Le Parlement européen en panne de démocratie

Paul Goldschmidt, membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More, ancien directeur à la Commission européenne

23 juin 2014 • Opinion •


Si le Parlement Européen avait voulu délibérément donner des arguments au Conseil Européen pour ne pas aller au-delà de « la prise en compte » du résultat des élections prévue par le Traité pour la désignation du Président de la Commission, il n’aurait pu mieux agir qu’en offrant le spectacle lamentable des négociations qui entoure la formations des groupes parlementaires au sein de l’hémicycle.


Il y a, en effet une contradiction fondamentale entre la prétention – contestable – d’une « légitimité démocratique » du Spitzenkandidat à la présidence de la Commission Européenne et le « déni de démocratie » évident dans la formation de groupes « politiques » qui se négocie en dehors de tout mandat des électeurs, si ce n’est en contradiction flagrante avec leurs intentions.

Il ne fallait sans doute pas s’étonner que les partis eurosceptiques se livrent à des petits calculs pour obtenir un temps de parole, des postes officiels ou des avantages financiers représentatifs de leur poids global dont le règlement actuel de l’Assemblée les prive. Il est cependant encore plus navrant d’observer que les autres partis s’y sont livrés avec le même acharnement.

L’accueil du parti allemand Alternativ für Deutschland (AfD) par le groupe « Conservateur et Réformistes européens » (ECR) – au grand damne de la Chancelière qui souhaitait leur isolement – est motivé exclusivement par le désir de devenir le troisième groupe et de bénéficier des avantages associés alors que sur le plan programmatique les élus partagent peu de points communs.

Plus choquant encore est le numéro de cirque – raté – auquel s’est livré Guy Verhofstadt, le porte-drapeau emblématique de la démocratie « fédéraliste » européenne, pour attirer la Nieuwe Vlaamse Alliancie (NVA) au sein de l’Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe (ADLE). Alors que quelques semaines plus tôt, les libéraux flamands disaient pis que pendre de leur rivaux aux élections nationales et régionales, les mêmes objectifs de nombre de membres au PE ont suffi pour gommer les différences politiques affirmées dans les urnes. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que la NVA ait finalement rallié l’ECR – qui devient ainsi troisième groupe – dont le programme de rapatriement de souveraineté européenne vers les gouvernements nationaux, diamétralement opposé à la vision de l’ADLE, ne peut que servir à terme les visées séparatistes et eurosceptiques de la NVA.

Si le Parlement Européen veut réellement faire œuvre utile en faveur d’une légitimité démocratique et convaincre l’électeur que son attachement aux valeurs et traditions nationales – voir régionales – ne sont nullement en contradiction avec une citoyenneté européenne, alors il doit utiliser la mandature pour transformer en profondeur son propre fonctionnement.

La sélection de Spitzenkandidaten lors dés récentes élections était une innovation intéressante ; elle constituait un premier pas vers une politisation du débat « européen » différencié des débats « nationaux ». Les efforts des trois partis principaux du PE sortant d’imposer leur candidat, risque fort, en cas de réussite, de renforcer considérablement le camp des eurosceptiques qui auront beau jeu de contester la légitimité du processus. On pourrait cependant tirer des leçons constructives de l’imbroglio développé dans la foulée du résultat des élections :

1. Il faut instaurer un mode de scrutin unique dans l’ensemble de l’UE.

2. Il faut casser le système actuel et se rapprocher d’une représentation proportionnelle de la population (avec le maintien d’un minimum pour permettre une représentation diversifiée des plus petits pays).

3. La défense des « intérêts nationaux » doit être pleinement assumée par le Conseil européen (parallèle avec le système sénatorial américain).

4. Les groupes politiques qui, à l’avenir, choisissent des Spitzenkandidaten, présenteraient des listes dans tous les pays membres avec un programme unique, avalisé par le groupe parlementaire; leur composition, qui s’apparentant à de véritables « partis européens », serait plus homogène et ne changerait pas après le scrutin. Cela n’empêcherait pas des transferts individuels d’élus (comme c’est le cas d’un député du Front National) mais impliquerait une adhésion au programme commun. L’électeur endosserait le programme et le choix du candidat à la présidence de la Commission proposé par le groupe.

5. Pour éviter que des voix ne se perdent, les bulletins recueillis dans tous les pays membres seraient additionnés, quel que soit le nombre d’élus. Ce nombre de voix conférerait au parti/groupe un coefficient proportionnel dans la désignation du Président de la Commission. Une « majorité » politique, permettant des alliances et s’accordant sur un programme, proposerait alors un candidat – pas nécessairement l’individu ayant recueilli le plus de voix – qui disposerait ainsi d’une majorité parlementaire stable pour la mandature.

6. Le règlement d’ordre intérieur du Parlement européen serait revu de fond en comble pour tenir compte des changements proposés et assurer une distribution équitable des charges et des avantages associés au mandat de parlementaire. On éviterait ainsi le spectacle peu reluisant offert ces derniers jours par les élus. Cette réforme incombe aux seuls parlementaires et il serait présomptueux d’en suggérer ici les contours. Il doit cependant viser à renforcer la légitimité démocratique du Parlement européen et contribuer au ré enchantement du rêve européen.

Dans l’attente d’une mise en œuvre de ces réformes, il appartient au Parlement européen de respecter le Traité. La désignation du candidat à la Présidence de la Commission demeure la prérogative du Conseil qui, ayant tenu compte du résultat des élections, soumettra son choix à la confirmation – ou non – dudit Parlement.