15 juillet 2015 • Opinion •
S’il faut saluer l’accord trouvé le 12 juillet sur le dossier grec, l’issue de la crise est encore suspendue à un nombre considérable d’inconnues. L’accord de Bruxelles du 12 juillet sera-t-il un nouveau Versailles, un nouveau Munich ou un nouveau Breton Woods ? Aux dirigeants européens d’en décider…
Le sommet des chefs d’États et de gouvernements de l’Eurozone de ce dimanche 12 juillet a débouché sur un « accord unanime » qui, pour l’heure, maintient la Grèce dans l’euro et préserve l’intégrité de l’Eurozone. Pour y arriver il a fallu que toutes les parties fassent des compromis mais le plus difficile reste à faire : la ratification de l’accord par diverses instances parlementaires, la mise en place d’un financement « transitoire » immédiat, l’ouverture de négociations sur les conditions spécifiques du « troisième plan de sauvetage » et enfin la mise en œuvre des réformes – tant de fois promises mais jamais appliquées – qui conditionneront le déboursement effectif de l’aide.
L’issue de la crise est donc encore largement suspendue à un nombre considérable d’inconnues qui, chacune, pourrait remettre en cause l’équilibre des accords conclus et conduire à l’effondrement de la Grèce et de l’Union économique et monétaire (UEM). Il sied de saluer les efforts consentis par tous ceux qui ont contribué à cet accord.
Si les étapes immédiates sont franchies avec succès, l’Eurozone se sera donné une nouvelle fenêtre d’opportunités pour se réformer elle-même. Il est cependant loin d’être évident qu’elle saura saisir l’occasion, ayant déjà par deux fois ignoré les appels pressants du Président de la BCE à compléter son action, lors de son intervention promettant de « faire tout ce qui était nécessaire pour protéger l’euro » ou encore lors de l’annonce du programme de « souplesse monétaire ».
L’histoire nous dira si ce sommet débouchera sur un nouveau traité de Versailles (1919) où dix-huit pays, qui détenaient toutes les cartes, ont imposé leur volonté au dix-neuvième État membre de l’UEM avec des exigences qui se révèleront intenables dans la durée. Lorsque cette évidence s’imposera, les prémices d’une nouvelle crise auront été semées, renforçant l’attrait des sirènes national-populistes et augmentant considérablement les risques d’une implosion de la monnaie unique et de l’Union européenne (UE). Dans ce scénario, il ne serait pas surprenant de voir la France se mettre en retrait de l’Eurozone en refusant tout transfert supplémentaire de souveraineté, imitant ainsi le refus des États-Unis de rejoindre la SDN dont leur Président avait pourtant été l’initiateur.
Une seconde alternative serait une sorte de remake de la tragique conférence de Munich de 1938. Les protagonistes se sont accordés à Bruxelles sur un slogan qui rappelle le fameux Peace in our time, où, comme l’ont affirmé Jean-Cluade Juncker et Alexis Tsipras, « le Grexit est définitivement derrière nous ». Lorsqu’il s’avérera qu’il s’agit d’un marché de dupes, il sera trop tard pour éviter la catastrophe et les conséquences seront planétaires.
Enfin, il y aurait un troisième scénario dans lequel le sommet de Bruxelles constituerait le point de départ d’une remise à plat de la structure institutionnelle et opérationnelle de l’Eurozone. En 1944, la conférence de Breton Woods sut mettre en place l’architecture financière du globe qui présida à la reconstruction des économies dévastées par la crise économique des années 1930 et par la guerre et permit une croissance vigoureuse amorcée par la solidarité, notamment du plan Marshall. A son tour, dans la foulée de la crise financière et économique commencée en 2008, l’Eurozone se doterait ainsi des instruments qui assureraient la compatibilité d’une Union monétaire avec la nécessité d’une gestion commune d’une politique budgétaire, fiscale et économique. Cela impliquerait l’acceptation par les pays membres d’une discipline qui permettrait à la solidarité (transferts) de s’exercer au travers d’un budget « fédéral », géré par une instance qui serait le pendant politique de la BCE, aujourd’hui orphelin d’un interlocuteur légitime. Cela impliquerait également de dégager des « ressources propres » suffisantes pour permettre à l’UEM de bénéficier d’une capacité d’emprunt autonome (eurobonds). Ainsi dotée des attributs indispensables, l’UEM serait capable de défendre au mieux les intérêts de tous les citoyens et de servir d’aimant pour attirer en son sein les autres pays de l’UE dont l’adhésion est prévue par le Traité de Maastricht. Dans un monde multipolaire, une telle architecture déboucherait par construction sur un regain de souveraineté réelle par opposition à un abandon de souveraineté nominale et permettrait à la solidarité de s’exprimer au niveau européen comme c’est le cas aujourd’hui à l’échelon national.
Lequel de ces trois scénarii l’emportera ? Nul ne peut le dire encore. Mais il faut se rendre compte avec lucidité que le scénario du Grexit est loin d’être écarté. Le spectre du chaos qu’une telle issue engendrerait pour les Grecs devrait convaincre tous les gouvernements de persuader leurs opinions publiques respectives que l’intégration plus poussée de l’Eurozone est la seule politique qui peut les protéger durablement d’un risque similaire ; il est donc de l’intérêt national de chaque pays membre d’y souscrire.
En particulier, il convient d’éclairer l’opinion publique sur le caractère stérile du débat entre « politiques d’austérité » et « politiques de croissance » qui mine inutilement la cohésion de l’UEM. S’il est exact qu’un excès d’austérité peut tuer les efforts de relance, celle-ci n’est cependant pas concevable dans le cadre de l’architecture institutionnelle actuelle où la gouvernance est régie par des règles contraignantes ancrées dans le marbre des traités et que la Commission est chargée de faire appliquer. Seule une autorité politique à caractère « fédéral » au niveau de l’UEM permettrait de se dégager de ces contraintes, à l’exemple des « politiques de relance » suivies avec succès par les États-Unis et la Grande Bretagne au lendemain de la crise financière. A noter qu’aux États-Unis, la « solidarité fédérale » et la « politique monétaire accommodante » se sont déployées dans le cadre d’un strict équilibre budgétaire des entités fédérées (les cinquante États). La pleine souveraineté économique des dix-neuf pays membres est structurellement incompatible avec le bon fonctionnement de l’UEM car elle expose l’ensemble de ses membres à l’aléa moral en cas d’excès par l’un ou l’autre, comme nous le prouve le cas grec.
Un choix radical s’impose entre une Eurozone de type « fédéral » ou le démantèlement de l’UEM. Le défi politique est immense : nos dirigeants se révèleront-ils à la hauteur ?