Affaire Leonarda · Pour une politique migratoire volontariste et sans tabous

L’affaire Leonarda est l’occasion de reparler d’immigration. Un sondage montre que seuls 37% des Français pensent qu’elle est « une chance pour la France »… Et si on se donnait enfin les moyens d’une vraie politique migratoire ?

Janvier 2014 • Note d’actualité 18 •


L’affaire Leonarda est l’occasion de reparler d’immigration. Un sondage montre que seuls 37% des Français pensent qu’elle est « une chance pour la France »… Et si on se donnait enfin les moyens d’une vraie politique migratoire ?


Entre indignations et gesticulations, l’actualité sur l’immigration est riche en rebondissements. Pourtant, si le débat s’enflamme sur des cas particuliers, comme l’affaire Leonarda, sur laquelle on attend la décision du tribunal administratif le 28 janvier, il reste étonnamment atone quand il s’agit de discuter sérieusement des grandes orientations de la politique d’immigration. Cette situation contraste avec le sentiment, bien réel au sein de la population française, que l’immigration est certainement plus un problème qu’une « chance pour la France », pour reprendre l’expression, désormais désuète, de Bernard Stasi en 1984. Un sondage récent montre en effet que seules 37% des personnes interrogées partagent désormais son opinion (1). Peut-être faudra-t-il d’ailleurs un jour interroger directement, par voie référendaire, les Français sur la politique d’immigration qu’ils souhaitent…

La France n’a pas besoin d’immigration. Contrairement à certaines idées reçues et, en tout état de cause, la France n’a pas besoin d’une immigration supplémentaire. Notre taux de chômage élevé, l’immense besoin en formation de nos jeunes inactifs peu qualifiés montrent bien que le pays n’a aucunement besoin d’un apport extérieur de main-d’œuvre, à l’exception de quelques travailleurs particulièrement qualifiés. Certes, certains secteurs d’activité emploient massivement une main-d’œuvre étrangère, souvent illégale (BTP, restauration notamment). Mais est-ce à la collectivité d’assumer cette charge pour que ces entreprises emploient à moindre coût ? L’équilibre de notre système de retraite est également parfois évoqué. Aucun démographe ou économiste sérieux ne peut toutefois soutenir ce raisonnement, qui prévoit d’ailleurs des flux très massifs qui mèneraient à une véritable substitution de population. Il faut se rendre à l’évidence, ce ne sont pas les immigrés qui paieront nos retraites ! On peut également appeler l’immigration de ses vœux au nom de la « diversité ». Comment alors parler d’intégration qui suppose justement de gommer la diversité au nom de la vie en collectivité ? Mais il est vrai que l’on entre ici dans le domaine de l’idéologie…

L’immigration a également un coût. On peut, sans entrer dans les détails, évoquer le poids de l’immigration sur le système de santé, sur la protection sociale sur la politique de logement, sur les établissements scolaires, sans parler des déséquilibres sociaux, ethniques et culturels qu’elle provoque sur de nombreux territoires (2). Il n’en reste pas moins que la France, conformément à sa tradition, peut accueillir des personnes par souci d’humanité ou parce qu’elles manifestent un attachement sincère à notre pays, mais il s’agit bien là d’une faveur et non d’un droit.

Les flux d’immigration : la réalité et les chiffres

Les flux d’immigration restent importants et persistants. L’immigration légale (hors ressortissants européens) se maintient à un niveau élevé de près de 200 000 entrées en 2012 (3). Ce niveau est proche de celui de 2003 (190 825), qui s’est maintenu peu ou prou jusqu’à aujourd’hui, avec cependant une baisse limitée de 10% jusqu’en 2007 (171 907) puis une reprise jusqu’en 2012. Cette remarquable continuité montre d’ailleurs l’impact très limité de la politique restrictive du quinquennat précédent. Il est, par ailleurs, très vraisemblable que les chiffres de 2013 reflètent une hausse significative, compte tenu de la politique actuelle de régularisation et de la hausse prévisible des demandes d’asile.

L’immigration régulière n’est plus que marginalement une immigration de travail. L’immigration pour motif professionnel, quoiqu’en hausse, ne représente en effet que la portion congrue des titres délivrés (16 000 en 2012) (4).

Le motif le plus important d’immigration est familial. L’immigration familiale a représenté 86 500 premiers titres en 2012. En son sein, la catégorie des « familles de Français » est particulièrement propice à la fraude (mariages blancs ou gris, reconnaissances frauduleuses de paternité, fraudes à l’état civil…) et ne fait pas, malgré un dispositif répressif récemment étoffé par la loi du 16 juin 2011 (5), l’objet de contrôles suffisants. Par ailleurs, il ne saurait y avoir de maîtrise de l’immigration sans suppression du regroupement familial, comme en a récemment convenu le ministre de l’intérieur (6).

Beaucoup des 58 430 étudiants sont venus en France en 2012 pour le caractère bon marché de ses études universitaires, comparé notamment aux universités anglo-saxonnes, ou tout simplement pour dissimuler une immigration économique. Il est difficile d’en tirer argument pour démontrer l’attractivité de l’enseignement supérieur français, d’autant plus que l’Allemagne, qui n’est certes pas moins attractive, admet moins d’étudiants étrangers. Une sélection bien plus sérieuse et un réel suivi de la réalité et de la qualité de leurs études s’imposent donc. Notons que ces étudiants ont ensuite vocation, sauf exceptions, à faire profiter leur propre pays des compétences acquises en France, ce qui justifie qu’ils ne puissent rester, pour l’essentiel, sur le territoire national. Par ailleurs, l’avenir est sans doute au développement partenarial de formations techniques sur place, notamment en Afrique.

55 250 personnes ont demandé l’asile en 2012. Ce chiffre fait de la France le 3ème pays en la matière (derrière l’Allemagne et les États-Unis) (7). La lenteur de la procédure et la multiplicité des recours possibles occasionnent des dépenses considérables en termes de prestations sociales et de logement et permettent aux déboutés (80% des demandeurs) de se maintenir ensuite, dans une très grande proportion, sur le territoire, en sollicitant, selon les circonstances, un autre type de titre (étranger malade, conjoint de français…) ou en devenant, à force de démarches retardatrices, inexpulsables en application de l’article 8 de la CEDH (« droit à une vie familiale normale ») ou éligibles à une régularisation. L’année 2013 promet d’être une année record (on parle de 70 000 demandes) en raison, notamment, de l’annulation par le conseil d’État de l’inscription sur la liste des pays d’origine sûrs du Bangladesh, après l’annulation de celles de l’Albanie et du Kosovo.

Le concept même d’asile est bafoué. Et cela sans doute au détriment des rares authentiques réfugiés. De l’idée généreuse qui visait à l’origine à accueillir les personnes persécutées pour leur combat pour la liberté, il reste une procédure largement détournée au profit d’une immigration économique ou sociale et dévoyée par des fraudes de toutes sortes. Autant dire que l’ensemble du système doit être revu au profit d’une procédure extrêmement rapide, non créatrice de droit, sous contrôle étroit des autorités et suivie d’une expulsion rapide des déboutés, sans possibilité de solliciter, sinon dans le pays d’origine, un autre titre de séjour.

Le flux d’immigration clandestine ne faiblit pas, bien au contraire. La hausse des dépenses de l’AME (Aide Médicale d’État) en est un indicateur, de même que le succès rencontré par la récente circulaire de régularisation (8). L’ampleur des droits accordés aux clandestins (scolarisation, AME (9), logement, etc.) et les manifestations des « sans-papiers » sur la voie publique donnent d’ailleurs un certain caractère virtuel à l’irrégularité de leur séjour. De façon générale, l’idée prévaut que l’obtention d’un titre n’est finalement qu’une question de temps. La dernière circulaire de régularisation du 28 novembre 2012 leur donne, il est vrai, raison…

La politique d’éloignement n’est pas à la hauteur de l’enjeu. On a compté 21 841 reconduites réalisées en 2012 selon les derniers documents budgétaires (10). Il faut noter que ces reconduites concernent pour une bonne part des ressortissants européens, notamment Roumains, que rien n’empêche par la suite de revenir. La suppression du délit de séjour irrégulier (Loi n°2012-1560 du 31 décembre 2012), les contraintes procédurales, le manque de coopération des pays d’origine, les pressions des associations paralysent l’action des services de l’État, comme le souligne, d’ailleurs, la synthèse des préfets dont la presse s’est faite récemment l’écho. Les représentants de l’État font état notamment des « décisions incompréhensibles des juges des libertés et de la détention visant à faire échec systématiquement aux procédures d’éloignement en refusant la prolongation de rétention ». Les récents atermoiements gouvernementaux à propos de l’affaire Dibrani auront, à n’en pas douter, pour effet de pousser les préfets à la plus grande inertie en la matière.

De façon générale, l’immigration est gérée à l’aveugle, c’est-à-dire sans objectifs chiffrées. Elle est gérée, en caricaturant à peine, par des adaptations constantes et erratiques des procédures administratives et des critères d’admission. Malgré la création, bienvenue, d’une administration intégrée (le secrétariat général à l’immigration et à l’intégration devenu récemment la direction générale des étrangers en France), on ne peut parler de l’immigration comme d’une politique publique véritablement pilotée. On joue sur un système très complexe de robinets, sans connaître vraiment ni la pression, ni le diamètre de la tuyauterie et, surtout, sans prendre en compte les innombrables fuites. Les migrants habiles ont ainsi développé des stratégies efficaces qui exploitent les failles et les lenteurs d’une administration engluée dans la gestion de procédures formelles et déconnectées de la réalité, soumise à la pression des associations et des médias et ne disposant pas des outils, notamment informatiques, pour faire face. L’échec de la conception d’un nouveau logiciel de gestion des étrangers pour remplacer le très vieillissant AGDREF et assurer un continuum de gestion entre les visas, les titres de séjour et l’éloignement, est un de symptômes de l’incapacité de l’État à mettre en place un dispositif efficace sur cette question. Il faut ajouter que le principe d’automaticité du renouvellement voire de la délivrance de certaines cartes de résident est, en soi, un facteur de forte rigidité de la politique d’immigration.

Reprendre la politique d’immigration en main

Pour un contrôle démocratique sur la politique d’immigration. Il faut sortir de la gestion par circulaires, de cette logique du guichet ouvert et instaurer un véritable contrôle démocratique de cette politique publique essentielle. Cela suppose de s’intéresser non pas d’abord aux moyens mais aux résultats. Les Français doivent pouvoir choisir le nombre de personnes venant s’installer dans leur pays. Un vote annuel par le Parlement fixant le nombre de titres délivrés annuellement serait l’expression naturelle de cette volonté. Il serait d’ailleurs souhaitable que le principe d’un vote autorisant la délivrance annuelle des titres de séjour soit solennellement inscrit dans la Constitution, par voie de référendum. Sa mise en œuvre impliquerait un changement radical dans les pratiques de l’administration qui devrait, sous contrainte, mener une politique active de sélection et de priorisation des candidats.

Fixer chaque année le nombre de naturalisations par voie parlementaire. La question particulière des naturalisations engage la citoyenneté au plus haut point. Le nombre des naturalisations, démarche importante puisqu’il s’agit de l’entrée dans la communauté nationale, devrait dès lors être fixé par le Parlement et non par l’effet d’une circulaire. La dernière circulaire sur ce sujet (16 octobre 2012) a pour objectif avoué de revenir à un nombre annuel de 100 000 naturalisations, ce qui est considérable au regard de l’intégration réelle des populations étrangères et pose également une question démocratique puisqu’il s’agit de changer significativement le corps électoral en créant, sur un quinquennat, 500 000 nouveaux électeurs… Rappelons que moins de 600 000 voix auraient suffi pour faire basculer la dernière élection présidentielle ! Il est d’ailleurs piquant que le gouvernement se refuse à des objectifs chiffrés en termes de flux d’entrée d’immigrés alors qu’il s’en fixe pour les naturalisations.

Renforcer la politique de maîtrise des frontières. Contrôler les flux suppose la maîtrise des frontières. Nous vivons dans un monde ouvert, et c’est heureux, mais pas dans un monde sans limites. Les tragédies récentes en Méditerranée montrent la responsabilité des pays européens dans le mirage migratoire qui fait prendre des risques insensés aux candidats à l’immigration. Cette pression migratoire montre à quel point le contrôle de l’immigration aux frontières de l’espace Schengen est largement un leurre (comment imaginer un instant que la Grèce puisse efficacement protéger l’Europe de l’immigration illégale, même avec l’aide de l’agence Frontex ?). Les différents pays, quand leur intérêt est en jeu, ne se montrent d’ailleurs guère coopératifs et n’hésitent pas à laisser passer les migrants dans le pays voisin (voir, par exemple, l’attitude de l’Italie lors de la révolution tunisienne). Ce premier filtre aux frontières extérieures de l’espace Schengen est sans doute utile pour contrer certains flux, mais dès lors qu’il ne garantit pas l’étanchéité des frontières terrestres, sans parler des frontières maritimes, un second filtre aux frontières nationales apparaît indispensable sur un sujet qui touche directement la souveraineté nationale. Autant dire qu’une réflexion s’impose sur les moyens humains et techniques permettant de faire face, qui peut passer par une réorganisation de la police aux frontières (PAF) et de la douane et la création d’un service unifié de garde-frontière, qui ne se contente pas de la surveillance de points fixes ou de grands axes, et par une évaluation de la « fonction garde-côte » laborieusement mise en place par le secrétariat général à la mer. S’agissant des naufrages de navires d’irréguliers, il est temps de mettre en œuvre des patrouilles maritimes communes avec les pays d’origine quitte à conditionner nos aides à leur instauration (11).

Réviser en profondeur l’accord Schengen afin de permettre un contrôle réel de l’immigration irrégulière aux frontières nationales. Le système Schengen, qui vise à la libre circulation des ressortissants de ses pays membres et des étrangers en situation régulière à l’intérieur de cet espace, n’a évidemment pas été conçu pour assurer la libre circulation des clandestins. C’est la crédibilité de cet accord aux yeux des populations européennes qui est en jeu. Se pose, par conséquent, la question d’une révision de ses clauses afin de permettre un contrôle réel de l’immigration irrégulière aux frontières nationales (12). De même, les flux intra-communautaires, qui représentent de vastes mouvements de population en provenance essentiellement de Roumanie et de Bulgarie, devraient pouvoir être mieux contrôlés, notamment par la limitation des aides sociales, comme l’a proposé tout récemment David Cameron, contrôle qui n’exclut pas la nécessaire coopération européenne en ce domaine. De même, peuvent être envisagées par la France une mise en œuvre des clauses de sauvegarde prévues par la convention, voire une sortie temporaire du système, en particulier si ses partenaires ne jouent pas le jeu.

Sortir de l’angélisme dans la coopération avec les pays d’origine. Enfin, il n’est pas de contrôle efficace de l’immigration à moyen terme sans une coopération bien comprise avec les pays d’origine que l’on doit inciter à s’engager contre les filières de trafic d’êtres humains, engagement auquel devraient être strictement conditionnées les aides bilatérales et européennes. L’immigration est aussi un drame du désespoir et du déracinement. Il est de la responsabilité des nations européennes d’aider aussi ces pays à trouver la voie d’un développement économique et social qui permettent à leurs populations d’envisager un avenir sur place.

Notes •

(1) Sondage IFOP pour Valeurs actuelles, 13 novembre 2013.

(2) Selon Jean-Paul Gourevitch, l’immigration coûterait près de 17,5 milliards d’euros par an, soit 0,9 point de PIB, en savoir + .

(3) 191 452 exactement selon les données de la direction générale des étrangers en France du ministère de l’intérieur.

(4) Hors travail illégal naturellement.

(5) Qui, entre autres, pénalise le « mariage gris », c’est-à-dire l’escroquerie sentimentale en vue d’obtenir un titre de séjour.

(6) Le Monde du 28 août 2013 : « Parmi d’autres, la question du regroupement familial peut être posée ».

(7) Données OFPRA.

(8) 16 600 personnes régularisées au titre de la dernière circulaire, selon une déclaration du ministre de l’intérieur lors d’une audition à l’Assemblée nationale, sur un total prévu de 46 000 régularisations en 2013 (Le Monde du 16 novembre 2013).

(9) 252 000 bénéficiaires de l’AME en 2012, selon les documents budgétaires. Ce nombre est en hausse régulière depuis la création du dispositif par la loi du 27 juillet 1999.

(10) Voir projet de loi de finances pour 2014, projet annuel de performance (PAP) du programme 303 « immigration et asile », indicateur n° 3.1, en savoir +.

(11) Cf. Jean-Dominique Giuliani : « En Libye et en Tunisie, nous devrions proposer cela, à ces Etats que nous aidons beaucoup au niveau européen – 300 millions d’euros pour la Tunisie selon l’Union européenne. Il faut leur proposer de coopérer. S’ils ne le veulent pas, il faut être un peu directif. Parce que les exemples existent en Afrique et y compris en Afrique du Nord (l’Algérie, le Maroc, d’autres États de point de départ comme le Sénégal, qui ont fait des efforts considérables », RFI, 28 octobre 2013.

(12) Actuellement, pour la France, les seuls contrôles possibles sur le territoire national sont ceux prévus par l’article 78-2 du code de procédure pénale, et en particulier l’alinéa 4, qui permet notamment un contrôle d’identité des personnes aux fins de vérification de la possession de titres et documents prévus par la loi dans une zone de 20 km à partir de la frontière terrestre française et pour une durée n’excédant pas 6 heures. Cette possibilité est considérablement restreinte par le code « frontières Schengen » qui interdit tout contrôle général et systématique.