Vers une réassurance mondiale des risques des producteurs pauvres

Michel Vaté, chercheur associé à l’Institut Thomas More, professeur émérite à l’Université de Lyon (IEP)

26 mars 2012 • Analyse •


On sort toujours mieux, et plus vite, d’une crise quand on a une esquisse de scenario pour l’après-crise. Dans celle que traverse le monde aujourd’hui, l’Afrique a une carte à jouer : chez elle se trouvent les pays émergents de demain et d’après-demain, futurs relais de croissance pour l’économie mondiale. Mais elle conserve aussi un sérieux handicap : elle est vulnérable, car la plupart de ses producteurs le sont, menacés par trop de risques face auxquels ils restent désarmés. Vulnérabilité ou croissance, ce sera l’une ou l’autre, et pour que la croissance l’emporte, l’Afrique a besoin d’être réassurée.

Un grand pas a été franchi. Alors que la diffusion de l’assurance a longtemps été regardée comme une retombée future du développement économique, il est largement admis qu’elle peut être un levier du développement, surtout lorsqu’elle concerne les risques primaires qui affectent la capabilité des producteurs pauvres, à la racine du processus de développement. La liste des « vertus » de l’assurance est, en effet, considérable : rapidité et transparence de l’indemnisation des victimes, atténuation de l’effet paralysant du risque, protection des acquis des efforts antérieurs, restauration accélérée du potentiel sinistré, responsabilité accrue des individus, réduction du risque de crédit, meilleure efficacité des aides au développement déployées par ailleurs, etc. Et puis les faits sont là : la diffusion de la micro-assurance dans le monde démontre que, même au seuil de pauvreté, des gens font volontiers l’effort de s’assurer si ils y voient leur intérêt à terme.

Mais un obstacle de taille barre le chemin. Un système d’assurance reste fragile s’il ne comporte aucun dispositif de réassurance pour traiter les sinistres exceptionnels (en coût ou en fréquence). Outre l’avantage « technique » de renforcer la capacité des unités locales d’assurance et de rendre abordable la couverture des grands risques, la réassurance contribue fortement au développement en libérant du capital pour des usages productifs, et en abaissant le rendement requis du capital puisque celui-ci est globalement moins exposé au risque.

Or les deux conditions d’émergence de la réassurance – capacité financière disponible, et maturité du système financier local – font précisément défaut dans les pays les moins avancés. La crise y a encore compliqué la situation : aux besoins accrus par les effets de la crise s’ajoutent un endettement plus difficile et des fonds publics plus rares pour l’aide au développement.

La capacité de réassurance étant absente sur place, il faut aller la chercher au niveau mondial : c’est l’objet du projet Planète Ré. Des financement divers sont possibles pour alimenter la réserve de Planète Ré : amorçage par dotation publique, primes de réassurance, émission de poverty bonds (risques titrisés sur le modèle des cat-bonds ou des dérivés climatiques), dépôt – temporaire et rémunéré – d’une fraction infime des transactions financières internationales avant restitution à ses propriétaires… hors aléa catastrophique ! Comme les poverty bonds, ce simple échange de risques – sans surcoût pour l’économie mondiale en crise – exposerait les investisseurs à des pertes aléatoires du même ordre de grandeur que sur les marchés financiers.

Concrètement, Planète Ré est imaginable sous trois configurations principales, qui peuvent préfigurer une mise en œuvre par étapes : mécanisme partiel régional ou thématique (sécurité alimentaire, santé, sureté agricole, accidents climatiques, etc.), consortium détenant conjointement la capacité de réassurance ultime, ou institution spécifique. Quelle que soit la forme retenue, l’originalité de Planète Ré réside dans son principe fondateur (connecter les risques locaux à la sphère financière globale), sous la protection d’un cahier des charges exigeant : dans l’intérêt même des populations concernées, le contexte spécifique des pays à bas revenus ne saurait excuser la moindre faiblesse à l’égard des règles actuarielles, des critères d’assurabilité et, plus largement, des normes de solvabilité qui régissent les activités d’assurance. C’est seulement ainsi que sera relevé le défi de mettre la mondialisation financière au service des plus pauvres.