Rapport Théry · Une vision dangereuse de la filiation

Guillemette de Bayser, chargée de mission à l’Institut Thomas More

14 avril 2014 • Opinion •


Le rapport « Filiation, origines, parentalité », rédigé sous la direction de la sociologue Irène Théry et rendu public au moment où Manuel Valls prétend envoyer des signaux d’ « apaisement » sur les sujets sociétaux, a de quoi inquiéter. Commandé avant le remaniement, il avait pour fonction initiale d’alimenter le projet de loi sur la famille alors annoncé. Le projet de loi est passé à la trappe mais des parlementaires PS ont fait part de leur volonté d’en reprendre le contenu dans diverses propositions de loi au cours des prochains mois : la première, relative à l’autorité parentale, sera débattue à l’Assemblée dès le mois de mai.

Fondée sur l’idée-force de l’Homme totalement souverain de lui-même et libéré de toutes les contraintes du « donné », la vision d’Irène Théry incite à une profonde réforme du droit de la filiation afin qu’il soit déconnecté de la réalité biologique et humaine sur laquelle il repose pourtant (hétérosexualité et unicité des liens paternel et maternel). Appuyé sur trois grands principes, le rapport formule des propositions très concrètes dont il faut mesurer la portée et le risque.

Son premier principe, sans cesse réaffirmé par la sociologue, est celui de la promotion de la « pluriparentalité » qui devrait se substituer au modèle traditionnel père-mère-enfant. Les propositions qui en découlent sont nombreuses, citons par exemple la possibilité de deux adoptions simples de l’enfant par chacun des nouveaux conjoints des deux parents (ce qui veut dire qu’il en aurait quatre…) ou la reconnaissance de la filiation d’un enfant né de GPA à l’étranger. Ces propositions visent tout simplement à normaliser le recours à plus de deux parents pour engendrer et éduquer un enfant.

Une telle évolution reviendrait bel et bien à instituer un droit à l’enfant pour tous les adultes et à soumettre la filiation des enfants et l’exercice de l’autorité parentale aux desiderata des adultes et aux aléas de leur vie affective – ce qui est gravement préjudiciable à l’intérêt de l’enfant qui a besoin d’identifier ses deux parents et que leur autorité ne soit pas dissolue. Elle viendrait en outre généraliser et banaliser le recours à des institutions qui ne sont pas anodines pour les enfants et les familles, telles que l’adoption et la PMA créées pour pallier des défaillances (abandon, stérilité ou maladie). Ces institutions doivent rester des recours exceptionnels et encadrés, en aucun cas devenir des pratiques banales.

Il faut rappeler que les trois modes d’institution de la filiation (procréation naturelle, adoption et procréation médicalement assistée) ne peuvent ni de doivent être confondues comme des options équivalentes offertes au choix des adultes sous prétexte de « justice » comme le revendique le rapport – ce qui ne veut évidemment pas dire que les personnes ne sont pas égales en dignité. Étonnante conception du droit qui vient faire des cas particuliers la norme en supprimant toute norme…

Deuxième principe qui découle du premier : séparer définitivement le fait d’être parent de la conjugalité. Très concrètement cela consiste à banaliser le partage de l’autorité parentale après une séparation, autoriser la PMA pour les couples de lesbiennes, mettre en valeur le « projet parental » indépendamment de la capacité procréative. Là encore, la vision idéologique vient se heurter au mur du réel car le lien entre procréation et conjugalité ne peut être nié ni rompu puisque la naissance d’un enfant trouve son origine dans la rencontre des gamètes de sexes opposés, qui reste donc irréductiblement source de la parenté… On ne peut faire croire que la séparation entre conjugalité et parenté, organisée (PMA, GPA) ou accidentelle (divorce), n’a aucune conséquence sur l’équilibre identitaire de l’enfant et donc choisir de la banaliser. La filiation, explique le pédopsychiatre Pierre Lévy-Soussan, repose sur trois piliers : biologique, juridique et psychique. Le pilier psychique correspond à la construction subjective de la filiation. Il s’agit de se projeter dans la relation, de s’assumer comme fils ou fille, comme père ou mère. Les fantasmes œdipiens de l’enfant ne pourront fonctionner et le sentiment filial et toutes ses conséquences se développer que si la fiction est crédible, raisonnable et donc liée à la sexuation. Ainsi, par notre droit, il faut permettre à l’enfant de naître psychiquement de ses deux parents même s’ils ne sont pas ses parents biologiques.

Troisième principe, véritable colonne vertébrale du rapport Théry : « la filiation contemporaine veut assurer à tous les enfants la sécurité d’un lien différent de tous les autres, le seul lien social conçu désormais comme inconditionnel, fait pour durer la vie entière quelques soient ses modalités d’établissement, et quelque soit le sexe des parents ou leur statut conjugal ». De là la volonté acharnée de distinguer « filiation » et « origines », d’obliger la mère qui accouche sous x de donner son identité et d’abandonner « la logique d’imitation de la procréation dans l’adoption plénière ». Or le droit doit s’appuyer sur le principe de réalité sous peine de ne pas créer de cadre crédible et solide.

Si le lien des parents à l’enfant est indissoluble, c’est justement parce que le lien biologique, l’engendrement, la naissance d’un enfant ne peuvent être niés quand bien même les lois humaines décréteraient le contraire. D’où la souffrance des enfants qui doivent faire le deuil de ce lien qu’ils ne peuvent investir psychiquement. Il est un peu trop simple de croire qu’on résoudrait leur souffrance en leur procurant l’identité de leur parent biologique. L’adoption plénière et le secret de l’accouchement sous x permettent dans des cas exceptionnels de récréer l’indissolubilité du lien quand la filiation psychique et juridique n’a pu se faire à l’égard des parents d’origine. Cela fonctionne parce que le modèle procréatif est imité, parce que l’engendrement symbolique et psychique par les nouveaux parents est conforme au réel par la substitution, même douloureuse, aux parents d’origine. Sur ce point comme sur les autres, le rapport Théry témoigne du fantasme prométhéen de réinventer le monde, les hommes et les façons de construire leurs relations, au risque du déni et de la manipulation dangereuse du réel.