La CDU et le PS sont-ils en train de venir à bout de 50 ans d’axe franco-allemand pour de tristes raisons de cuisine interne ?

Interview de Jakob Höber, chercheur associé à l’Institut Thomas More

9 décembre 2014 • Entretien •


Jean-Luc Mélenchon n’a pas mâché ses mots à la suite d’une interview accordée par la chancelière allemande au quotidien conservateur Die Welt, dans laquelle elle déclare que « la Commission européenne a souligné que ce que la France et l’Italie ont mis sur la table est insuffisant. Je suis d’accord avec ça ». « Fermez-la, Madame Merkel, la France est libre. Occupez-vous de vos pauvres et de vos équipements en ruine », a tweeté l’ancien leader du Front de Gauche. La polémique a au moins eu le mérite de nous en apprendre davantage sur le caractère particulièrement friable du couple France-Allemagne, pourtant censé être le moteur de l’Union européenne. Et si les deux pays demeurent extrêmement liés, les dérapages incontrôlés de la part des politiques pourraient bien aboutir à une confrontation directe et lourde de conséquences


Au travers de leurs déclarations, Angela Merkel et Jean-Luc Mélenchon étaient sûrs de rencontrer un écho favorable au sein de leurs bases électorales respectives. L’axe franco-allemand est-il mis en péril par des considérations électoralistes observables des deux côtés du Rhin ?

Angela Merkel a en effet déclaré que « la Commission européenne a souligné que ce que la France et l’Italie ont mis sur la table est insuffisant. Je suis d’accord avec ça ». Il est étonnant que cette phrase fasse autant de bruit. Mais la pression sur les deux partis est assez grande, notamment en ce qui concerne l’essor des partis ayant un discours anti-européen – le FN en France et Alternative für Deutschland (AfD) en Allemagne. Bien que la situation ne soit pas la même pour les deux responsables politique : Angela Merkel a une majorité confortable à la tête de son pays ; en revanche, Jean-Luc Mélenchon et son parti n’ont pas su profiter de la faible popularité du PS.

Mais les différences d’opinion – mais aussi d’intérêts – concernant la possible sortie de crise ne mettent pas en péril la coopération entre les deux pays. Au niveau institutionnel, des liens ont été créé pendant les dernières cinquante années. Dans les ambassades, entre les ministères et dans le monde culturel, des échanges continuent et souvent le personnel travaille depuis de longues années avec leurs homologues respectifs. Cette coopération supportera même une mésentente telle que celle qu’on constate aujourd’hui au niveau des exécutifs entre François Hollande et Angela Merkel. Si les dirigeants ne sont pas toujours d’accord, l’administration a conscience de la nécessité de coopérer et de trouver des terrains d’entente.

Cependant, rien n’est irréversible. L’amitié franco-allemande paraissait être une chose impossible après-guerre, mais des choix politiques et les efforts de la société civile ont prouvé le contraire. Alors bien sûr, aujourd’hui, la persistance des différends et des divergences entre les gouvernements à long terme pourrait éroder cette coopération institutionnelle. De fait, la dénonciation du voisin qui a lieu des deux côtés du Rhin, a contribué à créer une image négative de l’autre. Cela est renforcé par le jeu de certains politiques qui n’y vont pas de main morte pour plaire et flatter leur électorat, en critiquant Paris ou Berlin de façon parfois irresponsable…

Voyant la polémique enfler, Angela Merkel a pris soin dans la journée de lundi 8 décembre de faire savoir qu’elle soutenait le plan d’économies de la France. Sous la pression d’une base électorale partisane de l’austérité sur le plan économique, et qui juge sévèrement le cas français, le jeu d’équilibriste auquel se livre la Chancelière est-il tenable ? Ne risque-t-elle pas de se retrouver condamnée à adopter une posture ouvertement critique vis-à-vis de la France ?

A ce moment, le dossier français n’occupe pas une grande place dans l’actualité allemande. Ceci se reflète dans l’agenda du congrès de la CDU où c’est la question fiscale qui sera au cœur du débat et non les affaires européennes. Par ailleurs, le passage cité par Mélenchon ne prenait pas beaucoup de place dans l’interview de la Chancelière qui était surtout axé sur la question de la relation avec la Russie et celle du Traité de Libre-Echange avec les États-Unis.

Cela ne veut pas dire pour autant que la Chancelière n’aurait pas de mal à contrôler ses troupe en cas de retour d’une crise ouverte de l’euro. Un certain nombre de députés de son parti sont clairement menacés par l’essor de l’AfD, et le parti-frère de la CSU en Bavière, la CDU, conserve avec son discours anti-européen. Pour l’instant, l’AfD ne performe pas tant que ça et sa popularité a souffert depuis les élections européennes. Beaucoup dépendra des élections à Hamburg à la mi-février à l’issue desquelles l’Afd pourrait faire son entrée dans un parlement en Allemagne de l’Ouest. En clair, si l’AfD commence à réaliser à l’Ouest les mêmes bons résultats qu’il obtient pour l’instant dans les Länder de l’ancienne RDA, alors on pourra s’attendre à un durcissement de la politique d’Angela Merkel.

Le ministre des finances Michel Sapin a qualifié le message de Jean-Luc Mélenchon de « grossier, injurieux et imbécile ». Mais face à la grogne de la gauche de la gauche et des « frondeurs » de son propre parti, le gouvernement est-il en mesure de contenir ses troupes ? A sa manière, le PS est-il lui aussi en train de menacer la pérennité de l’axe franco-allemand, et ce pour des raisons d’absence de cohésion ?

Michel Sapin et Angela Merkel sont parfaitement conscients des difficultés auxquelles ils sont confrontés dans leur parti respectif. On peut regretter qu’un discours anti- allemand et anti-français gagne parmi les militants et, plus largement, dans la population. Au final, les gouvernements savent qu’ils ont besoin l’un de l’autre, que ce soit pour la stabilité de l’Europe ou bien pour avoir un poids politique et économique dans la construction d’un monde qui change rapidement.

Cependant la mésentente empêche une avancée plus rapide sur certains dossiers importants, comme une harmonisation de la fiscalité ou un plan d’investissement cohérent pour toute l’Union européenne. Or, l’avenir des deux pays et du continent dépend directement de la capacité de la France et de l’Allemagne à travailler ensemble.

L’Allemagne et la France ne peuvent « se passer l’une de l’autre », entend-on souvent dans la bouche de nos politiques. Après 50 ans de construction communautaire, quelles seraient les conséquences d’une rupture officieuse entre les deux pays moteurs de l’UE ?

Le résultat serait la stagnation de l’intégration européenne – dans un temps où la maison est à moitié construite. Les conséquences ne se feraient sans doute pas sentir à court terme, grâce aux liens établis entre les deux pays. Néanmoins, il serait difficile de continuer le projet européen sans au moins un accord entre les deux nations-moteurs. Cette stagnation ne permettrait pas de résoudre les problèmes sous-jacents de l’UE : chômage des jeunes, sous- investissement dans certaines régions, concurrence entre les pays concernant de la taxation des entreprises, un marché d’énergie toujours trop régionalisé, etc. la liste est encore longue !

Spéculer sur les conséquences d’un éclatement de la zone euro est vain. On ne peut que prédire qu’elles ne seront pas bonnes : fuite des capitaux, effondrement de l’investissement et de la consommation, augmentation du chômage en flèche, etc. Ayant conscience de ces scénarios, les gouvernements savent encore résister à la tentation d’une confrontation directe – malgré les désaccords qui peuvent exister. D’ailleurs ceux-ci sont légitimes et font partie du jeu politique : on peut parfaitement avoir un débat (même musclé) entre deux pays qui savent aussi qu’ils ne peuvent se passer l’un de l’autre.