Janvier 2014 • Analyse •
Contrairement à ce qu’on aurait pu espérer, l’Accord national interprofessionnel (ANI) du 14 décembre 2013 ne réforme pas en profondeur le système de la formation professionnelle et son inefficacité connue de tous. Il s’est essentiellement concentré sur l’amélioration de deux dispositifs que l’ANI de janvier 2013 sur la sécurisation de l’emploi avait déjà fait émerger : le Compte personnel de formation (CPF) et le Conseil en évolution professionnelle (CEP). Mais ce ne sont que des outils. Le système avait besoin d’une réforme systémique et globale. Les intérêts partisans ont prévalus et la réforme annoncée se fait pour l’instant a minima.
De fait, les éléments constitutifs de l’accord tels qu’ils sont repris dans le projet de loi présenté en Conseil des ministres le 22 janvier, ne sont tout simplement pas à la hauteur des réels enjeux : l’employabilité des salariés et des demandeurs d’emploi, le soutien des populations les plus fragilisées par la revalorisation de l’alternance, la simplification de tout le système incluant la réduction des coûts pour l’État, la responsabilisation de tous les acteurs (entreprises, salariés, demandeurs d’emploi, partenaires sociaux), le rôle déterminant des régions dans le développement et l’adaptation des compétences aux besoins locaux des entreprises et enfin, le soutien aux TPE, PME et ETI qui représentent 80% des emplois en France.
Comment faire pour que le texte de loi soit enrichi lors de la discussion parlementaire ? Comment aider les élus à faire en sorte que les orientations de l’ANI soient enrichies le plus efficacement possible ? Voici 8 pistes de réflexion.
Dynamiser le Compte personnel de formation (CPF)
Comment éviter que le CPF ne subisse le même échec que le droit individuel à la formation (DIF) créé en 2004 ? Pour mémoire, avec le DIF les salariés français ont aujourd’hui capitalisé 500 millions d’heures de formation non utilisées. Grâce au CPF, ils pourront en capitaliser au moins 600 millions ! A la bonne heure ! Et après ?…
Il ne suffit pas de donner des droits ni de multiplier les dispositions nouvelles pour obtenir un véritable effet sur le développement des compétences. Il faut éduquer les salariés et les demandeurs d’emploi sur leur responsabilité dans l’acquisition et le développement de leurs compétences. Il faut également les éduquer sur la réalité du travail et du monde de l’entreprise et de l’emploi. Et il faut faire cela dès la classe de troisième qui est, on le sait, un moment charnière dans l’éducation scolaire. Ces éléments doivent être intégrés dans les dispositifs de mise en œuvre.
Accompagner la réduction de l’obligation de financement
La réduction de l’obligation de financement de la formation avec un recentrage de celle-ci sur les dispositifs d’aide à l’adaptation à l’emploi ou la reconversion est une proposition efficace pour responsabiliser les salariés et les entreprises. Mais attention ! L’abondement du CPF en cas d’absence de formation suivie par les salariés n’est pas suffisant. S’il n’y a plus d’obligation de financement d’un plan de formation comme auparavant, il faut responsabiliser les entreprises et les salariés sur le maintien de l’employabilité. Il semble donc indispensable de prévoir un garde-fou clair dans la loi.
Rendre utile l’obligation d’un entretien professionnel tous les deux ans
L’entretien professionnel prévu tous les deux ans n’apporte rien de nouveau aux obligations déjà existantes. Ce dont il faudrait plutôt s’assurer, c’est de la bonne compréhension par les salariés, les demandeurs d’emploi et les primo-accédant à l’emploi, de l’environnement économique général et local, des besoins des entreprises, de la réalité du monde de l’emploi. Il y a lieu d’en faire un élément fort de l’obligation légale d’éducation ou de contribution à l’éducation.
Renforcer la responsabilité des acteurs pour améliorer l’employabilité
Malheureusement, le texte en l’état risque de se révéler inefficace. En effet, il faut adapter les formations aux besoins locaux des entreprises et non prendre des décisions au niveau national pour les déployer localement. De plus, et surtout, il faut sortir de la logique du diplôme et de la qualification à tous prix ! Parce que les entreprises doivent gagner en capacité d’adaptation rapide à leur environnement, les salariés et les demandeurs d’emploi doivent gagner en employabilité, pas en diplôme – au moins pour la majorité d’entre eux… La sécurisation des parcours professionnels est un vœu pieux, très éloigné de la réalité du monde du travail.
Il faut avant tout changer l’état d’esprit et la culture des acteurs. D’un côté, il faut renforcer la responsabilité des entreprises ; non pas dans la sécurisation des parcours professionnels mais dans la garantie du maintien de leurs salariés dans un emploi dont ils ont la responsabilité. De l’autre, responsabiliser les salariés et les demandeurs d’emploi sur leur propre capacité à s’adapter pour conserver un emploi. Les métiers doivent gagner en flexibilité. Le socle de compétences devient primordial. L’intelligence situationnelle est plus utile que le diplôme.
Régionaliser le système
Le renforcement de la Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) territoriale va plutôt dans le bon sens, dans le sens d’un renforcement des liens entre formation et emploi : c’est LA priorité d’action qu’il faut à tous prix renforcer dans la loi. C’est là que se trouve la base de l’efficacité du système : meilleure anticipation, accompagnement plus efficace des demandeurs d’emploi, renforcement des liens entre l’éducation nationale et le monde de l’entreprise, ancrage des politiques d’emploi. En effet, l’emploi est avant tout local et il faut renforcer la gouvernance et donc le rôle des instances régionales. Mais il faut aller encore plus loin. Il faut donner à la région la possibilité d’être le chef d’orchestre de l’emploi local, de coordonner toute l’organisation locale d’aide au retour ou à l’accès à l’emploi, y compris dans la coordination avec l’éducation nationale.
Veiller aux conséquences du Congé individuel de formation (CIF) sur les PME
Selon les enquêtes, le CIF est l’un des dispositifs les plus efficaces. Cela veut dire qu’il produit un peu plus d’effets que les autres… Pas plus ! Ce sont les petites entreprises qui vont pâtir des modifications de la base de calcul du financement de ce dispositif. Ce n’est certainement pas un bon choix. Il faut en limiter la portée financière pour ces entreprises de petites tailles qui globalement, d’ailleurs, n’en profitent pas beaucoup.
Revoir en profondeur le Conseil en évolution professionnel (CEP)
C’est sans doute la pire des nouveautés de l’ANI. On ne constate aucun objectif de concentration du CEP qui reste éparpillé dans toutes les structures qui « voudront » en faire. C’est l’échec garantit du dispositif… Pour être efficace, celui-ci doit être recentré sur un minimum d’acteurs, piloté par la région en lien avec les politiques d’emploi locales. C’est la logique du guichet unique qui doit être privilégié. Les parlementaires devront être très vigilants à renforcer ce point quasi-inexistant dans le texte.
Dynamiser la gouvernance du système par l’expérimentation et l’innovation
L’objectif est de renforcer les liens entre formation et emploi. C’est évidemment une bonne chose. Il faut par conséquent renforcer les liens entre les Comités paritaires régionaux pour la formation professionnelle et l’emploi (CPRFPE) et les Conseils régionaux et faire en sorte qu’ils favorisent une rationalisation des structures d’aide à l’accès et au retour à l’emploi. Le but est qu’ils soient des lieux d’expérimentation et de benchmark entre eux et donc entre régions, pour favoriser le développement des expériences innovantes, comme il en existe déjà aujourd’hui en région.
On l’aura compris à travers ce rapide survol : le système reste, et le projet de loi le confirme, d’une complexité extrême qui empêche le plus grand nombre de travailleurs et de jeunes d’en comprendre le sens et les modalités d’utilisation. Le principal objectif de lé réforme, si elle veut vraiment en être une, doit être la simplification à tous prix. Tous les acteurs en tireraient bénéfices. A la condition de lancer parallèlement une véritable transformation des relations sociales dans l’entreprise et au sein des organismes publics…