Réélection d’Angela Merkel · Quelle politique européenne pour le prochain gouvernement allemand ?

Jakob Höber, chercheur associé à l’Institut Thomas More

Septembre 2013 • Note d’actualité 12 •


Pendant un moment, durant cette soirée triomphale pour la Chancelière, la majorité absolue parut à portée de main. Si une victoire historique ne s’est finalement pas concrétisée, Angela Merkel confirme son rôle prédominant sur la scène politique allemande et européenne. Mais si tous les signaux sont à la continuation d’une politique sans surprises, chère à la Chancelière, les élections fédérales ont profondément changé le paysage politique allemand. Le succès du parti euro-critique Alternative für Deutschland (AfD) et la défaite des libéraux (FDP), qui ne seront même plus représentés au Bundestag, pèseront lourd. Pour l’Europe et les partenaires de l’Allemagne, l’espoir d’une « autre politique » allemande s’éloigne…


Au lendemain du scrutin, la répartition des sièges au Bundestag montre une image assez limpide. A gauche, trois partis se partagent le suffrage des électeurs : les sociaux-démocrates du SPD, toujours pas remis du coût électoral des réformes Hartz du gouvernement Schröder ; les Verts, qui n’ont toujours pas trancher entre écolo-centrisme et tentation gauchiste ; et Die Linke, parti d’opposition déclarée. A droite, la chose est plus simple : un seul parti domine, l’Union entre la CDU et la CSU bavaroise, avec à sa tête une Angela Merkel qui s’apprête à entamer son troisième mandat.

Une Angela Merkel toute-puissante ?

Si la Chancelière a continuellement élargi son influence au sein de son parti, ce nouveau mandat accordé par le peuple allemand, qui devrait être le dernier, lui ouvre la possibilité de conduire une politique « pour l’histoire » plutôt que pour des considérations politiciennes. En effet, la chancelière a déjà fait comprendre qu’elle ne se représenterait pas aux élections au 2017. Elle a même indiqué qu’un départ anticipé était possible après trois ans – ce qu’on peut néanmoins davantage interpréter comme un signe en direction des caciques de son parti qui s’impatientent que comme une option sérieuse.

Ca si Angela Merkel est incontestable du fait de sa popularité auprès des Allemands, elle n’est guère aimée de l’ensemble de son parti, ni dans l’union que celui-ci forme avec la CSU bavaroise. Or cette dernière, conduite par Horst Seehofer, a emporté une majorité absolue lors du scrutin dans le Land la semaine dernière – victoire renouvelé ce dimanche avec 49,3% des voix. Merkel et Seehofer sont loin d’être les meilleurs amis du monde – ces dernières années et même pendant la bataille électorale, les différends entre les deux leaders s’étalaient publiquement. De fait, la CSU est plus conservatrice que la CDU et regarde avec méfiance le virage vers le centre-gauche que l’Union a pris pendant le dernier mandat de la Chancelière. Le scénario de grande coalition avec le SPD auquel pourrait être amené Angela Merkel, forcera la CSU à de nombreuses concessions, avec un risque élevé de conflits en tout genre qui pourront empoisonner les années à venir – notamment sur les dossiers européens.

Du côté du SPD non plus, les jeux ne sont pas faits. Les sociaux-démocrates ne montrent guère d’enthousiasme à former une nouvelle grande coalition, tant le souvenir de la débâcle de 2009 est cuisant. Le SPD, s’il s’y résout, fera cher payer les trois sièges qui manquent à la CDU/CSU pour former une majorité au Bundestag.

Une politique européenne otage de la recomposition de la droite

Autre nouveauté de ce scrutin : désormais la droite allemande est plus éparpillée que ce que laisse apparaître la répartition des sièges au Bundestag. Le FDP et l’AfD ont tous les deux échoué aux portes du parlement à quelques décimales près. L’incapacité du FDP à convaincre ses électeurs marque une rupture importante dans la politique allemande : pour la première fois dans l’histoire de la République Fédérale, depuis la fin de la guerre, ce parti n’aura aucun représentant au Bundestag. Il se pourrait bel et bien qu’il s’agisse d’une page définitive qui se tourne : après avoir abandonné son aile libertaire aux Verts dans les années 1990, il se voit désormais talonné par l’AfD à 30 000 voix près.

Pour l’Europe, ce changement (épuisement du FDP et montée en puissance de l’AfD) peut s’avérer un tournant majeur. Si l’AfD, créé il y a seulement quelques mois, a commencé son ascension par un discours exclusivement centré sur l’opposition à l’Union monétaire européenne, il l’a transformé en populisme aux accents nationalistes qui le rapproche lentement des partis d’extrême-droite que d’autres pays européens connaissent déjà. Si ce premier rendez-vous électoral est un rendez-vous manqué pour l’AfD, le calendrier des prochains mois lui est favorable, avec la réapparition des délicats dossiers européens soigneusement escamotés pendant la campagne, comme le refinancement des dettes grecque et chypriote, et les élections européennes de mai 2014. Les responsables de l’AfD peuvent regarder l’avenir avec confiance…

Cela ne sera pas sans peser sur la politique du prochain gouvernement, quel qu’il soit. Pour ne pas se laisser déborder sur sa droite, on peut s’attendre de la part d’Angela Merkel à une politique européenne prudente, sinon méfiante sur tous les dossiers en souffrance : approfondissement institutionnel, MES, union bancaire, etc. Or, le projet européen a déjà perdu deux ans en raison des élections en France puis en Allemagne.

D’autant qu’il ne faut pas oublier la composante personnelle : Angela Merkel n’a pas d’appétence particulière pour la politique européenne et ne s’y engage que malgré elle. Issue de la RDA, elle regarde la politique étrangère allemande essentiellement à travers le prisme bilatéral, avec une forte focalisation sur les États-Unis. C’est la crise de l’euro qui l’a obligé à partir de 2009 à se concentrer sur Bruxelles. Cette manière de concevoir la politique se reflétait dans la composition du cabinet sortant : on ne trouvait qu’un seul ministre à vocation clairement européen, Wolfgang Schäuble. Rien n’indique qu’Angela Merkel évoluera fortement sur cette question. Pour elle, l’Union européenne constitue d’abord et essentiellement un espace économique de libre-échange qui devrait se concentrer davantage sur la compétitivité. Elle n’est favorable à l’intégration politique que dans la mesure où elle favorise cette ambition. L’économie allemande se portant convenablement en l’état, on peut douter qu’elle utilise son succès électoral pour pousser l’Union européenne vers un cadre économique plus intégré. Seules de nouvelles tempêtes la feront bouger. On a coutume de dire à Bruxelles que rien ne se fait « contre la volonté de l’Allemagne ». Cela ne veut en aucun cas dire que l’Allemagne d’Angela Merkel veuille faire avancer l’Europe.

Un leadership européen malaisé

Car il existe un grand malentendu entre l’Allemagne et ses voisins européens. Du point de vue de ces derniers, l’Allemagne paraît de plus en plus faire rayonner sa puissance économique mais aussi politique. Or, à l’intérieur du pays, beaucoup d’Allemands ont plutôt le sentiment d’habiter un pays faible constamment menacé par son environnement. L’hostilité ouverte dans les pays conduisant des politiques douloureuses de restructuration (Grèce, Italie, Espagne, Portugal essentiellement) est très mal vécue et provoque une forme d’effroi dans la population allemande. Le fait qu’avec le pouvoir et l’influence en Europe viennent le rejet et l’animosité des partenaires est tout à fait nouveau dans une Allemagne très attentive à son impeccable image à l’international. Les Allemands ne sont vraiment pas à l’aise avec les effets de leur puissance retrouvée.

La victoire d’Angela Merkel est largement explicable par ce phénomène : une majorité d’Allemands lui font confiance pour défendre les intérêts allemands dans une période délicate. Mutti sait et saura les protéger de l’agressivité de leurs voisins. Le fait qu’au fond la crise européenne dure et que les dysfonctionnements du système monétaire n’aient toujours pas trouvé de réponses adéquates est vite oublié. De même pour le fait que les intérêts allemands, au moins à moyen terme, reposent sur la bonne santé de l’Union européenne…

Il est clair que le malaise allemand face à son leadership supposé en Europe s’explique par son histoire. Mais il s’explique aussi par le manque de fiabilité du partenaire historique : la faiblesse économique de la France et sa difficulté à trouver sa place dans le nouvel ordre mondial se font cruellement sentir à Berlin. Sans son partenaire naturel des soixante dernières années, l’Allemagne a du mal à s’inventer un rôle dans le concert européen.

Politique européenne : la voie étroite

Si Angela Merkel se trouve, au lendemain de cette élection, dans une position enviable, elle ne changera pas pour autant sa manière de faire de la politique qui repose notamment sur le pragmatisme et la constante adaptation à la situation du moment. Elle devra en particulier surveiller l’espace à droite de la CDU, élargi par la décision de se positionner plus au centre. Gageons qu’elle ne prendra aucune initiative significative dans les neuf mois qui viennent, jusqu’aux élections européennes.

Si elle fait trop de concessions lors des négociations sur le refinancement de la dette de certains pays européens, elle risque de renforcer l’AdF, qui est encore un petit poucet mais dont la marge de progression n’est vraiment pas à négliger. L’émergence d’un parti structuré à la droite de la CDU/CSU serait une novation capitale dans le paysage allemand, et le signe d’un échec patent pour la Chancelière. Dans le même temps, le choix de la passivité sur les dossiers européens pourrait se révéler catastrophique pour l’ensemble du continent, Allemagne incluse. Angela Merkel doit donc trouver la bonne voie entre ces deux menaces. Si elle ne manque assurément pas de talent politique, rien ne garantit qu’elle réussisse…