Généralisation du tiers payant · Le coup de grâce porté à l’Assurance maladie

Frédéric Bizard, directeur du programme Santé de l’Institut Thomas More

23 septembre 2013 • Analyse •


En déclarant la généralisation du tiers payant (qui permet d’éviter l’avance de frais) lors de la présentation de la stratégie nationale de santé, le ministre de la Santé Marisol Touraine a trouvé son idée médiatique pour détourner l’attention des journalistes du grand vide de son projet stratégique. Ainsi, la grande innovation du parcours de soins, concept déjà introduit dans la loi de 2004, est que les Français ne paieront plus rien pour leur santé, comme le faisaient les Soviétiques à la grande époque, comme le font encore les Cubains et les Anglais (sauf les plus aisés qui ont souvent recours au privé).


Après une première remise du rapport Cordier en juillet dernier (dans lequel ne figurait pas cette mesure), qui avait suscité la colère de la Ministre, qui n’y trouvait pas son effet d’annonce retentissant, les sages ont révisé leur copie et introduit cette idée. Cette généralisation ne peut avoir en fait que des effets très limités sur l’accès aux soins et va être très délétère pour l’Assurance maladie et notre système de santé en général.

L’application du tiers payant est déjà réalisée pour les soins les plus coûteux (hôpital, urgences) et pour les personnes les plus modestes. Les plus de 10 millions de personnes éligibles à la couverture maladie complémentaire (CMU-C), à l’aide à la complémentaire santé (ACS), et à l’aide médicale d’état (AME) bénéficient aussi du tiers payant pour les soins de ville. A ces personnes s’ajoutent celles qui sont concernées par le régime des accidents du travail et des maladies professionnelles ainsi que de nombreux cas d’affection de longue durée et de maternité. Quant au taux de renoncement aux soins pour des raisons financiaires, estimé à 15,4% des personnes de plus de 18 ans (enquête IRDES de 2008), il se concentre essentiellement sur les soins dentaires et l’optique, pas concerné par cette généralisation. Le taux de recours aux médecins généralistes et spécialistes n’a quasiment pas varié ces dernières années et reste à des niveaux très élevés. On est dans le pur effet d’annonce pour masquer l’incapacité de nos politiques d’affronter des réformes structurelles dont notre système de santé a tant besoin. Aucune donnée objective ne permet à ce stade d’affirmer que le paiement direct du médecin par le patient de sa consultation entraine un problème d’accès aux soins.

Ce dont on peut être certain par contre, c’est que cette mesure supprime un levier de responsabilisation et de contrôle de la consommation médicale.  Alors que les Français entendent depuis des années parler de la nécessité de mieux maîtriser les dépenses de santé, du trou de la sécurité sociale qui génère une dette sociale de 140 milliards d’euros, on vient leur annoncer que la santé, c’est dorénavant gratuit. Allez chez le docteur sans votre portefeuille, c’est la collectivité qui invite ! Derrière la démagogie politique de cette mesure se cache un désastre en matière de pédagogie de la responsabilisation des Français dans leur consommation de soins. Il suffit de voir l’engorgement des services d’urgence et le niveau de nos dépenses hospitalières (le plus élevé au monde) pour vérifier l’impact sur la consommation de soins du tiers payant généralisé. A cette surconsommation de soins s’ajoutent les coûts financiers très lourds qui accompagnent une telle mesure. Ces coûts sont une des raisons de la fragilité économique des centres de santé qui le pratiquent. Selon une étude de l’IGAS de juillet 2013, les coûts de la gestion du tiers payant varient de 6% à 11% de leurs revenus d’activité selon les centres. Quant à la gestion informatique des paiements différenciés des parts obligatoires et complémentaires, c’est une véritable usine à gaz technique qui s’annonce. La généralisation du tiers payant, qui s’ajoute à celle des complémentaires santé, risque bien d’être le coup de grâce porté à l’assurance maladie.

Cette mesure va aussi conduire à modifier profondément la relation médecin-malade, le fameux colloque singulier si important dans notre système de soins. La suppression de tout lien monétaire entre le médecin et son patient transforme la nature de la relation. En dématérialisant davantage cette relation, on ne peut que la dépersonnaliser et la déresponsabiliser. Cette évolution va dans le sens de l’étatisation de notre système de santé, engagé depuis quinze ans. Les médecins vont perdre progressivement leur liberté d’action et être totalement sous la tutelle des caisses d’assurance maladie, à la botte de l’Etat. Quoi de plus efficace pour contrôler l’activité d’un médecin que de contrôler le versement de sa rémunération !

Cette étatisation de notre système de santé et la déresponsabilisation des usagers sont des évolutions contraires à celles constatées dans les pays ayant réformé leur protection sociale, comme les pays scandinaves et le Canada. Généraliser le tiers payant, c’est l’opposé d’une politique de santé active qui met le patient au cœur du système, c’est l’opposé d’une politique incitative à une meilleure gestion de son capital santé par une meilleure hygiène de vie, c’est enfin l’opposé d’une politique publique responsable en matière d’équilibre des comptes sociaux afin de ne pas faire porter nos coûts de santé par nos enfants, qui hériteront en conséquence d’un système de protection sociale dégradé.