Sommet de Lisbonne · De l’Otan à l’Europe

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

18 novembre 2010 • Opinion •


Réunis en sommet à Lisbonne, les 19-20 novembre 2010, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Otan adopteront un nouveau concept stratégique qui refonde leur alliance politique et militaire. Dans l’après-Guerre froide, l’Otan a connu une transformation d’ensemble. A la défense mutuelle sont venues s’ajouter la projection de puissance et de stabilité sur des théâtres extérieurs. Simultanément, l’Otan s’est élargie à de nouveaux Etats membres – les Alliés sont passés de douze à vingt-huit – et sa zone d’influence s’est plus encore étendue. A l’Est, le Partenariat pour la Paix permet de développer diverses formes de coopération jusqu’en Haute-Asie. Au Sud, le Dialogue Méditerranéen inclut la quasi-totalité des Etats riverains et, via l’Initiative de coopération d’Istanbul, se prolonge dans le golfe Arabo-Persique. Soucieux de placer leur pays au cœur des choses et de renforcer les synergies euro-atlantiques, les dirigeants français ont pleinement réinvesti cette Otan rénovée.

La « nouvelle Otan » est aujourd’hui engagée sur le front de l’islamo-terrorisme, en Afghanistan, pour y faire prévaloir une forme décente de gouvernement. Dans ce « milieu des empires », la tâche se révèle ardue. Face aux Talibans, qui jouent sur les asymétries morales et la lassitude des opinions publiques, les Alliés ont remis à l’honneur les théories de la contre-insurrection élaborées en d’autres temps par des stratégistes français. L’approche civilo-militaire intégrée que cette guerre requiert – afin de contrôler dans la durée le terrain conquis par les armes -, suppose aussi une action de conserve entre l’Otan et l’UE. La négociation d’un partenariat de haut niveau entre les deux organisations regroupant l’essentiel des Etats de l’aire euro-atlantique sera l’un des enjeux du sommet de Lisbonne. De surcroît, des partenariats avec divers acteurs d’importance – puissances constituées, instances régionales et organisations fonctionnelles – sont envisagés.

L’élaboration du nouveau concept stratégique de l’Otan passe par l’identification de points d’équilibre entre les Alliés, leurs orientations politico-stratégiques et intérêts de sécurité. Equilibre entre les missions premières de l’Otan – défense mutuelle et sécurité régionale – et l’engagement sur d’autres théâtres géostratégiques pour se saisir de problématiques sécuritaires plus lointaines dont les contrecoups pourraient menacer l’ensemble euro-atlantique. Equilibre entre le maintien d’arsenaux nucléaires en Europe, le déploiement d’une défense antimissile et la modernisation des forces conventionnelles, cette triade assurant la crédibilité d’une dissuasion globale et renouvelée. Equilibre entre politique d’ « engagement constructif » vis-à-vis de la Russie, sans complaisance aucune, et politique de la « porte ouverte » à l’égard des pays partenaires de l’Otan. Par ailleurs, les sujets qui fâchent – nouvel autoritarisme, atteintes aux libertés et occupation de territoires géorgiens – ne sauraient être évacués.

Plus largement, l’élaboration d’un nouveau concept stratégique et l’importance conférée à la vitalité de l’Alliance atlantique mettent en évidence le fait que les Etats-Unis, nonobstant diverses analyses post-occidentales, continueront à réassurer la sécurité européenne. Constamment réaffirmé à l’issue de la nouvelle « guerre de trente ans » (1914-1945) qui a mis à bas l’hégémonie partagée des Européens, ce choix géopolitique conditionne la cohérence des instances euro-atlantiques, tant les destinées de l’UE et de l’OTAN sont liées. Cela est bel et bon. Il faudra pourtant prendre plus en compte le déplacement des centres de gravité de la géopolitique mondiale qui conduit les Etats-Unis à déployer efforts et énergies dans le Grand Moyen-Orient et en Asie-Pacifique. Ce mouvement de fond ouvre des espaces pour une « Europe de Lisbonne » plus apte à partager le fardeau et les responsabilités, dans l’espace Vancouver-Vladivostok comme sur ses approches méditerranéennes et sahélo-sahariennes.

La visée doit être celle d’une alliance transatlantique bilatérale entre l’Amérique du Nord d’une part, l’Europe une et entière d’autre part. Le Commonwealth paneuropéen qu’est l’UE peinant à se muer en un Commonwill de plein exercice, nous n’en sommes pas là. Toutefois, la mise en œuvre du traité de Lisbonne ouvre le champ des possibles et il existe de réelles marges d’action. On songe à la Politique commune de sécurité et de défense (PCSD). En la matière, il ne s’agit pas de construire une maquette idéale mais de bloquer le reflux des dépenses militaires qui, au prétexte de sauver des Welfare States en faillite virtuelle, désarme l’Europe. Il est un autre front sur lequel l’UE dispose aussi d’une véritable valeur ajoutée : sa politique de voisinage. Un engagement accru dans les géopolitiques de l’Est européen, du Sud-Caucase et du Bassin méditerranéen irait dans le sens d’une plus grande maturité.