Stade de France · Des sifflets pour ne rien dire

Jean-Thomas Lesueur, directeur général de l’Institut Thomas More

17 octobre 2008 • Opinion •


A rebours de l’émoi général provoqué par La Marseillaise couverte de sifflets lors du match France-Tunisie de mardi dernier, un homme, Hatem Ben Arfa, joueur de l’équipe de France d’origine tunisienne, a simplement déclaré après le match : « On s’attendait tous à ça […]. C’est un peu dommage mais ce n’est pas grave. Ils ont besoin d’exister, il y avait plus de Tunisiens que de Français, il faut les comprendre. » On pourrait prendre cette placide déclaration pour un exercice de sagesse appliquée si elle n’était le signe d’une complaisante et consensuelle illusion… Car le propre de ces sifflets est qu’ils n’avaient rien à dire. Le propre de ces manifestations répétées, après les matchs France-Algérie en 2001, Bastia-Lorient en 2002 et France-Maroc en 2007, de détestation ordinaire est qu’il y a peu à « comprendre ».

Chercher des raisons politiques à ces sifflets dans le malaise ou le ressentiment social de jeunes immigrés ou Français d’origine immigrée serait aussi trompeur que le fut l’assignation a posteriori d’un sens politique aux émeutes de 2005 : pas totalement faux, mais loin d’être exact. Le déchaînement de violences de 2005 fut une « révolte muette », sans revendications, sans mots ni paroles, par là irrécupérable par une quelconque force politique et provoquant le trouble dans l’esprit de responsables politiques toujours prêts à formuler des réponses (et rassurés de le faire) à toutes les « quêtes de sens ». Les sifflets du Stade de France répondent au même schéma.

Or on peut douter que ces manifestations ostensibles de mépris à l’égard d’un signe reconnaissable de l’identité française soient motivées par une conscience politique éclairée. Ces jeunes, Français ou pas, ne haïssent pas la France parce qu’ils aiment une autre patrie. Ils communient en groupe dans une identité sociale de réaction, facilement violente, banalement hostiles à toutes les institutions, mais dont la caractéristique essentielle, selon nous, est qu’elle est aussi spectaculaire dans ses manifestations que faible sur ses assises. Ces jeunes ne se « veulent » pas français : sont-ils pour autant tunisiens, marocains, algériens ? Sont-ils chez eux quand ils sont là-bas ? Perdus entre deux cultures en un temps où les cultures elles-mêmes se brouillent et perdent leur caractère singulier, mal scolarisés, peu diplômés, plus souvent chômeurs que d’autres, finalement faiblement armés pour dire qui ils sont et prendre leur part dans une société elle-même fragilisée, ils s’inventent une identité à laquelle ils demandent avant tout d’être radicale et provocatrice.

Car la provocation, mais une provocation entendue, n’est pas pour rien dans ces sifflets. Fils de leur temps, ces jeunes en adoptent, à leur manière, les codes et les poncifs. L’époque est à la confusion des idées, à l’aplatissement des hiérarchies, à la fête institutionnalisée et médiatisée, à l’esprit de raillerie, aux succès faciles, à l’avachi : l’époque est adolescente enfin. Consommateurs, comme d’autres, de médias qui mêlent sans distinction politiques et starlettes, philosophes et sportifs, en vue de produire du divertissement pour le plus grand nombre, ces jeunes, spectateurs et acteurs, prennent leur part du spectacle et sifflent La Marseillaise en fixant droit, l’œil de la caméra. Leurs sifflets disent-ils plus que les ânonnements d’une éphémère vedette de téléréalité ? Le bruit médiatique ne fait pas un discours.

Cet épisode du Stade de France, pour choquant qu’il soit pour beaucoup, doit donc être analysé comme il convient : le signe du triomphe d’une puérilité grégaire massivement répandue dans la société, le résultat spectaculaire d’un coup médiatique conçu de longue date par certains, semble-t-il, les « cinq minutes de gloire » de jeunes qui font du bruit mais pas de politique.