Refonder et élargir le G7

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More

24 mars 2014 • Analyse •


L’invasion russe de la Crimée remet en cause le bien-fondé du G8. Réuni à La Haye les 24 et 25 mars 2014, le G7 s’impose comme instance de coordination des politiques des Occidentaux, vis-à-vis d’une « Russie-Eurasie » menaçante. Au-delà, il faudra songer à un « G7+ », élargi à d’autres démocraties de marché.


Les 24 et 25 mars 2014, les pays du G7 se réuniront à La Haye, en marge d’un sommet sur la sécurité nucléaire. Elargi à la Russie, en 1998, le « G7+1 » avait été éclipsé par les sommets du G-20, successivement organisés pour apporter une réponse commune à la crise économique et financière de 2008. A la suite de l’invasion par la Russie de la Crimée, le G7 retrouve sa raison d’être, comme instance de coordination de l’Occident, voire comme « plate-forme » diplomatique mondiale.

Aux origines du G7

Le G7 (« Groupe des Sept ») est un forum de coopération mis en place en 1975, de manière informelle, sans négociation d’un traité, entre les sept principales économies de marché (les « pays industrialisés » de l’époque). Fondé à la suite d’une initiative française, il comprend cinq puis six pays (États-Unis, France, Royaume-Uni, République fédérale d’Allemagne, Italie et Japon), avant que le Canada ne soit inclus (1976).

In fine, le G7 constitue une sorte de club occidental qui s’est adjoint le Japon. Allié des États-Unis depuis le traité de San-Francisco (1951), sur fond de guerre de Corée, le Japon est considéré comme le « troisième grand » depuis la fin des années 1960. L’étroite association de l’Archipel nippon aux puissances occidentales consacre son redressement et ouvre un nouveau champ à ses aspirations internationales.

Alors que la Guerre froide surdétermine les relations internationales, l’idée est de réunir les principaux États membres du « monde libre » dans un cadre informel, à l’extérieur du système de l’ONU. En effet, celui-ci est bloqué par la confrontation Est-Ouest au niveau du Conseil de sécurité, et l’opposition Nord-Sud dans l’Assemblée générale. A l’intérieur de ce « club », ses membres pourront se concerter et agir de concert, aussi bien dans le domaine économique et financier que sur le plan diplomatico-stratégique.

Du G7 au G8

A l’issue de la Guerre froide, la Russie post-soviétique est conviée aux travaux du G7, les Occidentaux ayant le souci de ne pas humilier le grand vaincu, celui-ci bénéficiant par ailleurs d’abondants financements en provenance du FMI. En 1998, la Russie est officiellement associée au G7 qui devient le G8. C’est aussi durant cette période que les sommets annuels des puissances considérées, autrefois discrets, sont rattrapés par la société du spectacle et deviennent des shows politiques planétaires.

L’idée directrice qui inspire la décision d’élargir le G7 est la suivante : à l’instar des PECO (Pays d’Europe centrale et orientale), la Russie serait engagée dans une « transition », ce maître mot des années 1990 désignant la volonté de se transformer en un régime constitutionnel-pluraliste et compétitif (une démocratie libérale) et une économie de marché, fondée sur le droit de propriété et la concurrence. Sur le plan diplomatique, il faudrait travailler à la pleine insertion de la Russie dans le nouvel ordre américano-occidental.

De fait, la Russie de Boris Eltsine est engagée sur cette voie. Certes, la dislocation de l’URSS et l’effondrement final de l’économie soviétique provoquent une succession d’ondes de choc qui déstabilisent le principal État successeur de la « Russie-Soviétie ». Pourtant, cette polyarchie chaotique respecte les libertés recouvrées des citoyens russes et la brutale « accumulation primitive du capital » semble préparer le passage à une économie de marché. Si le concept d’« étranger proche » est déjà forgé, la politique étrangère russe est axée sur la négociation d’un partenariat avec l’Occident.

Les désillusions du G8

A l’évidence, le contexte est tout autre. L’invasion russe de la Crimée et le viol de la souveraineté ukrainienne (27-28 février 2014), l’organisation d’un référendum illégal sur le rattachement de la presqu’île à la Russie (16 mars 2014) et l’annexion précipitée de ce morceau d’Ukraine ont déchiré le voile. Malgré leur longue pratique de l’Ostpolitik, des diplomates allemands confient que la « Russie-Eurasie » leur est devenue aussi étrangère et imprévisible qu’un pays du Moyen-Orient. Le révisionnisme géopolitique russe bouscule les normes et standards de l’Occident.

Au vrai, ce « point tournant » dans les relations entre la Russie et l’Occident est l’aboutissement d’un nouveau cours amorcé dès les années 1999-2000, lorsque Vladimir Poutine accédait au pouvoir et déclenchait une nouvelle guerre de Tchétchénie. L’instauration d’une « verticale de pouvoir », au mépris des libertés, et d’un capitalisme monopolistique d’État tendu vers la puissance, l’usage de l’arme énergétique contre ses voisins, n’ont pourtant pas suffi à dissiper l’illusion sur laquelle le G8 était fondée.

Nonobstant la guerre russo-géorgienne d’août 2008 et l’annexion de facto de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, les gouvernements occidentaux ont voulu croire que Poutine cherchait simplement à améliorer les termes de l’échange avec l’Occident (voir la diplomatie du « reset », conçue aux dépens de la Géorgie et de l’Ukraine). Il aura fallu l’invasion de la Crimée – avec une possible action de force dans le sud et l’est de l’Ukraine ou en Transnistrie (Moldavie) –, pour que les yeux se décillent. Aussi le prochain sommet du G8 (Sotchi, juin 2014) est-il fortement compromis, le retour au G7 s’imposant.

Pour conclure

A La Haye, on se concertera sur le révisionnisme géopolitique de la Russie, la remise en cause des fondements de l’ordre européen qu’il induit et les réponses à apporter, dans l’immédiat et dans la durée. Outre les sanctions économiques, la posture militaire et le possible élargissement de l’OTAN aux pays menacés devraient être abordés. Enfin, il faudra questionner le bien-fondé du G8, la « Russie-Eurasie » s’opposant à l’Occident, désigné comme ennemi par le Kremlin et sa propagande.

A moyen et long termes, le G7 pourrait être élargi à des États ayant fait des choix politico-économiques en accord avec l’Occident, au plan intérieur et sur la scène mondiale. L’OCDE constituerait un vivier possible. Une fois la tentation autoritaire dépassée, la Turquie serait un candidat naturel. L’ancre déjà jetée en Asie-Pacifique, l’Australie et la Corée du Sud devraient être approchées. Entre l’actuel G7 et l’ingouvernable G20, un futur « G7+ » constituerait une structure d’équilibre.