Référendum écossais · Une leçon de démocratie

Paul Goldschmidt, membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More, ancien directeur à la Commission européenne

19 septembre 2014 • Opinion •


Le premier et le plus important message résultant du vote écossais est la démonstration éclatante que des décisions fondamentales affectant la vie de millions de citoyens peuvent être prises de manière démocratique sans dégénérer dans la violence ou créer un clivage paralysant. Ce n’est pas un hasard si c’est à la Grande-Bretagne que nous devons ce rappel salutaire. Quant aux résultats du vote, ils doivent être décryptés selon deux grilles de lecture  principales : sur le plan britannique d’une part et sur le plan européen de l’autre.


Sur le plan intérieur, il apparaît dès l’annonce du résultat que le problème fondamental qui va se poser ne concerne pas la dévolution de nouveaux pouvoirs à l’Écosse, mais bien la réforme constitutionnelle qui doit réorganiser la structure même du Royaume-Uni sur un mode de type « fédéral ».

La dévolution des pouvoirs en passe d’être accordés aux écossais devra nécessairement trouver son équivalent au Pays de Galles, en Irlande du Nord mais avant tout en Angleterre. Cela appelle une réorganisation du fonctionnement du Parlement de Westminster avec de très sérieuses implications pour l’équilibre politique au sein du Royaume-Uni : structurellement l’Écosse est dominée par le parti travailliste qui envoie quelques 40 députés à Londres ; en revanche, les conservateurs écossais n’y envoient qu’un seul représentant alors qu’ils sont largement majoritaires en Angleterre, laquelle représente 80% du total des sièges au Parlement. Un pouvoir dévolu aux « entités fédérées » risque donc de figer pour longtemps les forces politiques en Angleterre et en Écosse.

Néanmoins, le processus est lancé et irrévocable. Il faut espérer, maintenant que le danger immédiat d’une implosion du Royaume-Uni est écarté, que la population fera preuve de la même maturité démocratique quand les conséquences d’une autonomie renforcée des parties constituantes de l’Union prendront effet.

Sur le plan européen, il y aura sans aucun doute un sentiment de grand soulagement, notamment dans certains pays – Espagne, Belgique, Italie – en proie à des revendications séparatistes, de ne pas avoir à affronter à chaud les questions que poseraient la scission d’un État membre, sujet ignoré par le Traité de l’Union. Ce serait cependant une erreur majeure de ne pas mettre à profit ce répit accordé par le vote écossais pour aborder le sujet en toute sérénité dès le début de la nouvelle législature.

Quelques principes pourraient former la base d’une procédure spécifique : par exemple, l’admission du « nouveau membre » (l’entité qui fait sécession) serait quasi automatique pour autant que la population du candidat le souhaite (sinon c’est la procédure de sortie de l’Union qui est de mise) et que le postulant accepte l’ensemble de l’acquis communautaire sans bénéficier de la moindre dérogation dont aurait, le cas échéant, bénéficié l’État membre dont il se sépare. L’adoption des modifications au Traité engendrés par la scission affectant les deux nouvelles entités (droits de vote au Conseil, nombre de députés au Parlement Européen, contributions au budget, etc.) pourrait faire l’objet d’une procédure simplifiée requérant une majorité qualifiée du Conseil et du Parlement européen pour éviter l’exercice d’un droit de véto intempestif.

Finalement, il convient d’analyser les conséquences réciproques engendrées par les réformes qui sont appelées à entrer en vigueur. Il semble en effet évident qu’il convient de régler dans le cadre des accords de dévolution à négocier en Grande-Bretagne le sort d’une entité fédérée dans le cas où elle serait mise en minorité lors d’un vote sur l’appartenance à l’UE. Loin d’être un cas de figure hypothétique, cette situation pourrait se produire dans le cadre du référendum promis par David Cameron en 2017, si le parti conservateur remporte les prochaines élections législatives. Le poids relatif des deux principaux partis mentionné ci-dessus rend la question d’autant plus pertinente. Il semble en effet inacceptable qu’un vote majoritaire en Angleterre pour quitter l’UE puisse s’imposer à une Écosse qui choisirait d’y rester. Cette question cruciale remet donc en question – dans ce cas spécifique – l’affirmation que le résultat du référendum est « définitif » quant à l’appartenance de l’Écosse au Royaume-Uni pour « au moins une génération » comme indiqué par les deux Premiers ministres dans leurs allocutions respectives reconnaissant la victoire incontestable du « Oui ».

Sur le plan européen, les dispositions complétant le Traité pour clarifier la situation juridique en cas de scission devraient prévoir qu’aucun membre ne peut « imposer » la perte du statut de « citoyen européen » à une minorité capable de rencontrer les conditions d’adhésion à l’Union en tant qu’État membre indépendant et qui en ferait la demande.

En conclusion, si le résultat de la consultation écossaise est sans appel, consacrant le maintien de l’Écosse au sein du Royaume-Uni, les conséquences constitutionnelles et juridiques qu’il engendre tant pour la Grande-Bretagne que pour l’Union européenne constituent un énorme défi. On peut en particulier espérer que la tendance « fédéraliste » que semble s’imposer au Royaume-Uni l’incite à adopter une position cohérente, plus compatible avec les aspirations d’un fédéralisme européen.