Halte au laxisme de la BCE et de la France

Wolfgang Glomb, ancien directeur des Affaires européennes au ministère des Finances allemand et membre du Conseil d’orientation de l’Institut Thomas More

La Tribune

19 décembre 2014 • Opinion •


Les finances publiques françaises ne sont pas loin de celles de la Grèce, si l’on considère le solde budgétaire primaire. La France doit se réformer, tandis que la BCE doit mettre fin à son laxisme, qui enlève toute pression sur les États déficitaires.


En tant qu’économiste libéral, on est stupéfié de la politique économique et monétaire que les autorités nationales de la zone euro et la BCE poursuivent depuis des années, une politique qui s’oppose, par un raisonnement a contrario, à toute expertise économique et de l’évidence empirique. Ce n’est plus le bon sens économique qui prévoit mais l’opportunité politique. On court le risque qu’un scénario « à la japonaise » plane désormais sur la zone euro qui glisse vers la récession.

Commençons avec les problèmes centraux, la stagnation économique et la montée du chômage. Les moteurs de la croissance sont en panne dans la majorité des pays de le zone euro. Même l’Allemagne, la locomotive économique traditionnelle pour l’UE, commence à frôler la récession due aux erreurs politiques de la grande coalition en introduisant le salaire minimum et la retraite à 63 ans comme constaté récemment par le fameux Comité des sages dans leur dernier rapport.

C’est en particulier en France que l’on réclame une relance budgétaire en accusant l’Allemagne de son « austérité »idéologique ignorant entièrement sa propre situation préoccupante. En France on a toujours sousestimé l’intelligence des contribuables. Ils savent que les dettes d’aujourd’hui sont les impôts de demain. Or, les ménages et les entreprises s’attendent à une baisse des revenus nets, et diminuent déjà aujourd’hui leurs dépenses de consommation et d’investissements et vice versa. Le rétablissement de l’équilibre budgétaire est donc une condition indispensable pour une croissance durable. La devise ne peut être que « croissance par consolidation budgétaire » au lieu de « croissance par endettement ». Cette politique doit être accompagnée par des réformes structurelles, en particulier par une dérégulation du marché de travail, notamment en France, où il faut une croissance économique de 1,5% pour une croissance nette de l’emploi.

Les preuves empiriques sont frappantes. La politique de déficit budgétaire au Japon depuis vingt ans a fait exploser la dette publique à un niveau stratosphérique de 240% du PIB sans avoir évité une stagnation économique permanente tandis qu’en Allemagne le redressement des finances publiques a généré un budget équilibré et une croissance économique supérieure par rapport à celle de tous les Etats surendettés.

De même, les parallèles entre la politique monétaire de la BCE et la politique des Abenomics sont frappantes. L’impact de la politique ultra-expansionniste de la BCE sur la croissance a été un coup d’épée dans l’eau comme le « tsunami » de liquidité au Japon. On s’attend maintenant à ce que Mario Draghi sorte la grosse « Bertha » en lançant un programme de rachats d’emprunts d’Etat sur le marché secondaire pour baisser d’avantage les taux d’intérêts à long terme. L’échec est programmé. Dans la zone euro, le financement des investissements se fait surtout par les banques, une structure différente de celle du Japon et des États-Unis où les entreprises se financent souvent directement sur le marché. Par contre, les banques dans la zone euro tiennent toujours à réduire le montant de leurs crédits au secteur manufacturier. Ce sont en particulier les « non performing loans » des entreprises qui les empêchent de relancer le crédit, un montant de 980 milliards d’euros selon la BCE.

Mario Draghi répète comme un moulin à prière que la politique monétaire ne peut pas remplacer les réformes indispensables des gouvernements. En même temps, sa politique met en péril l’ajustement économique. Sa garantie de sauver l’euro « coûte que coûte » a déjà divisé par deux les taux d’intérêts sur les marchés obligataires et a affaibli la pression du marché sur les gouvernements de poursuivre leur politique de réformes – la France emprunte à 10 ans avec des taux inférieurs à 1% pour la première fois le 28 novembre 2014. En italien, on dirait « Avanti dilettanti ».

La conclusion est claire et simple. Sans application stricte du pacte de stabilité, sans redressement du secteur public et sans dérégulation du marché du travail pour achever une dévaluation interne on risque le même destin que celui du Japon, c’est-à-dire une génération perdue. La loi Macron est un premier pas dans un cercle vertueux. Par contre, il est douteux que le nouveau plan d’investissement du Président Juncker avec un budget européen de 21 milliards d’euros puisse déclencher plus de 300 milliards d’euros d’investissements du secteur privé. Ce ne sera pas la première fois qu’un programme conjoncturel de la Communauté échoue. L’économie n’est pas comme un moteur électrique où il suffit de pousser sur le bouton vert pour le faire démarrer et accélérer. Le Colbertisme, l’idée d’une économie dirigée par l’État, a trouvé son fin. Il est vrai, que le pouvoir politique peut dominer pour un certain temps, mais en fin de compte c’est la loi économique qui prévaut.