La Turquie et l’OTAN dans l’affaire syrienne

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

28 novembre 2011 • Opinion •


Dans l’affaire syrienne, une intervention militaire turque est désormais envisagée. Venant après le rapprochement bilatéral mis en valeur par une active diplomatie déclaratoire, la dégradation des rapports entre Ankara et Damas peut surprendre. Lorsque les relations turco-syriennes sont appréhendées sur des temps de moyenne durée, la chose n’est pourtant guère étonnante. Outre, les revendications syriennes sur le sandjak d’Alexandrette, concédé à la Turquie lorsque la Syrie était sous mandat français, ces deux États se sont aussi opposés sur l’usage des eaux de l’Euphrate, suite à la construction par la Turquie d’un complexe de barrages dans les régions kurdes orientales (Projet d’Anatolie du Sud-Est). Il faut enfin se souvenir que Damas a instrumentalisé la question kurde et soutenu le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), engagé dans une campagne terroriste.

En 1998, le jeu trouble du régime syrien et la protection accordée à Abdullah Öcalan, le chef du PKK, ont déjà mené les deux pays au bord de la guerre. C’est sous la menace d’une intervention militaire que Damas retire alors son soutien au PKK. Expulsé de Syrie, Öcalan est arrêté l’année suivante au Kenya pour être transféré en Turquie où il est depuis emprisonné. La Turquie et la Syrie peuvent ensuite entamer un progressif rapprochement dans le cadre de la diplomatie multivectorielle prônée par Ahmet Davutoglu, l’actuel ministre des Affaires étrangères turc. En 2007 est signé un accord de libre-échange, un dispositif par la suite élargi au Liban et à la Jordanie. En 2009, les deux capitales mettent sur pied un Conseil de coopération stratégique et des exercices militaires conjoints sont organisés. D’aucuns y voient alors le socle d’un grand ensemble moyen-oriental possiblement élargi à l’Iran.

Les révoltes arabes et leurs contrecoups, l’insurrection en Syrie et l’afflux des réfugiés en Turquie l’été dernier — ils sont aujourd’hui près de 7000 dans la province d’Hatay — ont inversé les processus en cours. Recep T. Erdogan a dû dénoncer les « atrocités » du pouvoir en Syrie puis, à l’instar des Occidentaux, exiger le départ de Bachar Al-Assad, ce dernier criant au complot turco-otanien. Istanbul abrite les réunions du Conseil National Syrien, l’Armée syrienne de libération (ASL) bénéficie d’appuis en Turquie et des troupes sont massées à la frontière. Ainsi la diplomatie de Davutoglu  redécouvre-t-elle les dangers de l’Orient complexe et belligène avec lequel Mustafa Kemal entendait rompre. Au vrai, les avait-elle seulement oubliés ?

Alors que la condamnation et les sanctions de la Ligue arabe accroissent la pression sur Damas, les autorités turques envisagent une intervention militaire du côté syrien de la frontière. L’objectif serait de constituer un espace-tampon, renforcé par une zone d’exclusion aérienne, afin de pouvoir protéger de nouveaux réfugiés, assurer un sanctuaire à l’ASL et interdire au régime syrien de faciliter l’action du PKK sur le territoire de la Turquie. Les dirigeants turcs hésitent encore et d’autres pays impliqués dans l’affaire syrienne comptent plus sur les effets de l’étouffement économique. Pour passer à l’acte, diverses conditions devraient être réunies parmi lesquelles la solidarité interalliée, l’implication de l’OTAN dans le dispositif aérien et le vote d’une résolution des Nations unies ; une dernière condition restrictive au regard de l’attitude russo-chinoise vis-à-vis du régime syrien.

Du côté de l’OTAN et de ses États membres, une alliance dont la Turquie est partie prenante, l’attentisme n’est pas de mise. C’est vers une guerre civile que la Syrie s’achemine, la chute du régime baathiste précipitant celle de tous les équilibres intérieurs et extérieurs, et ce dans une zone particulièrement fragile et tourmentée. Sont notamment en jeu l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah, l’avenir du programme nucléaire iranien et le refoulement des ambitions régionales de Téhéran, du Golfe à la Méditerranée orientale. Aussi la réassurance de l’OTAN à l’égard de son allié le plus oriental, pleinement engagé dans la défense antimissile et la protection du Sud-Est de l’Europe, doit-elle être soulignée. Il faut de surcroît étudier le soutien politique et logistique interallié à une intervention militaire turque en avant de ses frontières.

Sur un plan plus général, le Proche et Moyen-Orient participent d’une « grande Méditerranée », cette vaste aire géopolitique conflictuelle que couvrent l’OTAN et ses partenariats, dont leDialogue méditerranéen et l’Initiative de coopération d’Istanbul. Au regard de la situation et en l’absence d’autres « producteurs de sécurité », l’OTAN et ses États membres semblent appelés à s’investir plus encore dans ces régions.