10e anniversaire de l’« Agenda 2010 » de Gerhard Schröder · Vers une « germanisation » de l’Europe ?

Wolfgang Glomb, membre du conseil d’orientation de l’Institut Thomas More

7 mai 2013 • Analyse •


Il est des dates, qui font de petits anniversaires historiques, qu’il faut savoir retenir. Au début de ce siècle, l’Allemagne était considérée comme « l’homme malade de l’Europe ». Le 14 mars 2003, le chancelier Gerhard Schröder lançait, contre l’avis de son propre parti, son fameux « Agenda 2010 ». Dix ans après, alors que nous subissons la quatrième année de crise de l’euro, certains parlent d’un danger de « germanisation » de l’Europe. Voici un point de vue allemand qui fera grincer quelques dents dans le contexte de tension entre Paris et Berlin que nous connaissons en ce moment…


Deux enseignements peuvent être tirés de l’expérience vécue par l’Allemagne ces dix dernières années et de leur effet sur la relation qu’entretien Berlin avec certains de ses partenaires.

Tout d’abord, une ambition de réformes exige une politique de longue haleine. La récession allemande des années 2000 résultait du choc économique constitué par la réunification, en même temps que de l’entrée dans la zone euro avec un taux de conversion du mark surévalué – ce qui se fit au détriment des exportations allemandes, provoqua la fuite des capitaux vers d’autres pays et une baisse du taux d’investissement au niveau le plus bas de tous les pays de l’OCDE. Au risque de déplaire à beaucoup, ce n’est pas l’Allemagne qui a le plus profité de la monnaie unique. L’« agenda 2010 » fut la réaction du gouvernement allemand et du chancelier Schröder à cet état de fait. Il ne porta d’ailleurs ses fruits que dans la deuxième moitié des années 2000 au profit de son successeur, la chancelière Merkel. Le timing est crucial pour le succès des réformes structurelles.

Ensuite, pour le définir d’un mot, l’« Agenda 2010 » était un plan de réformes du système de protection sociale et du marché de travail, c’est-à-dire de réduction de l’État-Providence et de libéralisation du marché du travail. De toute évidence, les pays membres de la zone euro du sud de l’Europe ont poursuivi une politique opposée. Les windfall profitsdu recul des taux d’intérêt furent consommés, dans ces pays, par l’État et par les ménages ou utilisés dans des investissements peu productifs comme l’immobilier. La France a mis en péril sa compétitivité – supérieure à celle de l’Allemagne – notamment par la baisse du temps de travail. L’éclatement de la bulle financière, à partir de 2008, a mis au jour des structures économiques peu compétitives, qui lui préexistaient.

Partant de ce constat, on peut faire deux observations. La chancelière allemande, soutenue à Bruxelles, plaide pour « plus d’Europe » et pour une vraie « union politique ». Mais cela exige qu’on connaisse la position de la France… Ce qui n’est pas le cas. La France, partenaire majeure de l’Allemagne, serait-elle prête à de nouveaux transferts de souveraineté ? On attend la réponse de François Hollande… De plus, il faut bien constater que la crise de l’euro a largement discrédité l’idée de construction européenne dans l’ensemble de la population européenne, au sud comme au nord. Partout, l’euroscepticisme gagne du terrain, en Italie comme en Allemagne, avec par la formation d’un parti politique anti-européen en Allemagne, Alternative für Deutschland.

D’autre part, de nombreuses voix s’élèvent en Europe – et en particulier en France – pour recommander à l’Allemagne de lever le pied sur son austérité budgétaire et ses réformes structurelles. Mais il faut bien comprendre que très peu d’Allemands voudraient entendre parler d’une politique de relance de la demande intérieure et de réduction de fait de l’avantage compétitif du pays. C’est ce refus qui est pris comme une tentation – ou une tentative… – de « germanisation » de l’Europe ou d’impérialisme économique de la part de Berlin.

Mais, disons-le comme on le pense, ces reproches ignorent totalement les exemples positifs de cette politique, poursuivie en Irlande et récemment en Lettonie (qui vient de demander à entrer dans la zone euro). Après une politique drastique d’économies budgétaire et une chute du PIB de 18% en 2009, une croissance de 5,5% en 2011 et de 4,5% en 2012 est au rendez-vous (la prévision pour 2013 est de 3,6%). Christine Lagarde a même déclaré que la Lettonie pouvait servir d’exemple… Certes les économies française, italienne ou espagnole n’ont pas les mêmes structures que celle de ce petit pays mais cela prouve que la recette fonctionne. Et cela prouve au passage que les politiques de libéralisation et de baisse de la dépense publique ne sont nullement une « exigence allemande », encore moins un « diktat » de Berlin, mais un corollaire de la théorie des unions monétaires.

A ce stade, il faut reconnaître que les résultats des programmes d’ajustement recommandés par la troïka aux pays surendettés n’ont provoqués qu’une montée du chômage et une récession économique. Selon des calculs de l’institut de recherche IFO de Munich, les pays surendettés ont besoin d’une dévaluation interne de l’ordre de 15% à 35% pour réduire leurs déséquilibres. Une telle chute des salaires et des prix ou une augmentation équivalente de la productivité ne sont pas réalistes. De plus, l’accès aux marchés des capitaux requiert une période d’ajustement qui prendra des années si ces pays veulent être en mesure de rembourser leurs dettes. Un tel scénario n’est, une nouvelle fois, pas réaliste pour tous les pays concernés. C’est pour cette raison que le Conseil de ministres de la zone euro devrait décider de verser chaque tranche des crédits accordés contre une garantie des pays endettés, tel que cela a été fait pour la Finlande. Les pays récipiendaires devraient ainsi gager leurs réserves monétaires et d’or au prorata des crédits reçus sur un compte spécial auprès de la BCE. Une telle stratégie pourrait atténuer la crainte des contribuables dans les pays solvables de l’union monétaire.

En fin de compte, on se rappelle du succès des programmes d’ajustements des pays en Asie du sud-est et en Amérique latine pendant les crises monétaires des années 1990, soutenus par des dévaluations nominales de leurs monnaies. Les pays surendettés de la zone euro qui refuseraient le gage de leurs réserves monétaires devraient, comme ultima ratio, réaliser une dévaluation nominale de leurs monnaies et donc sortir de la zone euro pour rebâtir leur compétitivité. Certes, la sauvegarde de l’intégrité de la zone euro est devenue un dogme politique. Mais l’expérience historique montre que les dogmes politiques ne survivent pas quand ils sont en contradiction avec les lois économiques.

Plutôt que de chercher des boucs émissaires et de courir le risque de raviver des incompréhensions entre les Européens, nous devrions plutôt nous habituer à concevoir l’inconcevable : à savoir, en l’espèce, que la composition actuelle de la zone euro n’est pas gravée dans le marbre pour l’éternité…