Le jour où les taux d’intérêt se sont envolés · Vers une zone euro à la japonaise ?

Wolfgang Glomb, membre du conseil d’orientation de l’Institut Thomas More

10 juillet 2014 • Opinion •


Le 5 juin dernier, la Banque centrale européenne prenait des dispositions inédites pour soutenir la croissance européenne, en abaissant en particulier le taux de refinancement. Cette initiative a été largement saluée. Pourtant, de nombreuses questions se posent et les doutes sur les effets réels des choix retenus par Mario Draghi sont permis. Le risque d’un scénario « à la japonaise » plane désormais sur la zone euro.


La date du 5 juin 2014 devrait entrer dans les annales de l’histoire économique. Dans une opération sans précédent, la Banque centrale européenne (BCE) a de nouveau tenté de relancer l’économie de la zone euro par un « tsunami de liquidité ». Le taux de refinancement auprès de la BCE a été ramené à un niveau proche de 0%, le taux de dépôt auquel la BCE rémunère les banques a été abaissé à -0,10% – ce qui constitue une première mondiale pour une grande banque centrale. En outre, l’institution monétaire prévoit d’accorder des prêts sur quatre ans à hauteur de 400 milliards d’euros aux établissements bancaires, après avoir leur déjà accordé des prêts massifs de 1000 milliards d’euros en 2011 et 2012. Mais les banques avaient utilisés ces facilités pour racheter de la dette publique des États membres surendettés. Cette fois-ci, la BCE les versera exclusivement aux établissements qui prêtent à leur tour aux entreprises.

Devant le déploiement d’un tel dispositif, la question qui se pose est la suivante : cet assouplissement spectaculaire soutiendra-t-il l’économie réelle, en particulier dans les pays périphériques de la zone euro ?

On se permettra d’en douter. Tout d’abord, l’action désespérée de la BCE montre que la crise de l’euro n’est pas surmontée dans les faits, malgré les affirmations quotidiennes des responsables politiques. Ensuite, des mesures similaires prises auparavant par les banques centrales d’Angleterre et du Danemark n’ont pas donné de résultats probants. Ajoutons que les dégâts collatéraux pour les pays non-périphériques sont évidents. Avec un taux d’intérêt proche de 0%, ce sont les épargnants et les détenteurs d’assurance-vie qui payent l’addition, ainsi que les investisseurs sur les marchés d’obligations. Ces gens sont en quelque sorte « expropriées » par la politique monétaire de la BCE. La conséquence est que le taux d’épargne des ménages commence à baisser – il est actuellement de 9% en Allemagne. Les flux financiers sont détournés vers le secteur de l’immobilier et non vers le secteur productif de l’économie. L’augmentation des prix à la consommation reste donc modérée. Enfin, on voit qu’une baisse spéculative commence à apparaître. Ses ingrédients sont évidents : les prix de l’immobilier et les cours de Bourse montent sans arrêt (asset price inflation) et le rendement sur le marché obligataire chute. Cette bulle spéculative risque d’exploser tôt ou tard.

Le problème est qu’il est plus que douteux, selon nous, que l’impact monétaire permette de surmonter la tendance déflationniste et de relancer la croissance dans les pays périphériques de la zone euro. Les coupes sévères dans les dépenses publiques (de l’Etat et sociales) dans les pays qui ont subi la crise de plein fouet ont diminué le pouvoir d’achat et la consommation des ménages et augmenté leur endettement. C’est la contraction de la consommation et le désendettement qui sont à l’ordre du jour, quelques soit le taux d’intérêt que la BCE octroie. De même, le secteur manufacturier freine sa production vu la mollesse de la demande. Même après les douloureux efforts de modération salariale, les entreprises n’empruntent pas, même à des taux négatifs. D’autant qu’elles comptent pas mal de crédits encore non remboursés dans leurs bilans. La transmission monétaire sur l’économie réelle ne peut pas être reconstituée par les outils de la BCE.

En outre, les banques sont encore empêtrées dans les suites de la crise bancaire de 2008. Ce sont en particulier les non-performing loans des entreprises qui les empêchent de relancer le crédit. L’assainissement de leur bilan doit être leur priorité absolue, en augmentant leurs fonds propres et en réduisant leurs actifs douteux si elles veulent remplir les règles strictes de Bâle III et réussir le stress test de la BCE prévu pour cet automne. Le Credit crunch reste le principal problème, auquel les nouvelles dispositions prises par la BCE ne répondent guère. Plus important encore, la BCE risque de se retrouver dans une situation de conflit d’intérêt dangereux. En tant qu’institution européenne, bientôt responsable de la supervision bancaire dans la zone euro, elle doit en effet veiller à ce que les banques délivrent moins de crédits risqués et accumulent davantage de capital propre. Mais d’un autre côté, trop de liquidité permet la survie de nombreuses « banques zombie », qui constituent un risque majeur pour la stabilité financière de la zone euro.

Tous ces éléments nous amènent à faire le parallèle avec l’expérience du Japon pendant les vingt dernières années. Comme les Japonais en effet, les Européens ont vécu, avant le crack financier, au-dessus de leurs moyens et avec un recours abusif au surendettement. Par conséquent, une fois la crise venue, ils ont été obligés de restreindre leur consommation, de couper dans les dépenses publiques, de diminuer leurs dettes et de sauver le secteur bancaire au bord de la faillite. Au Japon, ni la politique monétaire ultra-expansionniste, ni l’explosion de la dette au niveau stratosphérique de 240% du PIB, n’ont permis de relancer la croissance. Mario Draghi s’engage sur la même voie et va même plus loin, avec des taux d’intérêt négatifs. Les chances de succès sont plus qu’incertaines.

Pour nous, la conclusion est claire. L’activisme monétaire ne peut pas résoudre les problèmes qui se posent aux responsables politiques et ne peut se substituer aux des réformes structurelles indispensables. A contrario, la politique de la BCE met en péril l’ajustement économique. La garantie prononcée par Mario Draghi de sauver l’euro « coûte que coûte » a divisé par deux les taux d’intérêts sur les marchés obligataires dans les pays surendettés et a affaibli la pression du marché en faveur de la poursuite de politiques de réformes. En conséquence de quoi on voit aujourd’hui la France et l’Italie, dont les gouvernements ont été récemment soutenus par les socio-démocrates allemands, demander l’assouplissement des règles budgétaires et un peu de relance de la croissance à nouveau par l’endettement public – tout cela au nom du dogme de l’intégrité de l’euro…