La fusion des régions va coûter plus cher !

Gérard-François Dumont professeur à l’Université Paris 4-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir et membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More

4 juin 2014 • Entretien •


Dans l’un de vos derniers livres, vous avancez que le problème des régions françaises n’est pas leur taille, mais la marge de manœuvre dont elles doivent disposer. Il fallait donc ne rien changer ?

Il n’y avait aucune nécessité de redessiner la carte des régions. En France, elles ont une dimension moyenne supérieure à celle des Länder allemands. On ne peut donc pas leur reprocher d’être trop petites. Même chose pour la démographie. Le Limousin est la région la moins peuplée de France, mais en Allemagne, en Espagne et en Italie on trouve des régions encore moins peuplées, ce qui ne les empêche pas de connaître un taux de chômage largement inférieur. La petite taille et la faible démographie ne sont donc pas forcément des handicaps.

Les fusions sont, selon vous, sans objet ?

En réalité, on parle du sexe des anges. On recherche un optimum, une taille idéale pour que la région soit attractive, alors que le vrai problème est de créer un environnement législatif et réglementaire pour que les régions soient mieux gouvernées. Clarifions, par exemple, la fiscalité, afin que les régions prélèvent plus largement l’impôt plutôt que de dépendre de l’État.

Mais le but de François Hollande, c’est aussi les économies d’échelle. Sa nouvelle carte manque sa cible ?

Il y avait plus simple pour faire des économies : réduire les dotations versées par l’État aux collectivités. En réalité, les fusions vont coûter plus cher. Il faudra aussi fusionner les services, financer des déménagements, aligner les statuts et les conditions salariales entre agents de différentes régions, ce qui se fait toujours sur les plus avantageux, donc les plus coûteux. Ajoutons les coûts indirects, tout ce temps que les élus et les collaborateurs vont consacrer aux fameuses fusions au détriment de l’attractivité de leur région. Je rappelle aussi cette vieille loi de Parkinson, selon laquelle une administration grossit à mesure qu’elle gagne de l’importance !

Qu’est-ce qui aurait dû présider à la simplification ?

Ce qui fait la réussite d’un territoire, c’est l’investissement de ses acteurs, que ce soient les entreprises, les administrations ou les citoyens. Cela suppose qu’ils s’identifient à la région, qu’ils aient envie de mouiller leur maillot pour elle. Ce ne sera pas le cas avec ces brouillons de fusion, additions de choux et de carottes. Ça me rappelle les villes nouvelles, très mal conçues. Regardez qui est arrivé en finale du foot et du rugby cette année : Guingamp et Castres, deux villes peu peuplées, mais dotées d’une forte identité. Cergy-Pontoise n’est jamais arrivée en finale d’une coupe ! L’identité est fondamentale pour créer une dynamique.

Le découpage n’a donc pas tenu compte de l’histoire des régions françaises ? Était-ce important ?

Je constate que nos gouvernants ont un niveau de connaissance géographique assez faible ! Nos régions se sont moulées dans les limites des départements, qui ont une histoire ancienne. En 1790, le choix des limites départementales s’est effectué selon les convenances locales. L’Aveyron, c’était le Rouergue, l’Indre-et-Loire, la Touraine, et ainsi de suite. Aujourd’hui, nos régions ont donc une forte identité. L’essentiel, je le répète, est de leur conférer une meilleure gouvernance.

Marier deux régions, c’est aussi leur donner plus de force économique, et tant pis pour le passé !

Il faut regarder les choses finement. Prenons le cas de l’Alsace et de la Lorraine. Leurs présidents respectifs semblent d’accord pour fusionner leurs régions, c’est entendu. Mais je ne vois pas la logique historique de cette fusion. Ces deux territoires ont une histoire fondamentalement différente. La Lorraine s’est toujours tournée vers la partie septentrionale de la Lotharingie (Flandre, Champagne, Bourgogne, NDLR), et profite aujourd’hui de la proximité avec la Wallonie, la Sarre, le Luxembourg ou encore une partie de la Rhénanie-Palatinat dans le cadre de ce qui s’appelle la « Grande région » ; l’Alsace, en revanche, regarde vers l’est, vers le pays de Bâle et le Bade-Wurtemberg. Et entre les deux régions, les flux économiques sont très faibles. Il ne s’agit donc pas d’empêcher leur fusion, mais on peut s’interroger sur les projets économiques communs qu’elles pourront développer. Sans compter que, là comme ailleurs, on ouvre une boîte de Pandore qui va attiser des rivalités historiques : quelle sera la capitale de cette grande région Alsace-Lorraine ?