Croissance en berne · L’Allemagne finirait-elle par souffrir du mode de fonctionnement de la zone euro qui l’a faite reine ?

Jakob Höber, Chercheur associé à l’Institut Thomas More

Atlantico

9 juillet 2014 • Entretien •


Depuis le début de l’année, l’indice de la production manufacturière allemande donne des signes de faiblesse, laissant voir une chute à zéro d’ici fin 2014. L’Allemagne est-elle menacée par la stagnation ? Le modèle exportateur allemand arrive-t-il à ses limites après des années d’expansion ? Quelles conséquences auront ces évolutions sur les partenaires européens de Berlin ?


Après s’être très bien porté sur 2013, l’indice de la production manufacturière allemande semble être en recul depuis début 2014 (chiffres Markit et IFO). Une tendance qui laisse penser que la croissance d’Outre-Rhin pourrait être proche de zéro d’ici la fin de l’année. Peut-on dire que l’Allemagne arrive aujourd’hui à une période de stagnation ?

En effet, le recul de l’indice de la production manufacturière en Allemagne a surpris les économistes. Surtout en mai 2014, où le chiffre d’affaires est tombé de 1,9% comparé au mois précédent, une chute remarquable. Les indices de la production étaient par conséquent revus à la baisse, mais leur recul a été moins marqué.

Cependant, les indices restent très élevés, surtout si on rappelle le contexte européen toujours incertain, et les engagements du gouvernement chinois de restructurer son économie. La production part d’un haut niveau et une révision des chiffres était à prévoir. Les carnets de commande, quant à eux, sont stables depuis le début de l’année. Il est intéressant de souligner que les commandes venant de l’extérieur de l’UE ont connu une forte baisse, tandis que celles d’origine européenne ont considérablement augmenté. Notamment, le commerce avec la Chine a subi des pertes. Cependant les derniers chiffres plus favorables de la République Populaire et le voyage d’Angela Merkel dans l’Empire du Milieu devraient donner un nouveau souffle aux échanges entre les deux pays.

Par conséquent, une diminution du PIB au troisième trimestre ne peut être exclue. Mais il est peu probable que l’économie allemande sombre à long terme : l’indice de la consommation reste élevé et connaît même des tendances croissantes. De même pour les services : ce secteur a atteint son plus haut niveau depuis 2007 et la création d’emploi devrait se poursuivre – malgré l’incertitude liée à l’introduction du SMIC.

Les exportations sont aussi en forte baisse sur les derniers mois, ce qui n’est pas sans lien avec la crise ukrainienne. Peut-on dire que la machine commerciale allemande arrive à ses limites après des années d’expansion ?

Le recul des exportations est notamment lié à la faible demande chinoise et bien sûr, à l’incertitude des dossiers ukrainien et irakien. Les échanges avec l’Europe, en revanche, se sont très bien portés, avec une croissance de 4,2% comparé à l’année précédente. Notamment les exportations avec les pays hors zone euro, comme la Pologne et le Royaume-Uni, ont connu une forte croissance – ce qui peut surprendre puisque Londres s’engage sur un chemin de dévaluation forte de la livre depuis 18 mois.

Si on regarde l’évolution des exportations comparée à mai 2013, on constate que la machine exportatrice allemande connaît quelques irritations, mais bat toujours son plein : l’excédent de la balance commerciale a augmenté de 4,2 milliards d’euros, soit environ 30% – et ceci malgré une progression des salaires importante. Cette hausse s’explique par un plus fort recul des importations.

Pour résumer, on peut dire que le commerce avec la zone Euro se porte bien, ce avec le reste de l’UE supérieur à la moyenne, tandis que les échanges avec le reste du monde sont décevants. Mais, comme pour tous les pays exportateurs, les limites de la machine commerciale allemande sont celles de la capacité des autres à acheter.

Peut-on finalement analyser cette tendance comme la fin d’une forte progression économique pour un pays qui a jusqu’ici pleinement bénéficié des mécanismes de la zone euro ?

La croissance allemande devrait se maintenir tant que le contexte global le permet. Déjà, on peut constater depuis quelques années que les échanges commerciaux se décrochent de plus en plus de la zone euro, bien qu’elle reste bien entendu toujours la destinatrice de la plupart des exportations allemandes. En même temps, le redressement d’autres pays européens, comme l’Espagne et le Portugal, qui se sont engagés dans une voie réformiste qui commence à porter ses fruits, normalise petit à petit le développement économique européen. Les dernières années où l’Allemagne (mais aussi la France) a pu profiter des capitaux, monétaires et humains, en provenance de ces pays paraissent passées. On aurait pu y arriver plus facilement par une meilleure concertation européenne dès le début de la crise, mais compte tenu du chemin parcouru, la situation actuelle paraît quand même rassurante.

Les dangers pour l’économie allemande sont autres : la Energiewende, le soutien aux énergies renouvelables, qui a permis à l’Allemagne de réduire sa dépendance aux importations des matières énergétiques, crée plus d’incertitudes que des promesses d’avenir à cause de réformes certes nécessaires, mais irréfléchies. La démographie reste un sujet à peine abordé mais qui va produire un manque de main d’œuvre qualifiée et des difficultés de financement. Finalement, la construction européenne reste un grand point d’interrogation pour le pays et l’ensemble de l’UE, sachant que des forces centrifuges pourraient terminer dans un éclatement de la zone, avec des conséquences économiques et sociales dévastatrices pour leurs membres.

En quoi ces nouveaux facteurs pourraient-ils influer sur la politique d’Angela Merkel si cette dernière constate que la seule austérité ne suffit plus à alimenter la croissance du pays ?

Si Angela Merkel s’est engagée dans la voie d’une politique d’austérité, ceci s’explique pour deux raisons. D’une part, elle devait convaincre son électorat de la nécessité de la création des mécanismes de sauvetage européens, bien qu’il se soit montré très hostile à cette idée. Deuxièmement, il est vrai que les pays en crise n’ont pas fait preuve d’une très bonne gestion budgétaire après qu’ils ont profité de taux très faibles après la création de la zone euro. Tant que le contrôle sur les dépenses publiques reste à la discrétion des États eux-mêmes, s’engager dans la voie d’un soutien sans conditions risquerait de ne rien changer aux enjeux macroéconomiques sous-jacents.

Or le gouvernement Merkel a réalisé les effets de la politique d’austérité : chômage, surtout parmi les jeunes, destruction d’entreprises, etc. Pourtant le problème d’aléa moral persiste : si on laisse plus de souplesse aux gouvernements quant à leur niveau de dette, ceci ne veut en rien dire que les dépenses seront faites d’une manière productive et porteuse d’avenir. Pour dire les choses autrement : se contenter d’augmenter les dépenses publiques ne suffira pas à alimenter la croissance d’un pays ! Au contraire, à long terme les effets seront négatifs.

La France, qui tente depuis trente ans de retrouver la croissance économique par le levier de la dette, n’est pas un exemple rassurant à cet égard. L’accord de la Chancelière passerait alors par une claire volonté des autres pays de s’engager sur une route porteuse d’avenir.

Plus largement quel impact cela peut-il avoir sur les autres pays européens ?

Vu que les effets qui renvoient la croissance économique allemande à la baisse ne sont que très peu liés aux autres pays européens, un changement de la politique de la Chancelière pour cette raison n’est pas à prévoir.