Sûreté agricole et sécurité alimentaire · Sept milliards d’humains comptent sur le G20

Luc Guyau, président indépendant du Conseil de la FAO, et Michel Vaté, chercheur associé à l’Institut Thomas More 

4 novembre 2011 • Opinion •


Le Sommet du G20 qui va s’ouvrir à Cannes a du pain sur la planche. D’abord pour traiter des pressantes questions financières mondiales et apporter son soutien au plan de sauvetage de l’euro ; mais aussi pour tenir les promesses faites en 2008 aux pays pauvres. Il ne faudrait pas qu’une urgence en chasse une autre. S’attaquer enfin, et avec un nouveau regard, aux défis du développement et de la pauvreté, c’est aussi contribuer à l’ordre du monde.

Mais tenter de réduire la pauvreté collective sans s’attaquer à la vulnérabilité des personnes, c’est s’exposer à recommencer sa tâche tous les matins. En visant d’abord la vulnérabilité, on inscrit le recul de la pauvreté dans la durée. Or, dans les pays les plus pauvres, l’agriculture est prépondérante dans la production nationale, et les agriculteurs y constituent la majorité des actifs. La sûreté agricole et la sécurité alimentaire sont gouvernées par la vulnérabilité de la population agricole. La maîtrise des risques initiaux, qui affectent le potentiel économique de l’agriculteur (tels que sa santé, les conditions climatiques, la disponibilité en eau, …), est prioritaire car tout le reste en découle. Coût direct du sinistre, capacité dégradée de production et d’emprunt, coût accru du rattrapage : tels sont les préjudices qui appellent une couverture rapide et ciblée pour éviter le cumul irréversible des handicaps.

Résumons cela en forme de théorème : pour que la pauvreté recule durablement dans une région donnée, il est nécessaire d’y réduire la vulnérabilité des agriculteurs vis-à-vis des risques initiaux.

L’idée de l’assurance s’impose aussitôt à l’esprit. Partout dans le monde, la micro-assurance connaît un développement prometteur qui prouve, que l’assurance n’est pas réservée aux riches dans les pays riches. Mais son essor est freiné par son incapacité à supporter les charges extrêmes. La capacité de réassurance, indisponible sur place, doit être recherchée au niveau mondial : c’est l’objet de notre proposition « Planète Ré », un mécanisme de réassurance ultime des risques initiaux, destiné à stabiliser les systèmes locaux d’assurance.

Après constitution d’un fonds initial (encaissement des primes d’assurance modestes à l’échelon de l’agriculteur, et des primes de réassurance), d’autres ressources sont nécessaires pour maintenir la réserve au-dessus du seuil de sécurité. Elles peuvent provenir de l’aide publique ou de cotisations additionnelles. Avec des abondements plus novateurs, le risque ultime, au bout de la chaîne de réassurance, pourrait également être porté par des preneurs de risques sur les marchés financiers: en cas d’évènement extrême, un prélèvement infinitésimal sur les transactions financières, mobilisé via un dispositif pré-établi, permettrait de garantir le niveau d’assurance en dernier recours.

Une crise est un moment décisif – et c’est d’ailleurs l’étymologie du mot crise – où se joue l’avenir d’un système vivant. Deux facteurs sont alors déterminants : la résilience, et le potentiel de rebond en sortie de crise. C’est aussi le moment de repérer de nouvelles lignes directrices à substituer à celles que la crise a ébranlées. Nous avons la conviction que la sûreté agricole – avec son corollaire, la sécurité alimentaire – est l’une de ces lignes fortes pour les prochaines décennies, car tout est immense en ce domaine : l’échelle démographique du problème, l’effet de levier sur le développement humain si l’on réussit, et, à l’inverse, les périls géopolitiques si l’on échoue.

Trois défis doivent être relevés simultanément : traiter la crise d’aujourd’hui, protéger le potentiel de rebond demain et soigner les gisements de la croissance d’après-demain. Malmenée par le premier défi, la sûreté agricole est indispensable à la résolution des deux autres. Dans un contexte aussi turbulent (crise de la dette, volatilité excessive des marchés, changement climatique, etc.), la Banque Mondiale a déjà choisi de désigner la vulnérabilité et la résilience comme l’une des trois priorités de sa nouvelle stratégie pour l’Afrique. Cette institution a également pris en compte l’assurance dans la boite à outils de gestion des risques agricoles que le G20 lui a demandé de mettre au point. En inscrivant le concept d’une réassurance agricole garantie pour les pays pauvres dans la déclaration du Sommet de Cannes, le G20 se plierait à la règle d’or de toute stratégie longue : la meilleure décision n’est pas celle qui donne le meilleur résultat immédiat, mais celle qui place le système dans le meilleur état pour la décision suivante.