7 avril 2009 • Analyse •
Les nuages s’accumulent au-dessus des économiques africaines. Le directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, l’a dit le 10 mars dernier en Tanzanie : « Même si la crise a été lente à atteindre les rivages de l’Afrique, nous savons tous qu’elle arrive et que son impact sera sévère ». Cette mauvaise nouvelle – à laquelle il fallait bien s’attendre – vient s’ajouter aux handicaps structurels déjà lourds et bien connus des économies du continent.
Car, une fois de plus cette année, le climat des affaires se dégrade en Afrique. C’est ce que laisse entendrele classement Doing Business 2009 de la Banque Mondiale (1). En effet, si certains pays progressent de 2008 à 2009 – selon la Banque mondiale, les pays africains ont adopté plus de réformes en 2007-08 que dans toute année précédemment couverte ; trois des dix pays les plus réformateurs du monde se trouvent en Afrique : le Sénégal, le Burkina Faso et le Botswana –, beaucoup reculent et stagnent en queue du peloton. C’est en particulier le cas de l’Afrique centrale : par rapport à 2008, la RDC reste au dernier rang (181e sur 181), la RCA à l’avant-dernier (180e), le Congo au 178e et le Cameroun, 164e, perd six places.
Certes, un tel classement doit être relativisé car il ne porte que sur une série d’indicateurs standards (coût de création d’une entreprise, obtention permis de construire, paiement des taxes, etc.), et ne tient pas compte de l’environnement politique et macro-économique des pays… sinon comment expliquer que le Zimbabwe ne soit qu’en 158e position ?!… Il n’en demeure pas moins que la situation est devenue difficile pour les entreprises en Afrique centrale, qu’elles soient nationales ou étrangère, qui doivent opérer dans un environnement de plus en plus défavorable, pour ne pas dire hostile : un cadre juridique et réglementaire contraignant, difficilement applicable et source d’incertitude et d’insécurité, une multiplicité de procédures administratives qui entraîne corruption, favoritisme et compromissions de toutes sortes, une pression fiscale oppressante accompagnée d’un harcèlement permanent, etc. Au point que, en RCA par exemple, les deux principales organisations patronales, l’une regroupant les investisseurs étrangers, l’autre rassemblant les PME nationales, n’ont pas hésité récemment à menacer d’arrêter leurs activités si ce climat d’hostilité devait se poursuivre… Les groupes français ne sont évidemment pas en mesure de réagir individuellement à ces débordements, et c’est toute la légitimité d’une organisation comme le CIAN, avec son rapport annuel intitulé « Les entreprises françaises et l’Afrique » (2), que de dire les choses sans détour aux gouvernements concernés… d’autant que choses ne vont pas aller en s’améliorant avec le renforcement des effets de la crise et certaines perspectives électorales.
Pourtant réformer l’environnement des affaires est aujourd’hui une priorité pour les pays africains du fait de l’influence significative de cet environnement sur le développement du secteur privé et, de là, sur la croissance économique et la génération d’emplois et de moyens de subsistance. L’enjeu est important pour les pays africains, d’autant que l’ensemble des pays en développement sont lancés dans une compétition serrée pour attirer les investissements directs étrangers. Chacun se doit donc de rendre « la mariée aussi belle que possible ». Mais il ne suffit plus qu’elle soit belle. Elle doit aussi se faire voir.
Un dialogue public-privé difficile mais pas impossible
Chacun, public et privé, se rejette en effet la responsabilité de l’immobilisme et de ces mauvaises notes données par les indicateurs de perception du climat des affaires, celui de la Banque mondiale, comme d’autres.
Le secteur privé, quant à lui, soupçonne l’Etat de d’avantage chercher à l’encadrer qu’à l’appuyer et de vouloir le diviser. Il lui reproche un manque de volonté politique et déplore le trop grand nombre de structures ministérielles en charge des entreprises qui, n’ayant pas la flexibilité nécessaire pour répondre aux nombreuses sollicitations des entreprises, sont synonymes à ses yeux de bureaucratie et de « mal gouvernance ». La plupart des interlocuteurs qu’on interroge du côté du secteur privé évoquent fréquemment l’incapacité de l’Etat à envoyer des signaux clairs et sans ambiguïtés de sa bonne volonté et de sa sincérité, ainsi que sa crainte que l’ouverture à des acteurs privés puisse apparaître pour lui comme le signal d’un désengagement déguisé et interprétée comme un aveu d’impuissance de l’appareil étatique.
De leur côté, les responsables concernés au sein du secteur public et des administrations qualifient généralement le secteur privé de secteur atomisé, pauvrement doté en capacités analytiques et mu par des préoccupations à courte vue et des comportements rentiers. Ce secteur est vu comme dual et hétérogène, c’est-à-dire caractérisé par une coexistence entre des grands groupes étrangers et un secteur privé national faible, tandis que le secteur informel est omniprésent et en pleine croissance, surtout en milieu urbain.
Ces problèmes de méfiance réciproque, alimentés par l’impossibilité d’assurer le respect des engagements du partenaire, voire la simple vérification de ces derniers, aboutit généralement à un cercle vicieux et à la persistance d’un équilibre non coopératif entre l’Etat et le secteur privé. Cette faible efficacité du dialogue public-privé en matière de mise en œuvre de recommandations adoptées – et le fait que les enjeux que soulèvent les mécanismes consultatifs et participatifs de formulation des politiques publiques et les bénéfices qu’ils génèrent sont souvent trop vastes et sans agenda précis – suscite un sentiment de lassitude et de scepticisme du côté du secteur privé vis à vis de ces instances de dialogue.
Pourtant, les choses sont moins simples et pas aussi binaires que cela paraît. Osons l’affirmer : l’administration n’est pas porteuse de tous les maux et le secteur privé n’est pas paré de toutes les vertus. Contrairement aux idées reçues, l’administration africaine évolue et on constate qu’une volonté de dialogue existe objectivement chez beaucoup de décideurs publics, conscients que la légitimité des politiques publiques est désormais conditionnée par leur efficacité au plan socio-économique. On commence à pouvoir identifier au sein des gouvernements et des administrations africaines des personnalités réformatrices favorables aux réformes et au dialogue avec le secteur privé et qui constituent autant de « poches d’efficacité » au sein des pouvoirs publics.
La mise en place d’un processus crédible de dialogue entre milieux d’affaires et les États suppose le choix de chaque côté d’interlocuteurs légitimes, représentatifs, impliqués et convaincusde l’intérêt de la démarche. Force est de constater que ce n’est pas toujours le cas côté secteur privé. Le comportement des entreprises est en effet loin d’être irréprochables, y compris celui de certaines entreprises françaises – et non des moindres – qui croient que le maintien de leur position concurrentielle en Afrique passe encore uniquement par les palais présidentiels. Le résultat est que, à tort ou à raison, certaines de nos entreprises sont fréquemment vues comme cherchant à faire des affaires là où leurs concurrents font du business et, ce faisant, sont accusés par leurs homologues africains d’être en partie responsables de la dégradation du climat des affaires.
Pour autant, la majorité des entreprises françaises s’efforcent de mettre en œuvre des stratégies novatrices en matière de pénétration et d’enracinement dans les marchés africains. La plupart d’entre elles, et beaucoup d’Africains le reconnaissent, ont en effet rompu avec les visions extatiques de l’Afrique pour s’engager sur un terrain concurrentiel qui n’a plus rien à voir avec les palais présidentiels ou les antichambres des ministères. Les crises récentes ont montré à quel point il est devenu nécessaire de comprendre les mutations en cours en privilégiant des logiques de terrain face à la nouvelle réalité du pouvoir dans ces pays…
Le dialogue public-privé, ça marche… à plusieurs conditions
En premier lieu, un bon diagnostic est indispensable pour identifier les contraintes de l’environnement des affaires ainsi que les dysfonctionnements tant organisationnels qu’institutionnels qui s’y rapportent. C’est la partie facile, plus facile que d’assurer l’adhésion des différentes parties prenantes vis-à-vis des réformes à mener. Construire le consensus autour du besoin de réforme est pourtant la partie à laquelle on accorde fréquemment le moins de soins. Cette construction passe par une phase de stimulation des parties prenantes afin d’essayer de dégager un consensus sur les objectifs à atteindre, les mesures à prendre (les indicateurs Doing Business constituent à cet égard un outil simple et très utile à cet égard, mais pas uniquement) ainsi que sur la façon la plus efficace de mettre en œuvre ces actions, ce en les regroupant dans un plan d’action simple et lisible qui classe les mesures à prendre en fonction de leur horizon temporel de mise en œuvre.
Ensuite, il est impérieux que la structure de concertation mise en place pour gérer ce dialogue et mettre en œuvre les mesures préconisées dispose de l’autorité suffisante pour s’imposer aux autres ministères afin de pérenniser un système de dialogue qui soit systématique et non sporadique sur la base dematrices d’action contraignantes en termes de résultats, de responsabilités et de délais.L’expérience montre que la dite structure doit être rattachée au sommet de l’Etat, signe tangible de la volonté politique de faire évoluer les choses.
Enfin, la capacité du secteur privé à s’organiser est une condition préalable essentielle à un dialogue permanent et constructif. Pour assurer un dialogue qui soit également cohérent et efficace en matière de définition d’une politique économique ou sectorielle, l’Etat doit en effet avoir face à lui un nombre limité d’interlocuteurs représentatifs. Les pouvoirs publics sont en effet d’autant moins enclins à dialoguer avec le secteur privé que ce dernier est inorganisé et faiblement doté en capacités institutionnelles. Ceci montre la nécessité de renforcement des capacités des organisations du secteur privé, mais aussi celle d’élargir leur représentation.
Impliquer les réseaux d’entrepreneurs et décideurs de la « nouvelle génération »
On constate en effet que, notamment sous l’influence du Nigeria voisin, des réseaux d’entrepreneurs et de cadres d’entreprises commencent à s’organiser en Afrique centrale, tout particulièrement au Cameroun, avec l’objectif de s’investir chez eux dans l’amélioration de l’environnement des affaires ainsi que dans des opérations à caractère social pour changer l’image des entreprises. Ces réseaux ou associations (du type club des réformateurs) existent en Afrique anglophone et rassemblent des entrepreneurs ne se retrouvant pas dans les associations existantes et qui, parlant business et autofinançant leurs actions, constituent des interlocuteurs crédibles des gouvernements qui favorisent les réformes en matière d’amélioration de l’environnement des affaires. Dans un pays comme le Cameroun, ces réseaux se développent au delà des clivages politiques du pays – c’est le cas par exemple de « Cap Génération » –, mais de manière timide et informelle tant ils restent méfiants vis-à-vis des Etats qui ont tendance à les considérer comme des contre-pouvoirs.
Encore fragile et embryonnaire, ce mouvement est loin de représenter la cohésion et la masse critique nécessaire pour forcer les évolutions et dominer les forces de résistance qui sont importantes, mais ils peuvent devenir à terme une capacité indépendante d’analyse et de proposition du secteur privé moderne. C’est pourquoi, il faut trouver le moyen d’appuyer ces nouvelles organisations, notamment en facilitant leur interconnexion au plan régional, mais tout en préservant leur autonomie et leur indépendance, pour les impliquer en tant qu’agents du changement dans la concertation public-privé, mais sans pour autant devenir une institution de plus. Cet appui, qui n’est possible qu’au fur et à mesure où ces réseaux se formaliseront, pourrait prendre la forme d’un approfondissement des analyses, la mise à disposition de compétences pour des études, la mise en relation avec les décideurs au plan national, régional et international ainsi que la formation aux techniques de lobbying. Mais cette intervention extérieure doit rester souple et la plus légère possible pour faciliter la maîtrise rapide du système par les bénéficiaires.
Ces nouveaux acteurs sont par ailleurs demandeurs de contacts avec les groupes étrangers, notamment français, mais, ni francophile, ni francophobes, beaucoup d’entre eux n’admettent pas de voir la référence politique suppléer aux références économiques. C’est pourquoi ils n’hésitent pas à dénoncer les entreprises françaises qui s’appuyent encore sur un passé historique que certains idéalisent – alors que pour les jeunes Africains, il est souvent rejeté, ou à tout le moins obsolète. A leurs yeux, la trop forte proximité de ces entreprises avec les pouvoirs en place les fait qualifier de « champions du non développement durable »…
L’aide extérieure est encore nécessaire
Mais il ne suffit pas de réunir gouvernement, hauts fonctionnaires et associations professionnelles autour d’une table pour qu’un climat de confiance s’instaure et que des orientations de politique économique soient conjointement élaborées. Il convient à cet égard de rester prudent et ne pas chercher à forcer les évolutions, comme cela a été le cas au Ghana où le DPP a été engagé de manière prématurée – avec la Table ronde du secteur privé à Accra en 1993-1994 notamment. Dès lors, briser le cercle vicieux de méfiance et engager une dynamique nouvelle de dialogue peut nécessiter des ressources externes et l’intervention d’une tierce partie.
Les bailleurs de fonds, et l’UE en particulier – c’est le sens du programme BizClim –, peuvent jouer ce rôle, c’est à dire être le médiateur, celui qui informe le processus sur le plan analytique, partage sa connaissance des bonnes pratiques sur le plan procédural, et s’impose comme le garant des engagements et de la sincérité des acteurs. Sans chercher à se substituer aux acteurs locaux du DPP, les bailleurs peuvent être des intermédiaires capables d’identifier les acteurs du changement au sein de l’administration et du secteur privé susceptibles d’amorcer et pérenniser ce dialogue.
Mais quelque soit le rôle du bailleur, son action doit être placée sous le signe de la modestie. Certaines des contraintes qui déterminent l’interaction entre l’Etat et le secteur privé, à commencer par la lourdeur de l’administration ou encore un secteur privé encore insuffisamment organisé, sont à la fois difficiles à contourner et impossibles à réformer à court terme. Le comprendre permet de dessiner, de manière réaliste et pragmatique, les contours de ce que l’on peut attendre du DPP en matière de politique en faveur de la compétitivité et de la croissance.
Notes •
(1) Doing Business 2009, septembre 2008, voir sur https://francais.doingbusiness.org.
(2) Rapport 2009 disponible sur https://www.cian.asso.fr/cianweb/website.nsf/(DocsByUnid)/(F5278F678D659B45C125755B00509D6A)!OpenDocument&Language=L1.