouvel émirat islamique, l’Afghanistan redevenant ainsi le centre nerveux de l’islamo-terrorisme ? Les différents mouvements islamistes auraient alors le sentiment que le monde musulman, après avoir vaincu l’ « empire romain d’Orient » (Russie-Soviétie) en Afghanistan, aurait défait l’ « empire romain d’Occident » (Etats-Unis et OTAN). Leurs représentations géopolitiques les plus phantasmatiques en sortiraient renforcées et les contrecoups de cette défaite seraient immenses, jusque dans le bassin occidental de la Méditerranée et au cœur des pays européens.

Aussi cet engagement militaire doit-il être pensé et analysé dans le contexte géopolitique afghan et, plus largement, celui du « milieu des empires » (1). Appréhendé sur la très longue durée, le territoire afghan est un carrefour stratégique et géoculturel traversé par les mouvements de peuples et de civilisations. Dès la plus lointaine antiquité (2000-1500 av. Jésus-Christ), des tribus indo-européennes descendent des hauts-plateaux centre-asiatiques vers le Pendjab, en empruntant la passe de Khyber, et l’histoire de l’Afghanistan s’écoule, par ruptures successives, entre les influences croisées de deux grands foyers de civilisation, la Perse et l’Inde. Ce territoire est englobé par l’Empire perse (provinces de Drangiane, d’Areia et d’Arachosie) puis il est conquis par Alexandre le Grand qui y fonde plusieurs Alexandreia (Hérat, Kandahar, Kaboul). L’Afghanistan fait ensuite partie du royaume de Bactriane (v. 250-50 av. Jésus-Christ), à l’origine d’une vigoureuse synthèse gréco-hellénique dont l’influence retentit dans l’ensemble de l’aire hellénistique (le bassin indo-méditerranéen). Avec les invasions d’autres nomades indo-européens, les Scythes, ce territoire est incorporé dans le royaume des Kouchanes (IIe-VIe siècles) qui comprend un temps le Nord-Ouest de l’Inde. L’Afghanistan est alors le centre de diffusion du bouddhisme mahayaniste (le Grand Véhicule) sur les routes de la soie qui traversent l’Asie centrale, à destination de la Chine.

C’est au VIIIe siècle que l’Afghanistan est islamisé et conquis par les Turcs Ghaznévides, qui à leur tour franchissent les cols de l’Hindou Kouch pour conquérir le Pendjab (XIe siècle). En 1173, les Ghaznévides sont renversés par un chef afghan, Mohammed de Ghor, qui conquiert le Pendjab et le bassin du Gange et fonde le sultanat de Delhi. L’Afghanistan est ensuite englobé dans l’empire moghol (1526) puis passe, en tout et en partie, sous diverses dominations (le Perse Nadir Chah ; Ahmed Chah et la dynastie Dourrani), au cours du XVIIIe siècle, avant de sombrer dans l’anarchie. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le territoire afghan se trouve au centre du « grand jeu » qui met aux prises la Russie tsariste, dont l’aire d’expansion englobe désormais le Turkestan occidental (l’Asie centrale), et le Royaume-Uni, soucieux de consolider les frontières nord-ouest de l’Empire des Indes.

Les rivalités d’influences et l’engagement britannique dans deux « guerres afghanes » (1839-1842 et 1878) débouchent sur un accord entre Londres et Saint-Pétersbourg pour fonder un royaume d’Afghanistan, avec une fonction d’Etat-tampon entre les deux grands empires (1885). Les Britanniques obtiennent des Russes la reconnaissance d’un semi-protectorat sur l’Afghanistan et tracent  l’essentiel  des  frontières  du  nouvel Etat. Au nord-est, le pédoncule du Wakhan, entre les chaînes du Pamir et de l’Hindou Kouch, face au Turkestan oriental (sous souveraineté chinoise), sépare la zone d’influence russe de l’Empire des Indes. Au sud de la passe de Khyber, la « ligne Durand » – du nom du vice-roi des Indes, lord Mortimer Durand –, passe par le milieu des zones montagneuses pachtounes (les Pathans du Pakistan occidental) (2).

Suite au retrait britannique et à la partition de l’Empire des Indes (1947), l’Afghanistan devient le voisin du Pakistan et Kaboul émet un temps des revendications sur les territoires à l’est de la « ligne Durand » (les « territoires tribaux », peuplés de Pachtounes/Pathans, qui bénéficient d’une très large autonomie au sein du Pakistan). L’Afghanistan est l’objet des sollicitudes internationales, en tant que « pays sous-développé », et de rivalités pacifiques entre Américains et Soviétiques qui financent diverses infrastructures (l’aéroport de Kandahar pour les Américains et le tunnel du Salang pour les Soviétiques). A la fin des années 1960, cet équilibre est rompu au profit des Soviétiques, les Américains concentrant leurs efforts sur l’Iran et le Golfe Arabo-Persique. Toutefois, l’abolition de la monarchie en 1973, le coup d’Etat du Parti démocratique du Peuple afghan (communiste) en 1978, les rivalités entre les factions du PDPA et l’insurrection islamiste qui s’ensuit précipitent l’intervention soviétique (1979-1989). L’Afghanistan fait retour dans le « grand jeu » de la Guerre froide et le conflit exaspère les contradictions internes de l’URSS. Les troupes soviétiques se retirent en février 1989, quelques mois avant la chute du mur de Berlin et la dislocation du glacis centre-européen (le Pacte de Varsovie). Trois ans plus tard, le gouvernement pro-soviétique de Kaboul s’effondre mais les différents partis, tous plus ou moins islamistes, qui composent le gouvernement de coalition, s’affrontent les armes à la main. C’est au cours de cette guerre civile que les Talibans, épaulés par les services secrets pakistanais, prennent Kandahar, Kaboul, puis la quasi-totalité de l’Afghanistan (1996). On connaît la suite des événements.

La situation géopolitique actuelle est pour le moins incertaine et l’Afghanistan se trouve à nouveau au centre d’une partie stratégique autrement plus complexe que le « grand jeu » du XIXe siècle. Sur place, les Alliés cherchent à promouvoir une forme de « gouvernement décent », plus ou moins démocratique. Avec l’accord de la Loya Girga, une nouvelle Constitution a été adoptée (2003), Hamid Karzaï, un notable pachtoune réputé modéré, a été élu président (2004) et des élections législatives ont pu être organisées (2005). Toutefois, les rivalités ethniques  (Tadjik sunnites contre Pachtounes sunnites) et confessionnelles (sunnites contre chiites), ainsi que le jeu des tribus et des chefs de guerre, sur fond de narcotrafics (opium et héroïne), limitent fortement l’autorité du pouvoir central. Si elle est de bonne guerre, la tactique alliée qui consiste à s’appuyer, quand les conditions le permettent, sur les tribus pour combattre Al Qaïda et les Talibans, est politiquement périlleuse. Cette géopolitique interne tourmentée alimente l’islamisme, non point aberration historique temporaire mais dimension fondamentale des affrontements en cours.

Sur le plan de la géopolitique externe, l’Afghanistan est à la croisée de stratégies antagoniques. Bien que le Pakistan soit officiellement engagé dans la « guerre contre le terrorisme », aux côtés des Etats-Unis, les islamistes pakistanais et des éléments de l’appareil de pouvoir (militaires et services secrets) s’ingénient à faire de l’Afghanistan leur « grand arrière », pour s’assurer une certaine profondeur stratégique face à l’Inde, cherchent à constituer un bloc militaro-sunnite face à l’Iran chiite, et entendent s’ouvrir une voie d’accès à l’Asie centrale. C’est dans les zones frontalières pachtounes du Pakistan, avec l’aide de cet « Etat profond », que les Talibans et Al Qaïda bénéficient de sanctuaires. A l’ouest, l’Iran soutient traditionnellement les Hazaras (chiites), les Tadjiks (sunnites mais de langue persane) et Téhéran pourrait appuyer divers chefs de guerre.

Au nord, les Etats d’Asie centrale (Turkménistan, Ouzbékistan et plus encore Tadjikistan) redoutent l’extension du « chaos afghan » et sont impliqués dans le conflit (points d’appui militaire et facilités logistiques sont accordés aux Alliés). Fortement présente en Asie centrale et redoutant elle aussi les débordements, la Russie a accepté l’intervention militaire occidentale dans ce qu’elle considère être son « étranger proche » (Asie centrale ex-soviétique). Elle cherche à maintenir une certaine influence dans les évolutions intérieures au moyen des factions tadjikes et pourrait soutenir elle aussi certains chefs de guerre. Cela dit, les dirigeants russes s’inquiètent aussi de la percée américaine et occidentale dans les ex-républiques soviétiques. Moscou propose la signature d’un accord global sur l’acheminement des matériels et approvisionnements et cherche ainsi à obtenir un « vis-à-vis » entre l’OTAN et l’OTSC (Organisation du Traité de Sécurité Collective). L’Organisation de Coopération de Shanghaï offre d’autres options possibles pour accroître l’influence russe (l’Afghanistan en est membre associé).

On aura compris qu’il ne suffit pas de prôner une « solution politique », en lieu et place d’une « solution militaire », pour l’emporter dans cette partie aux ramifications et aux prolongements géopolitiques multiples. Certes, l’approche des pays engagés doit être « globale » ainsi que la déclaration de Bucarest sur la stratégie politique et militaire en Afghanistan, adoptée le 4 avril 2008, le stipule. Il faut s’engager dans la durée, renforcer l’armée et la police afghane, mieux associer action militaire, efforts de développement et reconstruction, bien prendre en compte la dimension régionale du conflit (la déstabilisation du Pakistan, en tout premier lieu). Il faut à cet égard rappeler que la diplomatie française, sous Jacques Chirac, s’est opposée avec constance à la promotion de l’OTAN, en tant qu’organisation, comme instance de coordination globale des efforts de la Communauté internationale. Le retour d’expérience de cette guerre asymétrique montre effectivement la nécessité d’une approche civilo-militaire intégrée, afin de contrôler dans la durée le terrain conquis par les armes. Il serait contradictoire d’en appeler aux mânes du Maréchal Lyautey et de refuser à l’OTAN les moyens de mener à bien sa mission.

Au final, la variable « temps » et les motivations qui sous-tendent une « grande stratégie » feront la différence entre les Alliés et leurs ennemis, sur le théâtre afghan comme dans d’autres espaces où les Occidentaux sont engagés, et ce quels que soient les « formats » (OTAN, UE et « coalitions de bonnes volontés »). Ce type d’opération requiert un engagement dans la durée et une stratégie de haute géopolitique, ainsi que le montre a posteriori le jeu britannique en Afghanistan (défaites en 1842 et 1878, certes, mais obtention d’un droit de garde sur la passe de Khyber et du contrôle de la politique étrangère afghane, en 1879 ; institution d’un semi-protectorat en 1907 ; intervention dans les conflits internes des années 1920-1930). Or les sociétés occidentales évoluent dans une temporalité dévastée et sont en proie au « présentisme ». Enfin, ces guerres-Protée doivent être soutenues par des motivations puissantes, religieuses ou autres (amour de la patrie, conscience de civilisation), qui seules permettent de dépasser les limites individuelles.

Plus encore en Europe qu’en Amérique du Nord, les sociétés dites « post-héroïques » sont bien en mal de générer les qualités et les types de personnalités que les défis des temps présents exigent. La faiblesse des dépenses militaires et les études d’opinion témoignent de la chose ; l’effroi des Européens devant leur passé leur tient lieu de religion, avec le « relativisme agressif » en guise d’orthopraxie. Pourtant, il nous revient à l’esprit cette forte pensée d’Arthur Koestler : « Nous ne défendons que des demi-vérités mais face à un mensonge total » (cité de mémoire).

Notes •

(1) René Cagnat et Michel Jan, Le milieu des empires, ou le destin de l’Asie centrale, Robert Laffont, 1981.

(2) Yves Lacoste, Géopolitique. La longue histoire d’aujourd’hui, Larousse, 2006, pp. 270-279.