Vague verte · Angoisses et enjeux autour des partis islamistes en Afrique du Nord

Antonin Tisseron, chercheur associé à l’Institut Thomas More

13 décembre 2011 • Analyse •


Après la Tunisie et – dans une moindre mesure avec 27 % des suffrages – le Maroc, les islamistes ont remporté les élections législatives égyptiennes. L’ensemble des formations islamistes, comprenant des salafistes, a obtenu officiellement 65% des voix au scrutin proportionnel du premier tour, dont 36 % pour le parti de la Liberté et de la Justice.

La déconfiture des partis libéraux tunisiens et égyptiens a des causes plurielles, culturelles, économiques, sociales mais aussi politiques. Elle s’inscrit en effet notamment dans les politiques de maintien au pouvoir des anciens dictateurs associant musèlement des opposants et références à l’islam. Ben Ali par exemple, assistait aux cérémonies religieuses à la Zitouna et rythmait ses discours de versets coraniques. Mais surtout, la victoire des partis islamistes montre une volonté de changement, l’image de partis en rupture ancrés localement et, comme au Maroc et en Tunisie, un discours social prônant la justice et l’équité.

Sur la rive nord de la Méditerranée, cette progression des partis islamistes inquiète sur l’avenir des droits de l’homme en Afrique du Nord, avec des craintes alimentées par les propos de dirigeants. L’un des derniers événements en date est l’évocation en novembre devant des militants, par le secrétaire général du parti islamiste tunisien Ennahda Hamadi Jebali, d’un État islamique à travers l’invocation d’un « sixième califat », référence au califat ottoman – le cinquième – aboli en Turquie le 3 mars 1924 par Atatürk.

Ces dernières semaines pourtant, ce sont autant la démocratie que des formations politiques qui l’ont emporté dans les urnes. En Égypte, le taux de participation a en effet été de 52 % lors du premier tour des élections législatives, et au Maroc de 45 %. À titre de comparaison, en septembre 2005, seul un quart des Égyptiens inscrits sur les listes électorales avaient effectivement participé au vote. Quant au Maroc, le taux de participation était en 2007 de 37 %. De même, le choix de s’engager dans la vie politique de partis comme le Parti justice et développement (PJD) marocain ou Ennahda, de se frotter au principe de réalité et s’accepter de former des alliances, doit être pris comme une opportunité pour la région. Face à des groupes plus radicaux, ces formations islamistes peuvent d’abord canaliser et intégrer leurs revendications dans le champ politique. Ensuite, pour des partis séculiers traditionnels dont les dernières élections ont montré l’incapacité à séduire les électeurs, l’électrochoc peut être salutaire pour les inciter à davantage se rendre auprès des électeurs et tenter de les convaincre. Les élections marocaines sont en cela révélatrices des efforts à faire. La campagne électorale a même été qualifiée de « trop sage » par plusieurs commentateurs, avec comme seul parti vraiment engagé dans la campagne les islamistes du PJD.

Si le risque d’une dérive religieuse ne doit pas être écarté, l’expérience turque, puissance qui suscite le plus d’admiration dans la région, est révélatrice d’un autre écueil pour les islamistes d’Afrique du Nord. Certes, d’un côté le parti islamiste de l’AKP a montré sa capacité à s’ancrer durablement dans le paysage politique et à obtenir des résultats économiques flatteurs. De même, aux terrasses des cafés se côtoient les femmes voilées et habillées « à l’occidentale ». Mais de l’autre côté, en février 2010 48 militaires étaient arrêtés pour complot présumé et l’organisation non gouvernementale Reporters sans frontières a dénoncé le 26 octobre dernier un acharnement du pouvoir contre les médias indépendants osant aborder la situation kurde ou la domination de l’AKP. Signe de ce virage autoritaire, le principal parti d’opposition (kémaliste), le Parti républicain du peuple, a mis au premier plan de sa rhétorique, lors des mois précédents les élections de juin 2011, la corruption et l’autoritarisme de l’AKP ainsi que les risques liés à l’accroissement du déficit public, et non plus une menace islamiste qui pèserait sur le pays.

Dans les mois qui viennent, les partis islamistes au pouvoir en Afrique du Nord devront en tout cas faire leurs preuves. Or dans ces transitions plus ou moins douces et face à un islamisme pluriel, les États européens et l’Union européenne ne doivent pas rejeter les partis modérés, au risque de renforcer les tenants d’une ligne radicale. Bien au contraire, ils doivent s’asseoir à leurs côtés, faire entendre d’autres voix, pour soutenir l’instauration d’un État de droit, seul à même de garantir les droits et le respect de tous, que cela soit contre les tenants d’un islam régissant l’espace public et privé au détriment des libertés individuelles ou la tentation d’une pratique autoritaire du pouvoir.

En avril 2009 le spécialiste de l’Afrique du Nord Luis Martinez écrivait qu’il fallait « vaincre la peur de la démocratie ». Deux ans plus tard, le défi reste d’actualité, au Maghreb mais aussi dans une Europe qui doit, quoi qu’il arrive, apprendre à connaître les vainqueurs des processus électoraux et à travailler avec eux.

Après la Tunisie et – dans une moindre mesure avec 27 % des suffrages – le Maroc, les islamistes ont remporté les élections législatives égyptiennes. L’ensemble des formations islamistes, comprenant des salafistes, a obtenu officiellement 65% des voix au scrutin proportionnel du premier tour, dont 36 % pour le parti de la Liberté et de la Justice.

La déconfiture des partis libéraux tunisiens et égyptiens a des causes plurielles, culturelles, économiques, sociales mais aussi politiques. Elle s’inscrit en effet notamment dans les politiques de maintien au pouvoir des anciens dictateurs associant musèlement des opposants et références à l’islam. Ben Ali par exemple, assistait aux cérémonies religieuses à la Zitouna et rythmait ses discours de versets coraniques. Mais surtout, la victoire des partis islamistes montre une volonté de changement, l’image de partis en rupture ancrés localement et, comme au Maroc et en Tunisie, un discours social prônant la justice et l’équité.

Sur la rive nord de la Méditerranée, cette progression des partis islamistes inquiète sur l’avenir des droits de l’homme en Afrique du Nord, avec des craintes alimentées par les propos de dirigeants. L’un des derniers événements en date est l’évocation en novembre devant des militants, par le secrétaire général du parti islamiste tunisien Ennahda Hamadi Jebali, d’un État islamique à travers l’invocation d’un « sixième califat », référence au califat ottoman – le cinquième – aboli en Turquie le 3 mars 1924 par Atatürk.

Ces dernières semaines pourtant, ce sont autant la démocratie que des formations politiques qui l’ont emporté dans les urnes. En Égypte, le taux de participation a en effet été de 52 % lors du premier tour des élections législatives, et au Maroc de 45 %. À titre de comparaison, en septembre 2005, seul un quart des Égyptiens inscrits sur les listes électorales avaient effectivement participé au vote. Quant au Maroc, le taux de participation était en 2007 de 37 %. De même, le choix de s’engager dans la vie politique de partis comme le Parti justice et développement (PJD) marocain ou Ennahda, de se frotter au principe de réalité et s’accepter de former des alliances, doit être pris comme une opportunité pour la région. Face à des groupes plus radicaux, ces formations islamistes peuvent d’abord canaliser et intégrer leurs revendications dans le champ politique. Ensuite, pour des partis séculiers traditionnels dont les dernières élections ont montré l’incapacité à séduire les électeurs, l’électrochoc peut être salutaire pour les inciter à davantage se rendre auprès des électeurs et tenter de les convaincre. Les élections marocaines sont en cela révélatrices des efforts à faire. La campagne électorale a même été qualifiée de « trop sage » par plusieurs commentateurs, avec comme seul parti vraiment engagé dans la campagne les islamistes du PJD.

Si le risque d’une dérive religieuse ne doit pas être écarté, l’expérience turque, puissance qui suscite le plus d’admiration dans la région, est révélatrice d’un autre écueil pour les islamistes d’Afrique du Nord. Certes, d’un côté le parti islamiste de l’AKP a montré sa capacité à s’ancrer durablement dans le paysage politique et à obtenir des résultats économiques flatteurs. De même, aux terrasses des cafés se côtoient les femmes voilées et habillées « à l’occidentale ». Mais de l’autre côté, en février 2010 48 militaires étaient arrêtés pour complot présumé et l’organisation non gouvernementale Reporters sans frontières a dénoncé le 26 octobre dernier un acharnement du pouvoir contre les médias indépendants osant aborder la situation kurde ou la domination de l’AKP. Signe de ce virage autoritaire, le principal parti d’opposition (kémaliste), le Parti républicain du peuple, a mis au premier plan de sa rhétorique, lors des mois précédents les élections de juin 2011, la corruption et l’autoritarisme de l’AKP ainsi que les risques liés à l’accroissement du déficit public, et non plus une menace islamiste qui pèserait sur le pays.

Dans les mois qui viennent, les partis islamistes au pouvoir en Afrique du Nord devront en tout cas faire leurs preuves. Or dans ces transitions plus ou moins douces et face à un islamisme pluriel, les États européens et l’Union européenne ne doivent pas rejeter les partis modérés, au risque de renforcer les tenants d’une ligne radicale. Bien au contraire, ils doivent s’asseoir à leurs côtés, faire entendre d’autres voix, pour soutenir l’instauration d’un État de droit, seul à même de garantir les droits et le respect de tous, que cela soit contre les tenants d’un islam régissant l’espace public et privé au détriment des libertés individuelles ou la tentation d’une pratique autoritaire du pouvoir.

En avril 2009 le spécialiste de l’Afrique du Nord Luis Martinez écrivait qu’il fallait « vaincre la peur de la démocratie ». Deux ans plus tard, le défi reste d’actualité, au Maghreb mais aussi dans une Europe qui doit, quoi qu’il arrive, apprendre à connaître les vainqueurs des processus électoraux et à travailler avec eux.