UE · Après la Croatie, les Balkans ?

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

29 juin 2013 • Opinion •


Avec la prochaine entrée de la Croatie, lundi 1er juillet, l’Union européenne (UE) comptera vingt-huit pays. L’élargissement aux « Balkans occidentaux » est entamé et le récent accord entre la Serbie et le Kosovo ouvre à Belgrade la voie de négociations d’adhésion. Chemin faisant, il ne faudra pas négliger la promotion de l’État de droit, l’avènement du règne de la loi contribuant à une paix renforcée en Europe.

De fait, la Commission européenne a tiré les leçons du précédent élargissement à la Bulgarie et à la Roumanie. Il avait alors fallu improviser un « mécanisme de coopération et de vérification » pour implanter des réformes qui auraient dû être menées en amont. Dans le cas de la Croatie, le nombre des chapitres organisant l’acquis communautaire, Bruxelles se montrant particulièrement attentif aux chapitres vingt-trois (« Appareil judiciaire et droits fondamentaux ») et vingt-quatre (« Justice, liberté, sécurité »).

Publié le 26 mars 2013, le dernier rapport de la Commission affirme que la Croatie est prête à rejoindre l’UE. Dont acte. Il souligne aussi les progrès restant à accomplir sur le plan de l’Etat de droit et l’indépendance de la justice. Hélas, c’est souvent là que le bât blesse, chez les candidats comme dans certains des pays récemment entrés. Plus à l’Est, on le sait, les régimes autoritaires patrimoniaux sont moins encore respectueux du droit ; ils constituent une sorte d’anti-modèle.

Si l’on revient à la Croatie, la condamnation d’Ivo Sanader, premier ministre de 2003 à 2009, pose en effet question quant à l’indépendance de la justice. Le jugement prononcé renvoie à une accusation de corruption dans une OPA impliquant le groupe énergétique hongrois MOL et des banques austro-allemandes. Outre des irrégularités de procédure et la mise à l’écart arbitraire de certaines expertises, le jugement s’est surtout employé à condamner la décision de vendre le champion national de l’énergie à un concurrent étranger. Luttes de pouvoir plus que lutte contre la corruption? Si cela était avéré, nous serions loin encore des normes européennes.

Ces zones d’ombre dans le processus d’élargissement de l’UE ne doivent pas être ignorées. La formation d’un vaste Commonwealth paneuropéen d’Etats souverains réunis autour d’une commune idée du droit et de la justice est ce qui donne sens au projet européen. En dernière instance, ces idéaux renvoient à une philosophie de l’Homme comme sujet libre et responsable de ses actes. Cette dimension anthropologique et son arrière-plan métaphysique légitiment l’organisation d’une « Europe une et libre ».

Cette conception du monde a aussi une dimension géopolitique. L’UE, ses normes et son corpus juridique donnent une forme concrète à la confédération de libres républiques pensée par Kant dans son « projet de paix perpétuelle ». De fait, le développement de formes de gouvernement fondées sur la liberté des sociétaires, le droit et la séparation des pouvoirs est une contribution majeure à la paix et la sécurité en Europe.

Aussi le futur de l’élargissement doit-il être centré sur les enjeux liés à l’Etat de droit et au règne de la loi. Si la candidature turque soulève bien des questions, ce cas de figure ne doit pas éclipser la perspective européenne ouverte aux « Balkans occidentaux » lors du sommet de Thessalonique (2003). S’inscrivant dans le prolongement du Pacte de stabilité pour l’Europe du Sud-Est adopté en 1999, au sortir de nouvelles guerres balkaniques, la déclaration de Thessalonique indique clairement que « l’avenir des Balkans est dans l’Union européenne ».

L’idée directrice est d’utiliser la perspective européenne comme un levier de libéralisation et de pacification dans une région tourmentée, longtemps en marge de l’Occident. Des accords de stabilisation et d’association (ASA) ont été négociés avec les pays concernés, cette étape faisant de ces derniers des candidats potentiels à l’UE. L’an passé, Bruxelles et la Macédoine ont ainsi pu instaurer un « dialogue de haut niveau » sur l’adhésion.

Enfin, l’important accord qui vient d’être paraphé entre la Serbie et le Kosovo, le 19 avril dernier, illustre les vertus de la « perspective européenne ». Privée de ce levier, Catherine Ashton, en charge de la diplomatie européenne, aurait eu bien plus de peine à amener Belgrade et Pristina autour d’une même table pour entamer la normalisation de leurs relations bilatérales. La perspective d’une entrée dans l’UE, à moyen terme, pourrait aussi faire bouger les lignes en Bosnie-Herzégovine ou dans le champ des relations gréco-macédoniennes.

Le chemin menant les Etats des Balkans occidentaux depuis la signature d’un accord de stabilisation et d’association au statut de pays candidat puis d’Etat membre, à l’instar de la Croatie, est donc balisé. L’Etat de droit et le règne de la loi sont au cœur de cette grande entreprise. Au regard des enjeux, le cap mais aussi le niveau des exigences doivent être maintenus, toute automaticité étant à exclure. Le sens de l’Histoire ne saurait être prétexte au laisser-aller.