L’Europe, les flux de migrants et le patriotisme de civilisation

Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l’Institut Thomas More et Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l’Institut Thomas More

Septembre 2015 • Points clés 6 •


Environ 700 000 réfugiés attendus en Europe cette année, selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), peut-être plus : l’Union européenne et ses États membres doivent faire face à de puissants flux migratoires. Les drames humains qu’ils engendrent sont prétextes à leur mise en accusation. Ces entreprises de culpabilisation et leurs effets sur l’opinion sont le signe de la « grande fatigue » de notre continent. Son ressaisissement, par l’exercice d’un véritable patriotisme de civilisation, est indispensable. La situation actuelle et le contexte géopolitique global exigent en effet des décisions souveraines et un engagement extérieur accru.


« Dans la vie, il n’y a pas de solutions. Il y a des forces en marche : il faut les créer, et les solutions suivent. »
Antoine de Saint-Exupéry

En provenance du Moyen-Orient, du Sahel et de la Corne de l’Afrique, plus lointainement de Haute-Asie, des masses de réfugiés et de migrants traversent les frontières méridionales et orientales de l’Union européenne (UE). Les images de ces puissants flux qui bousculent les États, leurs frontières et leurs lois ne sont pas sans évoquer diverses thèses historico-philosophiques sur la chute des empires et la destinée des civilisations. Devant le spectacle de ces populations qui fuient la répression, l’état de guerre et la misère économique des zones de départ, les bons esprits exigent la reconnaissance du droit de tous les migrants à s’installer là où ils le souhaitent, sans considération pour les sociétés d’accueil, le consentement des citoyens et la souveraineté des États. Le fatalisme historique d’une part, l’angélisme de l’autre ont en commun de pousser à la démission politique.

Pourtant, le grand historien britannique Arnold Toynbee (1889-1975) insiste dans son œuvre sur l’inexistence d’un déterminisme historique universel : c’est en répondant aux défis successifs que les civilisations survivent et se transforment selon son modèle explicatif « challenge and response ». Dans le cas de l’Europe contemporaine, les défis seront surmontés en commun. Il ne s’agit pas seulement de faire face à l’urgence et de réduire le débat à sa dimension humanitaire, au mépris des effets non-voulus de l’éthérisme moral. La perte du sens des limites, l’irrespect des citoyens européens et la négligence des équilibres socioculturels, au nom du « meilleur des mondes », pourraient entraîner de graves chocs en retour. Plutôt que de prétendre transformer l’UE en un simple prestataire de services humanitaires, les « bons Européens » doivent penser et agir politiquement. La défense des frontières et la préservation des équilibres intérieurs se jouent à l’avant, dans les régions géopolitiques voisines de l’Europe. Pour agir sur les causes profondes des flux humains, il faut se préparer à projeter forces et puissance au-delà des « anciens parapets » de l’Europe.