Lettre ouverte d’un entrepreneur à l’élève Arnaud Montebourg

Charles Beigbeder, président de Gravitation Group et membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More

4 novembre 2014 • Opinion •


Cher Arnaud Montebourg, ce n’est pas sans une certaine admiration teintée d’une surprise légèrement amusée que j’apprends que vous avez rejoint hier les bancs de l’INSEAD de Fontainebleau, pour suivre une formation continue en management.

Admiration, car loin de vous reposer sur vos lauriers d’ancien ministre, vous désirez parfaire votre connaissance du monde de l’entreprise, afin de créer une société d’imagerie médicale. Je ne peux que vous encourager dans ce projet entrepreneurial qui concerne un secteur ô combien innovant, ouvert à la recherche et dont les retombées bénéficieront sûrement à la santé de l’ensemble de nos concitoyens.

Amusement, car cette formation de quatre semaines, est destinée, selon la présentation qu’en fait le site de l’école, à aider les « cadres expérimentés » à devenir de « grands dirigeants ». Or, il me semblait que vous étiez déjà un « grand dirigeant » depuis votre nomination au ministère du redressement productif le 16 mai 2012, et plus encore, depuis celle qui vous a porté à la tête du ministère de l’économie, le 2 avril 2014.

« J’ai décidé de reprendre des cours parce que diriger une boîte est un vrai métier, je m’en suis rendu compte ces deux dernières années », avez-vous expliqué au journal <em>Le Monde</em>. Ce cruel aveu de sincérité de la part d’un ancien ministre ayant occupé les portefeuilles de l’industrie puis de l’économie, en dit long sur la méconnaissance du monde de l’entreprise de la part du personnel politique, et plus particulièrement, de ce gouvernement où aucun ministre, à l’exception d’Emmanuel Macron, ne peut se targuer d’avoir une réelle expérience du secteur privé (Les expériences de Bernard Cazeneuve à la Banque populaire ou de Fleur Pellerin au cabinet Tilder sont trop brèves pour être réellement significatives).

Méconnaissance qui explique malheureusement bien des décisions hâtives et maladroites, ainsi qu’un réel décalage du gouvernement par rapport aux attentes du monde de l’entreprise. Si vous n’êtes pas, loin de là, la seule personnalité sur laquelle se cristallise le malaise des entrepreneurs, votre défense courageuse du « made-in-France » ne peut faire oublier la maladresse de vos propos à l’endroit de certains patrons ni l’archaïsme de votre politique reposant avant tout sur l’omnipotence de l’Etat.

Maladroits et déplacés sont les propos tenus à l’encontre de Lakshmi Mittal que vous avez poursuivi de votre vindicte alors qu’il vous expliquait que la baisse de 30% de la demande de l’acier en Europe l’obligeait à fermer les hauts-fourneaux de Florange, en l’absence de repreneurs crédibles. S’écrier « Nous ne voulons plus de Mittal en France » alors que le groupe emploie 20 000 salariés dans notre pays, est au mieux irresponsable, au pire suicidaire. De même, brandir l’arme de la nationalisation, ne serait-ce qu’à titre transitoire, est un très mauvais signal envoyé aux investisseurs étrangers, qui porte atteinte à notre attractivité économique.

Par ailleurs, accuser le groupe Peugeot de « mensonges » et de « dissimulations » concernant l’annonce de son plan social, alors qu’il devait faire face à une situation extrêmement tendue qui a vu le marché européen de l’automobile s’effondrer de 25% en cinq ans, revient à ignorer les contraintes des entreprises et leur besoin de correspondre en permanence aux exigences de la compétition mondiale : « Nous sommes dans l’obligation de nous adapter, nous ne pouvons pas rester sans rien faire », rappelait alors Thierry Peugeot au <em>Figaro</em>.

D’une manière générale, il me semble que vous attachez une importance trop grande au rôle de l’Etat dans la vie de l’entreprise. Je ne nie pas les bienfaits d’une régulation étatique en cas de crise ou pour éviter les abus du capitalisme sauvage. Seulement, je pars du principe que le dirigisme français, vestige d’un État colbertiste, empêche la libre concurrence des entreprises entre elles et la saine émulation qui en résulte. De quelle légitimité dispose un État pour intervenir de manière intempestive comme vous l’avez fait il y a six mois dans le dossier Alstom ? Hormis les impératifs de protection de notre souveraineté énergétique, était-il nécessaire de vouloir constituer vous-même un tandem avec l’allemand Siemens et le japonais Mitsubishi, alors que l’offre de GE était déjà acquise aux yeux du conseil d’administration d’Alstom ? L’époque du Commissariat général au plan, très utile en période de reconstruction, pour encadrer la croissance des Trente Glorieuses, est désormais révolue, il vous faut en tirer toutes les conséquences.

La libre concurrence postule qu’une entreprise doive s’adapter en permanence à son environnement pour se frayer un chemin dans le marché mondial. Comme une plante qui grandit en milieu hostile, elle se développe si elle parvient à rester compétitive mais meurt si elle ne sait se moderniser. Il est inutile de demander aux pouvoirs publics de porter à bouts de bras des entreprises qui n’ont su faire la preuve de leur adaptabilité au marché mondial. Le meilleur service que l’on puisse rendre aux entreprises, c’est de leur laisser une marge d’initiative suffisante pour se développer, sans les asphyxier de taxes qui érodent leur compétitivité et sans les soumettre à des règles en permanence évolutives qui les empêchent d’investir. Enfin, dans le contexte actuel, l’action de l’État doit être avant tout fondée sur une politique de l’offre qui soutienne l’initiative et l’entrepreneuriat, et donc la création d’emplois dans le secteur privé. C’est probablement cela que vous apprendrez à l’INSEAD, qui est, de l’avis de beaucoup, la meilleure <em>business school</em> au monde, et cela vous permettra, j’en suis sûr, de devenir un « grand dirigeant » !