L’appel d’un entrepreneur à François Hollande

Charles Beigbeder, président de Gravitation Group et membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More

19 septembre 2014 • Opinion •


Monsieur le Président, j’ai écouté avec attention votre conférence de presse et aurais paradoxalement envie de vous souhaiter bonne chance. Pourtant, tout nous éloigne : attaché aux valeurs traditionnelles et enraciné dans l’héritage judéo-chrétien de notre civilisation, je m’oppose de toutes mes forces aux idéologies de la déconstruction, théorisées par Terra Nova et mises en œuvre par votre gouvernement depuis 2012, notamment avec le mariage pour Tous que vous avez mentionné comme un progrès.

Pour autant, je souhaite que vous réussissiez.

Non que je désire votre succès personnel, je pense que vous payez aujourd’hui pour les ambiguïtés de la gauche sur la question économique depuis les années 80, ambiguïté qui s’est cristallisé au cours de votre campagne présidentielle de 2012 où vous avez fustigé la finance lors du discours du Bourget pour ensuite nommer Manuel Valls à Matignon et Emmanuel Macron à Bercy.

Ni que je crois en votre politique, Manuel Valls et vous, n’avez pour l’instant, fait que brandir des mots: « pacte de responsabilité » / « j’aime l’entreprise », sans que cela ne se traduise concrètement dans les faits. Au contraire, en créant des attentes, vous avez entretenu un climat d’incertitudes nocif aux affaires.

Ni, enfin, que j’éprouve un sentiment de pitié pour les propos parfois cinglants qui vous ont été adressés par les médias, l’opposition, au sein même de votre propre majorité ou encore parmi vos proches. La gauche en effet, n’a pas été plus tendre avec l’ancien Président avant 2012.

Non, rien de tout cela ! Si je souhaite que Manuel Valls et vous réussissiez, c’est parce qu’en dépit de tout ce que l’on pourrait légitimement vous reprocher, vous êtes aujourd’hui à la tête de la France et l’on ne peut se résigner à voir notre pays ainsi décliner.

Certes, le gouvernement de Manuel Valls est fragilisé par un vote de confiance qui, pour la première fois depuis 1962, ne lui accorde qu’une majorité relative à l’Assemblée (269 voix sur 577, soit en-dessous du seuil de 289), même s’il a obtenu la majorité des suffrages exprimés.

Certes, il serait difficile pour moi de retenir un soupir de soulagement si l’on apprenait que la gauche, victime de ses contradictions et enfermée dans une idéologie surannée, doive renoncer à l’exercice du pouvoir, devant son incapacité à gérer le pays.

Certes, il serait légitime d’éprouver un sentiment de satisfaction si l’on voyait Manuel Valls mis en minorité par sa propre majorité et vous-même obligé de procéder à une humiliante dissolution qui amènerait la victoire de la droite.

Et pourtant, au fond, tout cela serait confondant et il n’y aurait pas lieu de s’en réjouir. Parce qu’un homme politique, fût-il de l’opposition, reste avant tout un patriote. Un homme politique, fût-il un adversaire tenace de la gauche, ne peut sacrifier le bien commun au profit de vues étroitement partisanes. Un homme politique, enfin, fût-il aussi éloigné que possible de l’idéologie libertaire, ne peut oublier que la gauche est en charge des intérêts de la France.

Le 18 juin 1815, devant le désastre de Waterloo et la retraite de la Garde impériale, Chateaubriand était partagé entre des sentiments de satisfaction personnelle et un désir de ne pas voir la France abaissée sur la scène internationale: «Si Napoléon l’emportait que devenait notre liberté? Bien qu’un succès de Napoléon m’ouvrit un exil éternel, la patrie l’emportait dans ce moment dans mon cœur ; mes vœux étaient pour l’oppresseur de la France, s’il devait, en sauvant notre honneur, nous arracher à la domination étrangère».

Il est donc urgent de prendre du recul. Qu’on le veuille ou qu’on le déplore, vous est toujours Président de la République et Manuel Valls reste votre Premier ministre. Si je combats avec détermination votre idéologie progressiste, je vous souhaite, non pour vous-mêmes mais pour la France, de mener à bien les réformes économiques et sociales indispensables à la survie de notre nation. S’il est impossible de vous faire confiance sur la question des valeurs, il faut espérer, que guidés par un sain pragmatisme et enfermés par nos engagements européens, vous puissiez, même imparfaitement, mettre la France sur la voie du redressement. Inutile à ce stade de multiplier les réformes en tous sens.

Puisque vous avez déclaré que «tous les concours sont les bienvenus, y compris les propositions de l’opposition», je vous livre ma modeste contribution pour créer de nouveaux emplois et faire revenir la croissance.

Vous avez parlé, pour vous en défendre, de ceux qui voudraient supprimer le CDI classique ; ce n’est pas ce que je vous propose. En revanche, à côté du CDI classique et des CDD, vous pourriez créer, pour les PME et TPE, un contrat de travail à durée indéterminé, doté d’indemnités de départ intégrés (CD3I), dans lequel seraient incorporées en annexe les indemnités de dommages et intérêts de départ, fixées selon un barème proportionnel à l’ancienneté.

Pourquoi un tel contrat ? Quand on interroge un entrepreneur à la tête d’une PME ou TPE, il vous répond qu’ils préfèrent ne pas embaucher, afin de ne pas risquer, en cas de conflit avec un salarié, un recours aux Prud’hommes qui peut s’avérer incertain, humiliant et coûteux.

Dans les grands groupes, il n’est pas indispensable d’instaurer un tel contrat car ces entreprises disposent de tous les moyens financiers et humains pour affronter la complexité des procédures prévues au code du travail. Mais tel n’est pas le cas des PME et TPE qui créent pourtant, aujourd’hui, la plupart des emplois dans notre pays.

C’est à ce prix qu’il pourrait être possible de réduire enfin le chômage avant 2017 !

Concernant les mesures progressistes à combattre (PMA, GPA, réforme pénale, etc…), il faut bien avoir à l’esprit que nous arrivons à la fin d’un cycle politique. La gauche fut autrefois anticléricale et épuisa son programme une fois la loi de séparation des Églises et de l’État votée. Elle fut ensuite socialiste et renonça à son idéologie en 1983, devant l’inéluctable tournant de la rigueur budgétaire. Elle est aujourd’hui progressiste car c’est la seule idéologie dont elle n’a pas encore épuisé le venin, lui permettant ainsi de se démarquer de la droite. Mais le jour viendra où la gauche, ayant déconstruit toutes les institutions sur lesquelles reposait l’ordre social, s’auto-détruira elle-même. Et ce jour n’est, à mon sens, pas si lointain. Place sera alors faite à une recomposition du champ politique et des clivages partisans. Ce sera le moment de faire entendre notre voix !