Peut-on se passer de l’électricité nucléaire ?

Jean-Pierre Schaeken Willemaers, Président du pôle Energie, Climat, Environnement de l’Institut Thomas More

3 décembre 2013 • Opinion •


Selon l’Agence Internationale de l’Energie, la demande mondiale en énergie va continuer à augmenter de plus de 33% d’ici à 2035, et les combustibles fossiles resteront les sources principales d’énergie, du moins durant cette période. D’autre part, l’augmentation constante de la facture d’électricité, largement due à la politique de dé-carbonisation pratiquée par la plupart des pays européens (qui se traduit, dans le secteur électrique, par la croissance de la production éolienne et photovoltaïque), porte préjudice à la compétitivité des entreprises industrielles des Etats Membres et grève le budget des ménages.

C’est dans ce contexte que se pose la question du futur de la production d’électricité à partir de combustible nucléaire, tant pour les pays qui y sont favorables que pour ceux qui ont déjà décidé d’en sortir . Aucune décision politique n’est, en effet, irréversible !

Les réacteurs du futur de la 4ème génération (ceux qui sont actuellement en projet ou en construction, tels que l’EPR d’AREVA ou l’AP 1000 de TOSHIBA/Westinghouse, sont de 3ème génération) présentent un progrès majeur tant d’un point de vue de la durabilité et de la sûreté que de la rentabilité. Leur conception intègre les exigences de respect de l’environnement, d’une exploitation économe en ressources naturelles ainsi que de la résistance à la prolifération du combustible à des fins militaires.

æPour contribuer au développement de ces technologies, un forum international, appelé « Generation 4 International Forum » (GIF), a été lancé en 2000 et finalisé en 2001. A fin 2002, GIF a annoncé la sélection de 6 types de réacteurs sensés représenter la technologie du futur. Ce sont des réacteurs à neutrons rapides, générant après un certain temps de fonctionnement autant de combustibles fissiles qu’ils en consomment ainsi qu’un excès de neutrons permettant la transmutation des actinides mineurs (éléments radioactifs de longue durée de vie produits dans le cœur du réacteur nucléaire). Ces deux caractéristiques conduisent, pour la première, à une réduction considérable de consommation de combustible et, pour la second, à une diminution notable du volume des déchets radiotoxiques de longue durée de vie.

D’autre part, leur système de sécurité innovante renforce notoirement la résistance au risque de fusion du cœur du réacteur. En outre, ces réacteurs de 4ème génération éliminent le risque de prolifération vu que le plutonium est produit dans le cœur du réacteur et est totalement recyclé.

Certains de ces réacteurs combinent les avantages précédents  avec celui des hautes températures, ce qui améliore le rendement thermique et permet des applications industrielles telles que la production d’hydrogène.

La matière première alimentant ces réacteurs peut être soit fissile (c’est-à-dire se désintégrant sous le bombardement des neutrons en produisant de la chaleur), telle que l’uranium 235 ou le plutonium 239, soit fertile, telle que le thorium 232, produit fertile qui doit être converti en un produit fissile (U233). L’avantage du thorium est qu’il est abondant et bien distribué à la surface du globe et qu’il produit moins de déchets radiotoxiques et très peu de plutonium. Son utilisation réduit le coût de production d’électricité de 20 à 30%, requiert 10 fois moins de produits fissiles pour le démarrage et génère beaucoup moins d’actinides mineurs.

Un certain nombre de pays européens ont déjà décidé d’investir dans la production d’électricité nucléaire comme le Royaume-Uni, la Pologne, la Roumanie, la Lituanie tandis que d’autres comme l’Allemagne, la France, la Suède et la Belgique (malgré une très grande expertise en la matière) ont décidé voire ont commencé d’arrêter les premières centrales nucléaires  malgré les conséquences négatives sur la facture électrique des consommateurs, sur la compétitivité de l’industrie et sur la stabilité du réseau électrique. L’Espagne a prohibé la construction de nouveaux réacteurs tandis que l’Italie, l’Autriche, l’Irlande, le Luxembourg, Malte, le Portugal la Lettonie et la Norvège n’ont pas de centrales nucléaires.

Cela fait-il du sens de fermer les centrales nucléaires de 2ème génération en bon état de fonctionnement et largement amorties (comme le font certains pays européens) et d’ainsi se priver d’une énergie bon marché et fiable tandis que l’Europe se bat pour relancer son économie et, en particulier, son industrie manufacturière ?

Est-il bien raisonnable de s’interdire de participer aux recherches sur les nouvelles technologies nucléaires alors que la 4ème génération de réacteurs est, comme résumé ci-dessus, conforme aux objectifs du paquet énergie-climat européen ?

Bien entendu, cette 4ème génération nécessite encore bien des développements avant d’être commercialisable. Mais les énergies fossiles abondantes, les énergies  renouvelables et les réacteurs existants et ceux de 3ème génération  permettent largement de faire face à la demande en attendant l’intégration de cette nouvelle technologie dans le mix énergétique en remplacement  de réacteurs plus anciens.

Ainsi serait-il logique que les Etats-Membres de l’UE, détenant une expertise dans le domaine des centrales nucléaires, investissent dans la mise au point de cette nouvelle génération de réacteurs nucléaires afin de garder leur place sur ce marché porteur et être prêts, le moment venu, à profiter du fruit de leurs recherches. Car, entretemps, les USA, la Chine, l’Inde, la Corée du Sud, la Russie et le Mexique persévèrent dans leurs programmes de recherche nucléaire. Même au Japon, le Premier Ministre Shinzo Abe soutient, après la catastrophe de Fukushima, le retour partiel au nucléaire pour contribuer à la relance de l’économie et sauvegarder leurs connaissances technologiques.