Face au terrorisme · Force et lucidité

Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l’Institut Thomas More

14 janvier 2015 • Opinion •


Après le temps de la stupeur et de la peine, après le temps de l’hommage doivent venir le temps de la réflexion puis le temps de l’action. L’émotion manifestée par des millions de Français et à travers le monde ces derniers jours, assurément sincère et légitime, ne suffit pas. Elle ne fait pas une politique. Il est de la responsabilité des dirigeants français, présents et à venir, de mesurer ce que l’épisode terroriste qui vient de meurtrir la France révèle de nos échecs et de nos faiblesses et de chercher les moyens d’y répondre. Depuis ce tragique 7 janvier, c’est la machine à garantir nos libertés et à fabriquer notre identité qui est atteinte. Force et lucidité s’imposent…


La politique de la force qu’il convient d’opposer à la barbarie impose une réévaluation sans fard de notre politique sécuritaire et carcérale. Nombre de spécialistes le disent : il est urgent de donner les moyens juridiques, financiers et humains à nos services de surveillance et de renseignement. Si les équipes d’intervention ont fait la preuve éclatante de leur excellence, leurs collègues qui agissent en amont doivent voir leurs missions réaffirmées et leurs capacités renforcées. De même est-il impératif de revoir urgemment nos outils pénaux et judiciaires : les lois anti-terroristes se sont empilées ces dernières années, il faut revoir leur cohérence d’ensemble. Enfin, il est temps de s’attaquer au problème du prosélytisme et du recrutement dans nos prisons et de donner les moyens d’une politique carcérale enfin efficace. Tout cela est indispensable et constitue le socle d’une politique de la force enfin assumée.

Mais tout cela n’y suffira pas « si les gouvernants ne saisissent pas ce drame national pour revoir de fond en comble leur politique d’immigration, d’intégration, d’éducation », comme le dit le philosophe tunisien Mezri Haddad (1). Car au-delà des cas spécifiques de ces trois assassins, nous savons que ce sont des milliers de jeunes Français, issus de l’immigration ou pas, qui ont ou qui sont en train de basculer dans la fascination pour le djihadisme et la violence meurtrière. Ce que nous venons de vivre, nous le revivrons. Le parcours de ces « paumés » devenus terroristes est connu et presque toujours le même : famille éclatée, échec scolaire, désocialisation, absence de perspectives, délinquance, prison, endoctrinement (seul ou par un tiers). Tous ne passent pas à l’acte mais tous constituent des bombes à retardement. Et tous constituent les signes douloureusement visibles de l’échec des politiques d’immigration et d’intégration, des politiques sociales, des politiques éducatives conduites par les majorités successives depuis plusieurs décennies. Politiques sociales qui fonctionnent comme des pompes aspirantes pour « toute la misère du monde », incapacité de l’école à éduquer ces jeunes, à leur faire connaître et aimer notre histoire (le refus de la minute de silence et l’antisémitisme désormais fièrement affiché par certains élèves par certains élèves dans un certain nombre d’établissements en dit long…) et notre culture, à les former et leur donner un travail : sans une révision drastique de tous ces « totems et tabous », qui dominent la politique française depuis longtemps, on ne supprimera pas les mèches que l’étincelle du fondamentalisme cherche à allumer. Le danger terroriste ne se résume naturellement pas à ces questions sociales mais il y fait son lit.

Lucidité ensuite : s’il n’est pas question de réduire l’islam à l’islamisme et de faire peser le soupçon sur tous les musulmans, il n’est plus possible non plus d’entendre les responsables de la deuxième religion de France répéter que « ces gens n’ont rien à voir avec l’islam ».. Ces jeunes sont les enfants perdus et dévoyés de l’islam. Mezri Haddad encore : « Plutôt que de ressasser « pas d’amalgames », mettre des mots sur les maux, c’est reconnaître que les terroristes qui ont commis cet abominable crime sont des musulmans. Mais leur islam n’est pas mon islam, ni celui des 5 millions de Français paisibles, ni celui des 1,7 milliards de coreligionnaires dans le monde. Leur islam génétiquement modifié est celui des Talibans, d’Al-Qaïda et de Daech » (2). Cette pénible réalité oblige les musulmans et leurs autorités, comme « noblesse oblige ». Ils doivent à la France et à leurs compatriotes de se porter au premier rang du combat contre le terrorisme : en structurant enfin l’islam en France, en mettant en place des outils de repérage des jeunes en cours de radicalisation, en faisant le ménage parmi les imams radicaux, en surveillant les financements des mosquées et de certaines œuvres caritatives ou sociales.

Lucidité encore : enfants dévoyés de l’islam, ces jeunes sont aussi les enfants perdus de la République et de ses valeurs qui ne prennent plus parce qu’elles tournent à vide. Si elle n’est pas morte, comme l’affirme Michel Houellebecq (3), la République est à tout le moins mal en point. Laïcité tournée en laïcisme militant, égalité muée en égalitarisme, relativisme érigé en morale commune : on paye ici des décennies de « déconstruction », de critique systématique, d’autodénigrement, de repentance, mais aussi d’arrogance, d’ignorance satisfaite, de ricanement devant tout ce qui fait la culture et la tradition. Comment intégrer de nouveaux arrivants dans une nation déjà si largement déracinée ? L’incantation des « valeurs républicaines » n’y suffira pas. Il y faudra, sans rodomontade mais sans honte, la réaffirmation de la culture et des manières de vivre qui fondent et font l’identité française. Puisqu’« il n’y a pas d’unité sans transcendance », comme l’a rappelé Régis Debray (4), il y faudra plus que de la politique : du symbolique, du sensible, voire du spirituel.

Notes

(1) Mezri Haddad, Terrorisme islamiste : cette guerre qui commence était hélas prévisible !, FigaroVox, 9 janvier 2015.

(2) Ibid.

(3) L’Obs, 6 janvier 2015.

(4) Europe 1, 10 janvier 2015.