Troisième plénum du XVIIIe congrès du Parti communiste chinois · De la rhétorique de la « réforme » à la réalité politique

Emmanuel Dubois de Prisque, chercheur associé à l’Institut Thomas More

Novembre 2013 • Note d’actualité 15 •


Le troisième plénum du XVIIIe congrès du Parti communiste chinois se tiendra à Pékin du 9 au 12 novembre prochains. Les autorités chinoises affirment qu’il sera l’occasion de l’adoption d’un plan de modernisation et de « réformes » ambitieuses et les commentateurs occidentaux se satisfont de l’image convenue d’une lutte entre « progressistes » et « archéo ». La réalité est bien différente et révèle des « réformes » qui risquent d’accoucher d’une souris et surtout une communication politique de plus en plus schizophrène de la part du pouvoir chinois.

Communication politique, propagande et insécurité psychologique

Depuis quelques années la Chine s’est entichée de communication politique et de diplomatie publique. Pékin cherche à développer sur la scène internationale des outils plus adaptés au monde contemporain que la traditionnelle propagande. Soucieuse de son image dans le monde et inquiète de la puissance médiatique occidentale, États-Unis en tête, elle engloutit des sommes d’argent toujours plus vastes afin de lutter contre ce qu’elle perçoit comme une hégémonie culturelle et médiatique qui colonise les esprits en Chine et à l’étranger. Sa conception du soft power, cher à Joseph Nye, est, contrairement à sa définition dans l’œuvre du politologue américain, purement instrumentale : si elle y met les moyens et si elle se montre aussi habile que les États-Unis, la Chine saura donner au monde (comme à sa propre population) une image d’elle-même attrayante. Dans la conception officielle chinoise de la domination culturelle américaine, celle-ci ne semble s’appuyer sur aucune substance spécifique, elle n’est qu’un effet d’un savoir-faire et des moyens mis en œuvre.

Par un soutien financier accru aux médias officiels comme à la production cinématographique locale, ou encore à l’enseignement d’un chinois simplifié dans le monde, Pékin vise à lutter contre l’occidentalisation de la Chine et du reste de la planète. Un éditorial de l’agence officielle Xinhua a fait un certain bruit ces dernières semaines en appelant explicitement à la « désaméricanisation » du monde (1). La mobilisation de moyens toujours plus importants au profit de ce qu’il faut bien continuer à appeler, malgré le dépoussiérage en cours, de la propagande d’État, ne traduit pas seulement mécaniquement sur le plan idéologique la montée en puissance économique et politique de la Chine. Plus profondément, elle est aussi le reflet d’une insécurité psychologique des élites chinoises qui paraissent parfois chercher dans l’amélioration de l’image de la Chine auprès de l’opinion publique étrangère, une forme d’approbation des politiques qu’elles mettent en œuvre et des résultats qu’elles obtiennent. Mais les élites chinoises envoient leurs progénitures étudier et souvent travailler à l’étranger, si possible aux États-Unis, et placent les sommes qu’elles engrangent dans des comptes off-shore. Avec leurs pieds et leurs portefeuilles, elles contredisent implicitement les discours qu’elles tiennent officiellement sur l’attrait que pourrait exercer le système chinois…

Mise en scène du troisième plénum du XVIIIe congrès du Parti communiste chinois

Ce phénomène – montée en puissance simultanée de la diplomatie publique et du sentiment d’insécurité des élites du système – explique la mise en scène impressionnante qui précède le troisième plénum du XVIIIe congrès du Parti communiste chinois, qui doit avoir lieu à Pékin du 9 au 12 novembre prochains. Ce troisième plénum qui aurait pu passer aussi inaperçu que le deuxième sur la scène internationale, est présenté par les médias officiels chinois, souvent complaisamment relayé par les médias occidentaux, comme une étape majeure dans un processus de « réforme » du système économique visant à le rendre plus efficace, plus transparent et plus juste. Il est censé prouver aux observateurs (et en quelque sorte auto-suggérer aux élites chinoises elles-mêmes) que le système est capable de s’adapter et de se réformer, et de faire face aux immenses défis auxquels la Chine est confrontée.

Fin octobre, le pouvoir a laissé filtrer dans la presse officielle un document intitulé « plan 3-8-3 » visant à accomplir les objectifs du XVIIIe congrès qui s’est tenu à l’automne 2012. Selon la phraséologie officielle, il s’agit de parvenir en 2020 à l’établissement d’une société « relativement prospère ». Ce plan est censé appliquer un certain nombre de réformes courageuses visant à transformer le modèle de croissance chinoise et à s’attaquer aux « inconvénients » de ce système. Pour cela le plan prévoit une « réforme trinitaire » (le premier trois du nom du plan) du marché, du gouvernement et des entreprises qui concerneront huit secteurs clés, réforme qui permettra de parvenir à trois avancées majeures (le deuxième trois du plan). Ce plan, qui sera discuté lors du plénum en question est l’œuvre d’un « groupe d’experts » dirigé par Li Wei, directeur du Centre de recherche pour le développement du Conseil d’État (gouvernement) et par Liu He, vice-ministre de l’influente Commission pour le développement national et la réforme, qui dépend elle aussi du Conseil d’État, un des plus proches conseillers économiques du Président Xi Jinping.

Sens et portée réelle de la « réforme trinitaire » annoncée

Selon le plan en question, dont un long résumé a été publié sur un site officiel (2), la « réforme trinitaire », selon la curieuse expression utilisée, du marché, des entreprises et de l’État vise à renforcer simultanément l’efficience du marché, l’efficacité de l’action de l’État et le management des entreprises. Il ne s’agit donc pas de limiter le rôle de l’État pour laisser les forces du marché s’exprimer librement mais de mettre en place « une relation symbiotique » entre l’État et le marché. Le rapport insiste particulièrement sur le rôle que doivent jouer les différents acteurs dans l’innovation industrielle. Après une période qui s’achève d’installation des infrastructures, l’économie chinoise devra axer ses efforts vers l’avènement d’un système dynamique visant à accroître substantiellement la créativité des acteurs économiques chinois. Dans un tel cadre, l’État comme les entreprises sont censés unir leurs efforts. Il ne s’agit donc pas d’une réforme libérale dont le but serait simplement de permettre la mise en place d’une concurrence juste et non faussée : le but reste la montée en puissance de l’économie et de la nation chinoises dont les différents acteurs restent les serviteurs.

Plus spécifiquement, les « huit secteurs-clés » de la réforme sont les suivants :

  • diminution globale du nombre des autorisations administratives ;
  • abaissement du niveau des barrières à l’entrée d’un certain nombre de secteurs tels que les chemins de fer, le pétrole le gaz et autres énergies ;
  • unification du marché de la propriété foncière en accordant des droits égaux aux propriétaires de la terre en ville et dans les zones rurales qui permettraient à tous de se partager équitablement les fruits de la hausse des prix fonciers ;
  • réforme du secteur financier par la baisse des barrières à l’entrée du secteur et la libéralisation des taux d’intérêts et des taux de change ;
  • réforme du système fiscal et redistributif dans le but d’établir un système de sécurité sociale global dont la responsabilité reviendrait à la fois au gouvernement central et aux autorités locales ;
  • réforme des entreprises d’état qui passerait notamment par une séparation des compétences administratives et managériales de la SASAC (le tout-puissant organisme de gestion des actifs d’État) ;
  • promotion d’un développement durable et innovant ;
  • accroissement de l’ouverture du secteur des services.

Sur le papier, l’ampleur des réformes envisagées est impressionnante. La libéralisation des taux du secteur financier constituerait un bouleversement majeur de l’économie chinoise. Mais les tentatives précédentes (et récentes) ont échoué. Certaines réformes envisagées touchent à des « vaches sacrées » de l’économie chinoise. Par exemple la SASAC qui à la fois gère les actifs industriels et financiers de l’État (en touchant leurs dividendes) et les supervise administrativement. Ou encore la gestion des ressources foncières par les fonctionnaires locaux qui trouvent dans cette gestion une part importante de leurs ressources financières, sans parler de la corruption, endémique à ce niveau comme à d’autres. Le problème est donc que ces « vaches sacrées » le sont parce qu’elles sont aussi des « vaches à lait » pour reprendre l’heureuse expression de The Economist dans son article consacré au sujet (3).

Le plan se montre également perméable à ce que l’on appellerait en Occident une forme de populisme, dans un contexte de procès stato-médiatiques contre la corruption des puissants. Il prévoit en effet une mesure étonnante qui manifeste la défiance généralisée du peuple chinois à l’égard de son élite : une partie des revenus des fonctionnaires (on parle de 10 ou 20%) ne leur serait plus versée, mais viendrait abonder une réserve pendant de longues années pendant lesquelles l’État s’assurerait de la bonne conduite de ses employés. C’est seulement après une longue période probatoire que les fonctionnaires obtiendraient le versement de ce complément de salaire.

Commentateurs et acteurs au miroir du réel

Les commentateurs occidentaux aiment à présenter l’enjeu de ce troisième plénum sous la forme familière en Occident de la lutte éternelle des « forces de progrès » contre les « forces de la réaction ». Les éléments réformistes au sein de l’appareil d’État, au premier rang desquelles on trouverait le Premier ministre Li Keqiang, en charge de l’économie, y affronteraient les forces obscures et mal identifiées qu’incarneraient les fonctionnaires locaux attachés à leurs privilèges, ou encore les clans qui tiennent les grands entreprises d’État dominant la plupart des secteurs de l’économie chinoise. Mais en se représentant les choses ainsi, les observateurs courent au-devant de lourdes désillusions. Les fonctionnaires locaux sont aux échelons supérieurs de futurs dirigeants nationaux. Ceux qui dominent les grandes entreprises d’État appartiennent à des clans ou des familles dont le chef occupe bien souvent des fonctions au sommet de la hiérarchie du parti et du gouvernement.

Impressionnés par l’écho et les attentes que suscite ce plan, les experts proches du pouvoir chinois se sont attachés ces derniers jours à en limiter la portée auprès de leurs interlocuteurs : après avoir été présenté comme le catalyseur des réformes attendues, il ne s’agirait plus que d’un plan parmi d’autres, et dont rien n’indiquerait qu’il sera appliqué dans toute son ampleur. Tout se passe comme si les autorités avaient été prises au piège de leur propre rhétorique et se trouvaient contrainte de faire marche arrière.

Les membres du comité central du parti communiste chinois qui se réuniront pour un long week-end de travail du samedi 9 novembre au 12 novembre prochains, seront-ils en mesure d’aller aussi loin dans les réformes que le suggère ce plan et que l’espère les partenaires de la Chine ? Rien n’est moins sûr.

Notes •

(1) Xinhua, U.S. fiscal failure warrants a de-Americanized world, 13 octobre 2013, disponible en cliquant ici.

(2) Disponible en chinois en cliquant ici.

(3) « The long weekend », The Economist, 2 novembre 2013, disponible en cliquant ici.