Réforme territoriale · La loi NOTRe sur les compétences des collectivités est mal partie !

Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l’Institut Thomas More et Stanislas Boutmy, directeur général de Public Evaluation System

27 janvier 2015 • Analyse •


Après un mois de débat, le projet de loi NOTRe, déjà peu ambitieux et largement vidé de son contenu, est soumis au vote du Sénat ce mardi 27 janvier. Entre idées reçues et sujets tabous, on sait d’ores et déjà que le « big bang territorial » annoncé n’aura pas lieu. Dans sa Note de Benchmarking Réforme territoriale. Analyse comparative des réformes conduites dans 9 pays européens, réalisée en partenariat avec Public Evaluation System, l’Institut Thomas More avait pourtant identifié, grâce à la démarche comparative, les pistes d’une réforme territoriale réussie… Le 23 janvier dernier, le Sénat terminait l’examen en première lecture de l’ensemble des articles et amendements du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe).


Engagée depuis le 16 décembre, la discussion avait repris le 13 janvier et le vote de la chambre haute intervient ce mardi 27 janvier. Alors qu’à l’Assemblée nationale, la priorité est donnée à l’examen du projet de loi Macron, la dynamique et la lisibilité de la réforme territoriale, pourtant présentée par l’exécutif comme un projet majeur du quinquennat de François Hollande, s’amenuisent dangereusement… A l’aune des débats conduits au Sénat ces dernières semaines, cinq inquiétudes majeures pèsent sur l’issue et l’ambition de cette réforme.

Les idées reçues qui encombrent le débat ont décidément la vie dure

À défaut d’avoir été traitée et débattue de manière concomitante, la question du « contenant », à savoir celle de la carte des treize nouvelles régions, a pris le dessus sur la question pourtant primordiale du « contenu », c’est-à-dire des compétences. Or, au vu des expériences européennes étudiées par l’Institut Thomas More et Public Evaluation System, ni la suppression d’un échelon, ni l’agrandissement de la taille des régions ne constituent des préalables pertinents à une réforme réussie. Pire, alors qu’elle est présentée comme une source d’économies potentielles, la réforme institutionnelle qui se dessine sera génératrice de nombreux surcoûts (1) auxquels il sera difficile de faire face en période de disette budgétaire.

Il n’y aura pas de « bing bang territorial », comme en attestent les travaux de la Commission des lois du Sénat et les débats en séance publique

En revenant sur la plupart des transferts de compétences prévus dans le projet de loi (transfert de la gestion des collèges, des transports scolaires, de la voirie départementale et des ports des départements aux régions), en réintroduisant la notion « d’intérêt communautaire » pour le partage des compétences entre communes et EPCI – qui contribue largement à l’enchevêtrement des compétences – et en maintenant la possibilité d’intervention de chaque niveau de collectivité en matière de culture, de sport et de tourisme, les sénateurs défendent avant tout le statu quo. Or, comme le soulignent deux responsables allemands auditionnés par le Sénat (2), l’enjeu de la réforme territoriale en France réside bel et bien dans la répartition des compétences entre l’État les différents échelons territoriaux afin de savoir (enfin !) « qui est compétent pour quoi ». A défaut d’avoir la volonté et le courage d’améliorer la répartition des compétences entre collectivités, il faut à tout le moins rappeler que la mise en œuvre du principe constitutionnel de subsidiarité se confronte à celui d’autonomie des collectivités et nécessite une coopération renforcée, voire une certaine hiérarchisation entre échelons.

Revirements multiples autour du rôle renforcé des régions en matière économique

Parmi les dispositions du projet de loi, celles relatives au rôle renforcé des régions en matière de développement économique faisaient consensus… ou presque. En effet, il est à craindre que l’adoption de l’amendement n°1021 rect. Bis, reconnaissant le bien-fondé des interventions économiques des autres collectivités au titre de leur compétence générale, ait pour effet de compromettre l’exclusivité des interventions économiques au profit des régions, notamment pour la définition des régimes d’aides aux entreprises et des conditions de leur octroi. De plus, une des conditions pour que les régions puissent asseoir leur compétence renforcée en matière de développement économique réside dans leur capacité à exercer un pouvoir normatif élargi tout en ayant avoir recours à l’expérimentation, notamment pour développer les projets de coopération transfrontalière. En l’espèce, il est à espérer que l’amendement au projet de loi permettant aux régions d’adopter des mesures d’adaptation législatives ou réglementaires en vue de répondre à des configurations géographiques ou territoriales particulières soit définitivement adopté (cf. amendement n°1000).

La réforme des collectivités locales ne peut se passer d’une réforme de l’État

Dans un contexte financier de plus en plus difficile pour l’État comme pour les collectivités, la redéfinition des périmètres d’intervention de chaque échelon territorial est plus que jamais une priorité. Il est donc nécessaire d’achever le processus de décentralisation en transférant les moyens d’intervention de l’État aux collectivités dans un certain nombre de domaines. L’Institut Thomas More et Public Evaluation System ont montré que cela était possible et souhaitable dans des champs aussi divers que le développement économique, la culture ou l’éducation (3). Dans cette perspective, il est souhaitable que les premiers retours de concertations entreprises dans les territoires autour de la revue des missions de l’État, menée sous l’autorité de Thierry Mandon, alimentent le débat parlementaire sur le projet de loi NOTRe.

Alors que les collectivités sont contraintes de participer au redressement des comptes publics et s’apprêtent à faire face à une baisse drastique de leurs dotations au cours des trois prochaines années, la question des finances des collectivités est tout simplement absente des débats

La réorganisation du panier de recettes des collectivités semble suspendue aux transferts de compétences qui seront (ou non) opérés. Et pourtant, la rigidité croissante des budgets locaux montre que c’est bien de la soutenabilité du système financier local dont il est urgent de se préoccuper. Loin d’être une exception française, la question de l’équilibre financier des collectivités et des modalités de répartition des ressources, notamment fiscales, est débattue chez nombre de nos voisins européens et par tous les experts (4). Et cela semble bien normal ! Il apparaît donc inconcevable cette question évidemment majeure ne soit pas au centre des débats sur le projet de loi NOTRe…

Notes •

(1) Auditions de Robert Hertzog, Professeur de droit public à l’Université de Strasbourg et d’Hervé Le Bras, Directeur d’étude à l’EHESS, Table ronde d’universitaires spécialisés dans l’approche comparative des organisations territoriales au sein de l’Union européenne, Sénat, 27 novembre 2014.

(2) Auditions d’Annegret Kramp Karrenbauer, Ministre-Président du Land de Sarre, et de Peter Friedrich, Ministre du Land de Bade Wurtemberg, chargé du Bundesrat, des affaires européennes et internationales, Table ronde intitulée « Regards croisés franco-allemands sur l’organisation territoriale », Sénat, 25 novembre 2014.

(3) Sur ce dernier aspect, voir aussi Institut Thomas More-Comité Sully pour la réforme de l’État, Baisse de la dépense et réforme de l’État : pour une régionalisation de l’Éducation nationale, LesEchos.fr, 1er décembre 2014.

(4) Auditions d’Annegret Kramp Karrenbauer et de Peter Friedrich, Sénat, 27 novembre 2014 et table ronde d’universitaires spécialisés dans l’approche comparative des organisations territoriales au sein de l’Union européenne, Sénat, 25 novembre 2014.