4 février 2015 • Entretien •
Ancien ministre de la Défense de Jacques Chirac (1995-1997), Charles Millon est à l’origine de la suppression du service militaire qui fut entérinée ensuite par la gauche. Il évoque le débat autour de la création d’un nouveau service national, demandé par des élus de gauche comme de droite et qui devrait être évoqué par François Hollande jeudi, lors de sa conférence de presse.
Souhaitez-vous le retour d’un service national en France ?
Si l’objectif est d’aider à l’éducation des jeunes Français – qu’ils soient d’origine immigrée ou non –, cela doit se passer davantage dans les familles, dans les mouvements d’éducation populaire ou dans les écoles plutôt qu’à travers un service qui serait à reconstituer. L’Education nationale, en racontant l’histoire de France, doit déjà permettre de renforcer les liens entre les Français et leur pays. Cela me paraît plus sage que d’inventer un système qu’on n’arrivera pas à mettre en œuvre.
Faut-il redonner à cet engagement un caractère militaire ?
Ce service ne peut pas être militaire. Cela me parait difficile à mettre en œuvre, sinon impossible. Et il n’y a plus aucun pays au monde, en dehors de ceux en situation de guerre ou qui ont des régimes totalitaires, qui aient encore un service militaire.
Certains nostalgiques peuvent regretter le brassage social que permettait le service militaire…
Ceux qui disent cela ne connaissent pas le problème. Quand on a supprimé le service militaire, 15% des appelés issus du bas de l’échelle sociale étaient déjà exemptés parce qu’ils ne parlaient pas suffisamment bien français et n’avaient pas de formation suffisante. Les 15% de l’échelle du haut étaient peu inquiétés car ils pouvaient obtenir des postes importants dans l’armée. Donc le brassage… Je dis cela d’autant plus qu’à l’époque où j’ai été nommé ministre de la Défense, j’étais très favorable à la conscription. Mais après trois mois de travail, on a constaté que le service militaire coûtait extrêmement cher et qu’il faisait obstacle à la mise en œuvre d’une armée professionnelle.
Cette réforme a-t-elle été difficile à mener ?
Non. Mais on aurait voulu mettre en place une plus grande réserve militaire, de plusieurs centaines de milliers de personnes, comme aux Etats-Unis. On aurait également espéré qu’un service civique puisse se développer parallèlement mais avec le changement de gouvernement en 1997, cela n’a pas été possible.
Faut-il néanmoins aller plus loin que le service civique en place depuis 2010 ?
Le service civique peut avoir des formes extrêmement multiples. Il y a des dizaines, des centaines, des milliers d’initiatives qui peuvent être prises. On peut nettoyer les forêts ou réhabiliter des vieux bâtiments. Certains préfèreront rester dans leur village, d’autres aller à l’étranger. Que l’Etat permette aux jeunes de poursuivre un idéal et que la collectivité publique créée les conditions pour porter cela me paraitrait plus intelligent.
Doit-on rendre ce service obligatoire ?
C’est impossible ! S’il était obligatoire, quelles seraient les sanctions infligées à ceux qui ne le font pas ? Allons-nous les mettre en prison ? Ce serait aberrant. Même les différents responsables associatifs ne voudraient pas de jeunes qui viennent travailler contre leur gré.
Faut-il indemniser ce service ?
Il faut voir cela au cas par cas. Certains voudront être indemnisés pour préparer la suite de leurs études, d’autres préfèreront vivre la pure aventure et ne rechercheront pas forcément une rémunération. La France a la maladie de vouloir toujours instaurer quelque chose d’unique, uniformisé à tous et qui s’avérera en fait inadapté à 95% des personnes.