Identité et « récit national » · Une leçon anglaise

Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l’Institut Thomas More

19 juin 2015 • Analyse •


Le lundi 15 juin dernier, les Anglais célébraient le huit centième anniversaire de la Magna Carta, en présence de la reine. Leur « récit national » ne les effraie pas. 2015 n’instruit pas le procès de 1215, il s’en enorgueillit à bon droit. Une leçon qui devrait nous faire méditer, nous autres Français, sur notre héritage et notre manière de l’honorer.


Le lundi 15 juin, les Anglais célébraient le 800e anniversaire de la Magna Carta, en présence de la reine, sur le pré de Runnymede, entre Londres et Windsor, à l’endroit même où elle fut imposée à Jean sans Terre par ses barons.

D’abord accord de paix entre le roi et des « hommes libres » révoltés par des hausses d’impôts excessives en vue de financer des campagnes militaires sans fin (et sans succès), cette charte de soixante-trois articles (« libertés, droits et concessions ») constitue la première limitation non-coutumière d’un pouvoir royal dans l’histoire de l’Occident et scelle, pour la première fois, le principe de prééminence du droit (Rule of Law). Naturellement fruit du contexte et des mentalités de son temps, la Magna Carta est devenue au fil des siècles un symbole de justice et de protection des droits fondamentaux partout dans le monde. La Magna Carta garantit et affirme le droit à la liberté individuelle.

En la célébrant, les Anglais saluent et honorent à la fois leur passé et des principes qui fondent, même lointainement, l’ordre politique et juridique dans lequel ils vivent encore. Leur « récit national » ne les effraie pas. 2015 n’instruit pas le procès de 1215, il s’en enorgueillit à bon droit. Une leçon qui devrait nous faire méditer, nous autres Français, sur notre héritage et notre manière de l’honorer.

Sur le fond, en commémorant la Magna Carta, les Anglais ont célébré les principes encore vivant de liberté, de justice et de protection contre l’arbitraire. On rêverait qu’en France, pareille cérémonie soit organisée par les autorités. Que ses dirigeants se souviennent du premier terme de la devise nationale. Que ses élites redécouvrent le trésor que constitue la belle tradition française du libéralisme politique, de Montesquieu à Tocqueville et au-delà. Qu’ils le distribuent à larges poignées à des Français chez qui la défiance à l’égard de leurs dirigeants s’accroît, chose peu observée, à mesure qu’on les enjoint à célébrer un républicanisme de plus en plus obsessionnel et idéologique.

Car, et c’est là qu’il faut en venir, on aimerait que la République, qui, rappelons-le, n’est jamais qu’un régime politique, célèbre parfois autre chose qu’elle-même. A commencer par la France (avec laquelle elle ne se confond pas), son passé, sa culture. En fêtant l’anniversaire de la Magna Carta, en évoquant un souvenir vieux de huit cents ans, la reine d’Angleterre ne se célèbre pas elle-même, mais la permanence de ce qu’elle incarne et de ce qui rassemble son peuple, par-delà les temps et les formes historiques.

On ne se souvient pas que François Hollande ait jugé utile de participer aux célébrations du huit-centième anniversaire de Saint Louis l’an passé. On chercherait en vain dans son agenda un petit moment consacré cette année à la commémoration du cinq-centième anniversaire de l’avènement de François Ier et de la bataille de Marignan. Ou au neuf-centième anniversaire de la fondation de l’abbaye de Clairvaux par Saint Bernard – mais il ignore peut-être que François Mitterrand, son modèle dit-on, considérait que la meilleure manière de fixer les frontières de l’Europe (débat très actuel) était de considérer la carte des abbayes cisterciennes sur le continent…

Cette reductio ad republicam de la France et de son histoire est un symptôme du malaise identitaire français – pas unique bien sûr mais important. Car si elles fondent l’ordre politique dans lequel les Français contemporains vivent, les valeurs républicaines ne suffisent pas à définir la France ni à rassembler les Français. Où ces valeurs, la liberté (rappelons-le encore une fois), l’égalité ou la laïcité, plongent-elles leurs racines sinon dans la longue durée de l’histoire de France ? Chacun connaît l’origine pluriséculaire, pour ne pas dire plurimillénaire, de la notion de laïcité. Rappeler ces filiations, et les célébrer dignement, c’est donner de la profondeur, de l’assise, de la solidité à ce que nous sommes aujourd’hui. Cela ne règle pas tout mais cela nous fixe les deux pieds bien au sol pour mieux voir venir menaces, défis et opportunités de l’avenir.