Refonder le modèle social français · Pourquoi, comment ?

Frédéric Bizard, directeur du programme Santé de l’Institut Thomas More

Juillet 2013 • Rapport 11 •


A chaque fois que les questions du chômage, de l’avenir des retraites, du système de santé ou de l’école s’imposent à la une de l’actualité, à chaque fois qu’une réforme sociale est annoncée en France, c’est la question de la pérennité du modèle social français qui est posée. Les Français, qui marquent une défiance grandissante à l’égard de leurs institutions, s’inquiètent et se radicalisent. L’urgence de refondation du modèle social s’impose désormais. Pourquoi ? Comment ?

Il faut tout d’abord accepter de reconnaître  que, soixante-dix ans après sa création, le modèle social de 1945 est à repenser en profondeur

La globalisation des économies, le passage d’une société industrielle à une société du savoir et le vieillissement de la population sont trois évolutions majeures de notre environnement qui forcent à réformer le modèle. Affaiblie par une crise économique et financière violente, rongée par un chômage qui n’est plus descendu sous la barre des 7% depuis 1977, la société française développe depuis trois décennies un sentiment généralisé de défiance envers les institutions. Notre système social connaît en conséquence une triple crise de légitimité, d’efficacité et de viabilité financière. Le monde a changé sans que notre organisation sociale s’adapte aux changements. Nous sommes passés de risques sociaux courts à des risques sociaux longs (chômage, santé, retraites), ce qui transforme en profondeur le modèle d’organisation sociale. Le maillon faible de la société française est devenu le jeune adulte menacé de chômage et de pauvreté et sur lequel doit reposer dorénavant le noyau dur des politiques sociales.

Une protection sociale universelle et active qui favorise l’autonomie et la croissance

Le modèle proposé de protection sociale universelle active prend acte de l’universalisation des droits sociaux au cours du temps, de l’évolution de la société française et de la situation économique. Il fait le choix de conserver une protection sociale de première catégorie mais de transformer nos politiques sociales passives en politiques actives. D’un système qui privilégie les transferts sociaux pour compenser une perte de revenus, nous passons à un système qui vise à rendre aux personnes leur autonomie sociale et économique en donnant à chacun une chance égale de développer ses capacités. Le modèle proposé redonne des marges de croissance à l’activité économique tout en assurant une redistribution équitable des fruits de cette croissance.

Remettre le jeune adulte au centre du modèle social

Avec un chômage de plus de 25%, les jeunes sont les oubliés d’un modèle dont les retraités sont les principaux bénéficiaires. Pour répondre au risque de fracture intergénérationnelle, il importe de passer d’une logique à dominante ascendante (du jeune travailleur vers la personne âgée retraitée) à une logique à dominante descendante. Pour faire face aux nombreux risques sociaux de notre jeunesse, nous proposons donc une mesure forte, innovante et en cohérence avec le modèle de protection sociale universelle active proposée : le « Permis d’Avenir », qui est emblématique du choix des priorités du modèle en faveur du jeune adulte, de la recherche d’une égalité des opportunités, de la liberté et d’une nouvelle solidarité intergénérationnelle.

Un mode de financement rénové, qui repose moins sur le travail, et donc favorable à la croissance et à l’emploi

Avec la croissance et la création d’emplois comme objectifs impératifs, le financement du modèle social refondé que nous proposons pèse moins lourdement sur les salaires, ramenant les charges sociales sous la barre des 50% du salaire brut, et même celle de 25% pour les bas salaires. Le nouveau modèle doit permettre la mise en place d’une politique économique de l’offre sans nuire à la qualité de la protection sociale des Français. Ce système vertueux conduit à terme à baisser les dépenses sociales du fait de la baisse de la demande sociale et à augmenter les recettes avec la hausse de l’activité économique. Il prend en compte la triple contrainte de baisse des dépenses publiques, de relance de la croissance et du maintien d’une politique sociale de première qualité.

Une gouvernance du système basée sur la responsabilité et l’engagement de chacun, à travers une société civile revalorisée

Le modèle social refondé que nous proposons doit redonner de la légitimité au processus décisionnel en matière social en élargissant la gestion du système à l’ensemble des acteurs de la société civile impliqués dans la politique sociale. L’universalité des droits sociaux n’est pas compatible avec la gestion paritaire actuelle de la protection sociale. Cette démocratie sociale active et ascendante à partir de la société civile nécessite une revitalisation de notre tissu associatif, un accès aux données pour tous et un repositionnement de l’État en rôle d’arbitre et de régulateur. Elle sera un atout important pour redonner confiance aux Français dans leur pays, leurs institutions et dans leur propre avenir.

A travers les propositions opérationnelles qu’il formule, l’objectif de ce rapport est d’établir un diagnostic objectif de l’état actuel du modèle social et de proposer une nouvelle architecture du modèle social de demain. La priorité a été donnée à la capacité de la sphère politique à se saisir de ces propositions et à l’acceptabilité sociale de la refondation du modèle.

Certains trouveront ces pistes trop audacieuses : c’est qu’ils mésestiment l’urgence de la situation ainsi que la maturité des Français à entendre un discours de vérité et de réforme. D’autres les jugeront trop timorées : c’est que nous avons cherché, modestement mais avec réalisme, le point d’équilibre qui rend la réforme possible et réalisable.