Migrants · Il faut traiter le problème à la source

Charles Millon, ancien ministre de la Défense, administrateur de l’Institut Thomas More

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26 mai 2015 • Opinion •


Ce n’est qu’en s’attaquant aux causes réelles du flux migratoire dans les pays pourvoyeurs, misère, terrorisme islamique et instabilité politique, qu’on pourra espérer le tarir.


Nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde. Évidemment. Personne n’a la capacité de le faire. S’il est parfois bon de rappeler des évidences, cette lapalissade-ci emprisonne toute réflexion et tout débat sur le drame de l’immigration clandestine depuis des années. Des généreux d’un bien qui ne leur appartient pas aux hâbleurs tartufes, nos gouvernants surfent sur le sujet, se gardant bien de sortir de cette ligne garante de leurs étiquettes idéologiques périmées. Ce problème ne peut être posé en ces termes et encore moins résolu d’un claquement de doigts. Ces naufrages nous révoltent tous, mais ces embarcations funèbres ne sont pas les premières et risquent de ne pas disparaître de l’actualité si l’on dédaigne de s’attarder sur les racines de cette tragédie.

Le problème de la sécurité en Méditerranée, avec ses deux rives religieusement opposées, n’est pas neuf. Il est même très ancien. La colonisation de l’Algérie par la France a commencé, en 1830, comme cela, pour détruire enfin la piraterie qui infestait Mare Nostrum depuis des siècles, avec son cortège d’esclaves et de trafics. Les termes, aujourd’hui, ne sont pas les mêmes et il ne saurait s’agir de recoloniser l’Afrique du Nord. Cependant, les vagues de migrants dont l’intensité a crû ces derniers mois, en partance de Libye principalement et vers les côtes italiennes, reposent avec acuité la question des rapports intraméditerranéens et, plus loin, celle des rapports de l’Europe avec l’Afrique.

Ce à quoi l’on assiste en Libye, où sont conjoints les intérêts terroristes des djihadistes et pécuniaires des passeurs, ne représente qu’un déplacement géographique de la vague de migration. Jusqu’à il y a peu, c’était par le Sahara-Occidental, les Canaries et les enclaves espagnoles au Maroc que débarquaient les clandestins. Si la situation a changé, c’est, outre le chaos libyen unanimement décidé par nos gouvernants, qu’il existe des solutions pour endiguer le flux, au moins localement. Ainsi, dès le début des années 2000, l’Espagne a signé des accords de coopération avec le Maroc et d’autres pays africains du littoral atlantique et mis en place des patrouilles communes en mer. C’est un succès : dorénavant, il y a, chaque année, moins de 200 migrants qui prennent encore cette route de la Méditerranée occidentale.

En réalité, si les naufrages nous touchent, les trois quarts des clandestins en Europe arrivent par avion, le plus souvent munis d’un visa. Une fois celui-ci expiré, les personnes restent sur le sol européen. Il y a donc des flux continus et c’est à leur source même qu’il convient de les tarir.

Deux questions conjointes se posent donc à l’Europe : comment rétablir des structures politiques dans les pays pourvoyeurs de migrants, de façon à y stabiliser les populations ? Et comment refondre la politique d’accueil de l’Europe elle-même, qui fonctionne aussi comme une pompe aspirante, laissant croire aux migrants qu’ils y gagneront le paradis ?

Certains réclament une politique de défense plus agressive de la part de l’Union européenne, notamment pour bloquer les bateaux dès les ports libyens. Pourquoi pas ? Mais l’on ne fera que retarder la solution du problème, dont les racines sont bien plus lointaines. Elles se trouvent en Afrique subsaharienne, où, de fait, l’Europe a abandonné toute politique de coopération cohérente et structurée. Et un à un, les pays de la bande sahélo-saharienne, depuis le Mali jusqu’à la Somalie, basculent dans le chaos ou sous la botte islamiste.

Partout, profitant de la fragilité des régimes locaux, les fondamentalistes musulmans utilisent la même technique de terreur, qui consiste à dépeupler à terme les provinces, pour qu’il n’y reste que les musulmans, créant donc les conditions favorables à l’exil vers une terre plus accueillante. Le terrorisme musulman vient donc se superposer à la pauvreté économique déjà présente dans nombre de ces pays. Et en tous lieux, les chrétiens sont les premières victimes, depuis ces migrants qui auraient été passés par-dessus bord par leurs compagnons d’infortune au motif qu’ils étaient chrétiens, jusqu’à ces Éthiopiens exécutés par Dae’ch en Libye pour le même motif, après les coptes qui avaient subi le même sort.

Au Kenya, le 2 avril, le massacre de Garissa a confirmé cette triste réalité : les Shebab venus de Somalie ou recrutés dans la population locale déshéritée ont trié les étudiants, mettant d’un côté les musulmans, de l’autre les chrétiens. Le but est atteint : les chrétiens fuient Garissa. Selon le porte-parole des Shebab, l’attaque de l’université se justifiait parce que la création récente de celle-ci « est un plan pour répandre le christianisme et l’infidélité ». Le discours est clair.

Au Niger, une attaque du groupe islamiste Boko Haram, les 24 et 25 avril, aurait coûté la vie à plusieurs dizaines de soldats basés près du lac Tchad.

Au Tchad même, le président pourtant puissant Idriss Déby se montre très inquiet. En plus d’avoir affaire à la Libye et à Boko Haram, des troubles dans le sud du pays, notoirement dominé par le nord, mais où se trouve le pétrole, ont fait récemment un mort. Alors que le régime d’Idriss Déby assure un semblant de stabilité dans la région, il serait dramatique qu’une rébellion se déclenche à l’intérieur du pays.

Au Soudan du Sud, depuis un an et demi, une guerre tribale sévit qui plonge le jeune pays dans une situation humanitaire dramatique. En Érythrée — dont le terrifiant régime ne peut être comparé aujourd’hui qu’à celui de la Corée du Nord pour l’usage de la torture, la population sous les armes et la coupure avec le reste du monde —, ils sont, d’après le Haut-Commissariat aux réfugiés, plus de 220 000 à avoir fui depuis 2011, soit 5 % de la population. Chaque mois, 3 000 jeunes Érythréens, garçons et filles, traversent la frontière éthiopienne. Un évêque local a récemment parlé de « dépeuplement ».

Ainsi se conjuguent misère, instabilité politique et terrorisme islamique pour mettre à feu et à sang la moitié de l’Afrique. Il est temps que le monde, et l’Europe au premier rang, s’en préoccupe et prenne les moyens nécessaires avant que la Méditerranée ne devienne la patrie de la misère humaine.